LE DÉBRANCHEUR : ÉPISODE 10 : Hôpital de Belle-Ile : Entretien avec le médecin de garde


CH Yves Lanco – Belle-Ile-en-Mer (Le Palais)10 Hôpital de Belle-Ile : Entretien avec le médecin de garde
Le commissaire Vétoldi, accompagné d’Inès Benloch, interroge le médecin qui était de garde la nuit et le matin où a eu lieu l’agression de la patiente.
Il s’agit du docteur Le Breton, salarié à mi-temps de l’hôpital de Belle-Ile, comme la plupart des médecins qui, parallèlement, exercent en ville. En découvrant le praticien, qui est, à première vue, son contemporain, Dominique Vétoldi qui, pourtant, adore Belle-Ile, se demande comment un homme de son âge supporte la vie sur cette île. C’est la première question qu’il lui pose, sans doute pour éviter d’aborder tout de suite le drame.
— Bonjour docteur, je connais bien Belle-Ile et j’adore y séjourner pendant mes vacances, un peu moins pour y travailler, je me demandais comment vous supportiez d’y vivre à l’année et d’y travailler ?
Le docteur Yves Le Breton lève les sourcils, voilà un drôle de policier…Il n’est cependant pas en tenue, aussi lui pose-t-il à son tour, une question :
—  Si je peux me permettre, Monsieur, avant de vous répondre, j’aimerais savoir à quel titre vous intervenez dans cette affaire. La gendarmerie est chargée de mener une enquête, et j’ai parlé avec le capitaine Kervadec ce matin même, mais vous… Vous êtes qui? 
Dominique Vétoldi joue la carte de la franchise :
—  Eh bien, comme vous le savez certainement ou sinon, je vous l’apprends, le débranchement de la patiente de votre hôpital n’est pas le premier acte de malveillance qui soit commis sur des malades plongés dans le coma. J’ai été chargé d’une enquête au niveau national, pour tenter de découvrir qui est ou sont l’auteur ou les auteurs de ces crimes, car les débranchements comme celui de ce jour, est le fait d’un criminel, puisque les patients agressés peuvent décéder comme votre patiente. À cet effet, j’ai demandé la diffusion, auprès de tous les hôpitaux de France, de consignes strictes à respecter en cas d’agression contre les patients plongés dans le coma.
—  Nous n’avons rien reçu de tel, ou bien je n’en ai pas été avisé. Excusez-moi, je vais, bien sûr, répondre à votre question liminaire, même si elle ne me semble pas concerner votre enquête. Je me suis installé ici parce que je pouvais travailler à mi-temps à l’hôpital et à mi-temps en ville. Je trouve agréable et sain, de faire partie d’une communauté de soignants. Nous sommes huit médecins sur l’île, nous nous relayons pour assurer la permanence des soins. Par ailleurs, je suis le père de trois jeunes enfants et pour eux, vivre ici, c’est le paradis. Je les emmène en vélo chaque matin, à leur école, ils profitent des joies de la mer et de la campagne. Si vous connaissez Belle-Ile, vous savez que nous avons des éleveurs de vaches et d’agneaux. Nous trouvons donc ici, toutes sortes d’excellents produits de la ferme, du lait frais non trafiqué, des fromages, des légumes ; en outre, il y a de très bons produits élaborés localement, galettes, bière et j’en passe. Je ne dis pas que je resterai quand mes enfants auront grandi, mais ils auront eu une belle enfance, loin de la pollution et des désagréments de la vie en ville. J’aurai construit leur santé.
— Merci, docteur. Maintenant, dite-moi exactement ce que vous avez fait ce matin, une fois que l’infirmière vous a prévenu de l’incident.
— Lorsque Morgane m’a alerté sur la situation de la patiente, je l’ai immédiatement suivie dans la chambre, et malheureusement, je n’ai pu que constater son décès. Compte tenu du débranchement, j’ai appelé le capitaine Kervadec qui est arrivé très rapidement. Il a fait les premières constatations en ma présence, puis le procureur et l’équipe des techniciens sont arrivés. Je ne peux rien vous dire de plus.
— Après Morgane, vous étiez le premier sur les lieux du crime, vos impressions et constatations sont importantes. Par exemple, en entrant dans la chambre, la fenêtre était-elle ouverte ?
— Non, elle était fermée, mais Morgane m’a dit que lorsqu’elle est entrée dans la chambre, elle était ouverte et qu’elle l’a refermée par réflexe, sans penser à mal, avant même d’avoir vu dans quel état se trouvait la patiente et j’aurais agi de la même façon. Quand vous pénétrez pour la visite du matin, vous n’imaginez pas qu’une agression a été commise, aussi, ce genre de réflexe. est naturel.
— Avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel ?
— Eh bien, je me suis surtout attaché à vérifier que je ne pouvais plus rien faire pour la patiente.
— À votre avis, depuis combien de temps était-elle morte ?
— Je dirais une ou deux heures, j’ai pris la température du corps, qui était de 35,7°, j’ai également noté la température régnant dans la chambre, qui était descendue à 18°, bien inférieure à la température habituelle de 22°, un effet dû à l’ouverture de la fenêtre ; les membres de la patiente n’étaient pas encore rigides, mais je ne suis pas un spécialiste, vous en saurez davantage avec le rapport du médecin légiste. Je lui ai transmis toutes les informations que j’ai relevées.
— Merci. Quel était l’état exact de cette patiente avant l’agression ?
