ÉPISODE 16 – RENDEZ-VOUS D’INÈS BENLLOCH AVEC UN ANCIEN COLLÈGUE
Inès Benlloch débarqua de bonne heure à son bureau. Elle était nerveuse, elle attendait d’un moment à l’autre, l’appel de l’un de ses anciens collègues, William W. Pourtant, lorsqu’elle l’avait joint, il l’avait rassurée :
— T’inquiète, on trouvera forcément quelque chose. Il est impossible que cet homme ait traversé presque quarante années de sa vie sans commettre de frasques. En plus, chez nous, on ne jette ni n’efface rien et encore moins si les infos concernent le passé des personnalités politiques.
Il n’y avait plus qu’une journée avant son rendez-vous avec le commissaire Aghilas. Depuis que le Ministre lui avait confié l’enquête sur le meurtre de la rue Blomet, Inès avait décidé d’arrêter l’avancée de tous ses autres dossiers et de n’accepter aucune nouvelle démarche qui lui soit étrangère. La survie de l’agence était maintenant liée au résultat de sa mission. Elle avait parlé de sa décision avec le commissaire Vétoldi et il lui avait fait part de son désaccord, mais elle avait tenu bon. Les mots du commissaire résonnaient dans ses oreilles : Inès, c’est tout à fait imprudent, qui vous dit que cet homme, tout ministre qu’il soit, vous règlera l’intégralité du coût de votre mission ? Ce qu’il vous demande est de prouver son innocence car trouver le coupable, c’est l’exclure des soupçons. Imaginez que votre enquête débouche sur des éléments qui le mettraient en cause, que ferez-vous ?
Le commissaire Vétoldi avait raison, mais Inès voulait brancher toute son énergie et tout son dynamisme sur cette affaire car si elle aboutissait au résultat recherché, elle n’aurait ensuite plus aucun souci pour l’avenir de l’agence et donc pour le sien.
Inès prépara du café. Il finissait de passer quand l’interphone retentit. Elle n’attendait personne, qui était-ce ? Elle faillit ne pas répondre puis décrocha quand même.
— Salut Inès, William.
— Qu’est-ce que tu fais là ? J’attendais ton appel.
— Je préfère te parler, tu m’ouvres ?
— Bon, OK. L’agence est au premier. Je t’attends à la porte.
Inès se posta sur le seuil, elle entendit le bruit de l’ascenseur puis elle vit William jaillir à ses côtés. Il était toujours aussi séduisant, grand, un corps d’athlète, des cheveux coupés ras pour permettre l’ajustement de postiches quand c’était nécessaire … Elle sourit, ravie de le revoir. Il l’entoura de ses bras chaleureusement et l’embrassa sur les deux joues.
— Content de te revoir, Inès, tu es splendide. Quel dommage que nous nous voyions si rarement.
— Salut William, je te rappelle que tu es marié et père de deux enfants.
— Trois même, depuis la dernière fois où je t’ai vue, j’ai eu un fils après les deux gamines, Floriane et Flavie. On l’a appelé Fabien pour rester dans les F.
— Pourquoi choisissez-vous toujours des prénoms commençant par F ?
— Parce qu’ainsi, nous arrivons plus facilement à nous mettre d’accord sur le prénom. La liste est courte pour les F, donc, on liste les noms commençant par F et ensuite, on les passe au crible à l’aide de critères que nous avons définis, réputation du prénom, histoire des personnes l’ayant porté, protections éventuelles… Et toi, toujours rien de ce côté-là ?
— Si tu me demandes si j’ai eu un enfant, c’est non.
— Tu devrais t’y coller parce qu’ensuite, ce sera trop tard.
— Ne dis pas de bêtises, pour fabriquer un enfant, il faut un père.
— Rien de plus facile, tu regardes dans ton entourage, tes copains qui ont prouvé que leur progéniture était saine, tu en choisis un et tu passes quelques heures agréables en sa compagnie et ensuite, tu laisses la nature faire le reste. C’est quand même plus sympa que de recourir à la PMA.
— N’importe quoi ! Bon, essaie d’être sérieux, ce sujet n’est pas à l’ordre du jour.
Inès invite son ex-collègue à s’asseoir dans un des fauteuils de la salle de réunion.
— Tu veux une tasse de café ?
— Volontiers, merci.
Une fois qu’ils ont chacun leur café devant eux, Inès attend que William prenne la parole. Il s’y décide après avoir bu intégralement son café.
— Bien, tu peux te douter que si j’ai souhaité te parler de vive voix plutôt que de t’appeler, c’est que j’avais dégotté des infos assez explosives.
— Je t’écoute.
Inès est curieuse de découvrir les révélations de William sur le passé de Donatien Donato. Elle avance son torse et tend son regard vers celui de son interlocuteur tandis que l’agent de la DGSE reste enfoncé dans le dossier de son fauteuil. Repensant à quelques folles nuits passées ensemble lors de missions communes, il sourit, certain de répondre à la curiosité d’Inès.
— Attention, c’est une bombe même si ce genre de passé est assez courant.
— Arrête de me faire lanterner, accouche !