— État stable, coma profond, pas d’amélioration possible, cependant elle respirait seule, sans assistance, mais son cerveau présentait un encéphalogramme plat. Nous avions décidé de la transférer dans un service spécialisé, car la famille ne nous autorisait pas à interrompre l’hydratation du corps. Pour moi, elle était morte. Les fonctions vitales, à part la respiration, ne fonctionnaient plus. Ce que je trouve étrange, cependant, est que sa fonction respiratoire se soit arrêtée, avec le débranchement. Ce n’aurait pas dû être si rapide, ma conviction est que l’agresseur ne s’est pas contenté de la débrancher mais qu’il a effectué un autre acte, j’ignore quoi, car je n’ai rien relevé de particulier sur le corps, mais je vous ai dit, le médecin légiste vous en dira plus. Bien, si c’est possible, j’aimerais rentrer chez moi, ma garde est terminée depuis un moment,  et je suis vraiment fatigué. 
— Oui,  bien sûr, vous pouvez partir, cependant, si par la suite, vous vous rappeliez de quelque chose en particulier, voici ma carte, n’hésitez pas à me téléphoner ou à m’envoyer un mail. Merci, docteur et bonne journée.
— Au revoir Monsieur, je vous souhaite une pleine réussite dans votre enquête.
Une fois le médecin parti, Dominique Vétoldi, saisi par une impulsion, retourne dans la chambre de la patiente. Sur place, il ouvre la fenêtre, se glisse sur le parking puis revient dans la pièce. Il tente de se mettre dans la peau de l’agresseur. Il n’a pu choisir cette patiente au hasard, il connaissait son état, donc, il lui faut demander la liste des visiteurs, si elle existe… Il revient au bureau des infirmiers et s’en enquiert .
L’infirmière de jour, le regarde d’un air stupéfait, et rétorque :
— Vous voulez rire, Monsieur ! Nous ne possédons rien de ce genre; Il y a des heures de visite mais nous ne vérifions pas l’identité des gens qui passent voir nos malades. Ce n’est pas notre travail, nous sommes déjà débordés, je n’ose imaginer ce que seraient nos journées si nous devions ajouter cette charge en plus.
— C’est bien dommage, car si j’ai bien compris, cette patiente était la seule à se trouver dans cet état ? Donc, l’agresseur l’avait nécessairement repérée à l’avance, il est venu dans cet hôpital, avant de commettre son agression,. 
— Ah oui, vous avez raison. Elle n’est arrivée ici que depuis trois jours, elle a été hospitalisée à la suite de son accident. Sa famille lui a rendu visite, mais sinon, je ne me souviens de personne d’autre qui soit venue la voir.
— Elle avait un ami, un mari, un proche ?
— Pas que je sache, ses parents sont venus, son frère aussi. Ce sont eux que nous avons rencontrés, et avec lesquels nous avons abordé la fin de vie, ses parents ont refusé qu’on mettre un protocole en place. C’est la raison pour laquelle elle devait être transférée dans un autre hôpital.
—  Vous savez où ?
—  Pas exactement, mais obligatoirement compte tenu de son état, dans un hôpital où intervient l’équipe mobile de soins palliatifs de Bretagne Sud, à Lorient ou à Vannes, par exemple, car les soignants de cette équipe spécialisée  ne viennent pas jusqu’à nous, mais il se rendent aussi au domicile des patients, alors elle aurait pu être aussi en hospitalisation dans sa famille.
—  Qui était au courant de son prochain transfert ?
—  Sa famille, ses proches, les gens qui sont venus la voir.
— Bien, je vous remercie, au revoir, Madame.
Dominique Vétoldi quitte l’hôpital, suivi de sa collaboratrice. Une fois qu’ils se sont un peu éloignés, Vétoldi commente le début de leur enquête :
— Inès, ce matin, j’ai fait le job, mais ce sera à vous de le poursuivre. Il faudra que vous demandiez la liste des passagers sur tous les bateaux qui ont effectué le trajet entre Quiberon et Le Palais, la veille de l’agression ; l’agresseur ayant dormi quelque part, vous devrez aussi faire le tour des hôtels, des locations saisonnières, des chambres d’hôtes, des campings, bref de tous les systèmes d’hébergement existant sur l’île.
Devant l’énormité de la tâche à accomplir, Inès exprime ses doutes quant à l’efficacité de cette méthode, au regard de l’urgence à mettre la main sur le coupable :
— Vous pensez vraiment que cela servira à quelque chose ? Nous n’avons même pas un descriptif de l’agresseur.
— Peut-être, mais nous tenons une information essentielle, il ou elle s’intéresse aux contre-révolutionnaires et ne s’attaque qu’à eux. Cela restreint considérablement la liste des agresseurs potentiels. À cet agrd, vérifiez le passé familial de la patiente.
—  Monsieur, je me permets, en ce qui concerne l’agresseur, il serait étonnant qu’il clame à tous vents sa passion pour la Révolution Française et ses acteurs.
Dominique Vétoldi fixe sa collaboratrice… Se permettrait-elle de mettre en doute son analyse, alors qu’elle n’est entrée à son cabinet que depuis trois mois ? 
— Écoutez, Benloch, j’ai un peu plus d’expérience que vous, par conséquent, si je vous conseille de faire ces démarches, c’est que j’estime qu’elles seront utiles. Le travail du détective privé est bien différent de celui d’agent secret, il se révèle parfois ingrat, car il inclut des activités fastidieuses, mais utiles ; c’est un travail de fourmi, mais tôt ou tard, il paie.
Inès Benloch ne répond pas, elle fera ce que son patron demande… Après tout, elle est encore en période d’essai, encore pour deux mois… Ensuite, elle s’octroiera  davantage de liberté, si toutefois, elle poursuit dans cette voie professionnelle…
Suite au prochain épisode…