— OK. Alors, ces dernières années, ton bonhomme s’est rendu très régulièrement au Maroc et plus précisément, à Tanger. Il y possède une villa très confortable, tu veux voir les photos ?
Sans attendre la réponse d’Inès, William W. sort la liasse de photos et Inès peut admirer l’architecture traditionnelle de la magnifique maison bourgeoise.
— Superbe maison, elle est située dans quel quartier ?
— Belle Vista.
— Bon choix, c’est un quartier proche de la mer, mais il est protégé des nuisances qui seraient dues à la trop grande proximité avec la plage : Le bruit des fêtes, les concerts de rues et j’en passe… Je suppose que notre jeune Ministre a pour habitude de se reposer dans sa villa, mais peut-être y mène-t-il d’autres activités. Tu as quelque chose à ce sujet ?
William W. sourit, ses yeux étincellent quand il précise :
— Il y a quelques années, il a été arrêté par la police marocaine pour relation sexuelle avec un jeune garçon âgé de treize ans.
Inès est stupéfaite, elle en ouvre la bouche d’étonnement. Elle attend la suite que William ne tarde pas à lui donner :
— Il avait été découvert dans sa chambre d’hôtel, en compagnie de l’adolescent. Il a été relâché trois jours plus tard grâce à l’intervention d’un avocat. Il semble qu’il ait indemnisé les parents du jeune garçon. Pour sa défense, il a nié qu’il y ait eu relation sexuelle, prétendant que le garçon lui avait servi de guide à travers la Médina et qu’il l’avait fait monter dans sa chambre afin de le payer.
— Ça date de quand, cette affaire ?
— Exactement dix ans.
— Et depuis, quel a été son comportement ?
— Depuis, il semble s’être tenu tranquille, cependant des voisins font courir une rumeur quant à la possibilité que le fils du gardien de sa maison, un adolescent, fréquente, seul, la maison principale. Ses parents se seraient offert une superbe voiture dépassant les moyens que leur permettrait le montant de leurs salaires.
— C’est quand même bizarre qu’il ait juxtaposé un amour qui ne s’éteint pas avec la pédophilie…
— Non au contraire, cela me semble très complémentaire. Il nourrit un amour impossible pour une femme et par ailleurs, il assouvit ses pulsions sexuelles en compagnie de jeunes garçons.
— La police est partout présente dans les quartiers de Tanger, comment se fait-il qu’il ne soit pas inquiété ?
— À mon avis, la police est parfaitement au courant et par conséquent le Gouvernement aussi, mais ils utilisent peut-être ce qu’ils savent pour faire pression sur le Ministre.
— Au poste qu’il occupe, qu’obtiendrait le Gouvernement marocain en échange de son inaction ?
— Il est Ministre de l’Enseignement supérieur. À ce titre, il peut intervenir pour faciliter l’accès au visa des étudiants étrangers en France. Il se trouve que parmi ces étudiants étrangers, les jeunes Marocains soient particulièrement nombreux. J’ai regardé les chiffres. En dix ans, leur nombre a plus que doublé et il dépasse allégrement les quarante mille.
— Ah oui, je comprends. Mais pour en revenir à mon enquête, en quoi cette information pourrait-elle m’aider à y voir plus clair ?
— Ça, c’est ton affaire. Au minimum, tu peux lui en parler, ne serait-ce que pour observer sa réaction.
— Je ne sais pas, je ne vois pas en quoi cette histoire pourrait expliquer la raison pour laquelle il m’a confié cette enquête. Y aurait-il un lien avec le meurtre de son ancienne amie ? Mais je te remercie et si tu apprends quoi que ce soit d’autre sur DD., fais-moi signe.
— Je n’y manquerais pas au cas où. Je te laisse les photos de la villa et aussi cette photo qui le montre en compagnie du fameux jeune homme. À ta place, je la lui mettrai sous le nez, pour sa réaction mais aussi pour qu’il te règle des émoluments consistant sans les contester. Il est toujours bon de prendre ses précautions avec les politiques.
Inès Benlloch sourit :
— Toujours aussi pragmatique, le beau William ! En attendant la suite, je te remercie beaucoup, beaucoup et je te dis à bientôt.
— À bientôt, chère Inès. Tiens-moi au courant si tu découvres quelque chose, cette affaire m’intéresse au plus haut point. Nous nous rapprochons de la présidentielle et cette histoire peut sortir en France pendant cette période épineuse pour nuire au pouvoir en place et s’ajouter aux plaintes en cours particulièrement nombreuses… Et si tu te décides à participer au nombre des naissances d’enfants français, n’hésite pas à me mettre sur la liste des pères putatifs, je me ferais un plaisir de te rendre ce service.
Inès se mordit les lèvres, elle avait failli le traiter de machiste mais elle se retint à temps car elle préférait garder de bonnes relations avec lui, il venait de lui donner un sacré coup de main et il lui apporterait peut-être d’autres informations, aussi n’était-ce pas le moment de se le mettre à dos …
À Suivre… Prochain épisode le Dimanche 3 Octobre 2021 …