ÉPISODE 9, RETOUR AU COMMISSARIAT

ÉPISODE 9, RETOUR AU COMMISSARIATDIMANCHE 19 JUILLET

Revenu au commissariat après sa visite au campus universitaire, le commissaire Vétoldi a hâte de voir arriver la fin de la journée, marquée par son rendez-vous avec l’étudiante qu’il vient de rencontrer, Samsara Abessole. Parviendra-t-elle à lui confie ce qu’elle n’a pas osé dire devant le gérant de la résidence universitaire ?
 Pour passer le temps, il se plonge dans les activités courantes du commissariat qu’il a eu tendance à laisser tomber ces derniers jours. Il commence par la mise au point qu’il a prévue avec son adjoint, Kevin Auster. Il l’a convoqué pour onze heures. À l’heure dite, le commissaire Auster frappe à la porte, il le fait entrer. 
— Assieds-toi, tu veux un café ?
— Non merci, j’en ai déjà bu suffisamment.
— Si cela ne te gêne pas, je vais m’en préparer un. 
Le commissaire Vétoldi dose tranquillement le café, puis laisse la machine opérer. Le doux chuintement qu’il affectionne se fait bientôt entendre. 
Une fois sa tasse pleine, il la pose sur le petit plateau réservé à cet effet, sur le côté droit de son bureau, puis il regarde son adjoint qui attend, impassible.
— Kevin, tu peux me faire un rapide compte rendu des activités que tu as supervisées ces jours-ci ? 
— Oui, com…Dominique, certainement. Les vols à l’arraché se sont multipliés dans le centre-ville,  nous pensions qu’ils étaient le fait des individus qui traînent en bande avec leurs chiens, mais hier, nous avons arrêté et interrogé un jeune garçon, âgé de seulement treize ans, qui se trouvait en possession d’objets les plus divers, genre collier, bague, montre et des billets sortis d’autres portefeuilles que le sien. Il était vingt heures trente et c’était son butin de la journée. Un magistrat l’a convoqué à la suite d’une procédure de flagrant délit, il a pris une décision de placement en établissement fermé. J’ignore combien de temps ils parviendront à le garder, il devrait recommencer ses forfaits assez rapidement.
— Quel genre de famille ?
— Père absent, mère débordée, nombreux frères et sœurs en déshérence, alcool, drogue et j’en passe.
Le tableau habituel. Avant d’être nommé à Vannes, le commissaire Vétoldi pensait que la Bretagne était épargnée par la délinquance qui sévit dans les métropoles. Il avait pris connaissance des statistiques favorables à cette région, mais il s’aperçoit au fil des jours que la réalité est bien différente. Il existe pourtant une distinction de taille et en y pensant, il la mentionne :
—  Nous n’avons quand même pas les batailles rangées qui se déroulent parfois aux abords de certaines cités qui jouxtent les grosses agglomérations.
— Il y a sans doute moins de trafics d’armes, mais la drogue est partout présente et elle n’amène rien de bon. 
— Quand on élève les gosses sans discipline, sans leur apprendre que tout n’est pas disponible tout de suite et que reporter son désir dans le temps aide à  construire un projet, c’est ça qu’on obtient. Je n’ai pas l’argent pour faire ce que je veux, donc, je vais le prendre là où il est. Que proposerais-tu si tu étais au pouvoir ? 
— Une discipline stricte, imposée dès le plus jeune âge.
— Mais les familles sont incapables de s’en charger.
— Je ne parlais pas des familles, mais de l’école. Il faut valoriser les bons comportements. Actuellement, les mômes se vantent de leurs méfaits, il faut renverser ces discours et mettre en valeur les actions bénéfiques à la société. 
—  La société… Tu as vu ce qu’elle prône, la société ? Ce qu’elle donne à voir aux citoyens ? Un spectacle pitoyable où la satisfaction des désirs individuels devient l’exemple à suivre. L’absence totale d’un idéal collectif, la recherche effrénée de l’enrichissement. Reconnais que celui qui n’a rien, qui ne possède rien, a envie de vivre comme ceux et celles qu’on montre dans les medias. Leurs héros, ce sont ces gens qui affichent leurs diamants, qui ont plusieurs millions d’abonnés sur Insta, qui sautent d’un avion à l’autre, sans prêter attention à la planète… On a les héros qu’on mérite… Bon, revenons à l’actualité de notre job, tu as reçu le correspondant des deux journaux qui comptent ici ?
— Oui, bien sûr, c’était prévu. Les deux journalistes ont regretté que ce ne soit pas vous qui les receviez, je leur ai expliqué que vous étiez très investi dans l’affaire du serial-killer et ensuite j’ai essayé de répondre pour le mieux à leurs questions. 
— Ils t’ont interrogé sur l’avancement de l’enquête sur le serial-killer ? 
— Oui, ils avaient prévu de centrer leur papier là-dessus. J’ai un peu noyé le poisson car nous n’avions pas fait le point ensemble. 
— Comme tu le sais, pendant que tu les rencontrais, je me trouvais sur le campus, je cherche à comprendre comment est arrivé la photo du jeune homme dans la chambre de Bridget Kelly, après le passage de l’équipe scientifique. Je trouve ça pour le moins étrange.
Kevin Auster affiche une moue explicite ; décidément, il ne comprend pas pourquoi le commissaire s’attarde à un fait qui lui semble aussi mineur. Pour sa part, il aurait depuis longtemps mis l’accent sur le petit chien qui, d’après plusieurs témoins, accompagne cet inconnu qui se trouve être à proximité de l’endroit où on retrouve le corps des jeunes femmes. Après un instant de silence, il s’autorise à poser la question :
—  Vous avez lancé des recherches sur le petit chien blanc ?
— Non, j’y ai pensé, bien sûr, mais je voudrais éviter d’affoler le tueur, s’il se sent repéré par ce biais, il changera de comportement et nous perdrons le seul indice que nous possédons sur lui. N’oublie pas que nous n’avons aucun ADN, aucun spectre d’odeur, rien, comme s’il n’était pas humain. J’ai même pensé que de nouveau, un maître de robot était aux commandes de ces meurtres[i], mais j’ai renoncé à cette hypothèse car le robot aurait été remarqué par un passant et ce n’est pas le cas. 
—  Il faudrait pourtant s’activer, car le tueur risque de frapper une nouvelle fois.
—  Oui et non, car s’il s’en tient aux proies qu’il a choisies jusqu’à présent, à savoir qu’ils s’attaquent à des jeunes femmes, étudiantes étrangères et rousses, il n’y en a plus au campus, elles sont reparties dans leur famille et elles ne reviendront pas à la prochaine rentrée.
— Cette mode des roux est bizarre, moi si j’avais été roux, j’aurais changé de couleur de cheveux. 
—  C’est une très jolie couleur quand elle est naturelle. 
—  Oui, mais les roux ont toujours été raillés, à cause de leur singularité. 
— Ceux qui se moquent trouvent toujours quelque chose à moquer chez leurs victimes. Si ce ne sont pas les cheveux, c’est autre chose. Je crois plutôt qu’il faut définir les agresseurs d’une part et les victimes d’autre part, exactement comme le couple criminel-victime. 
—  Vous y allez fort, comme si les gamins qui s’en prennent à un de leurs congénères à l’école, étaient de potentiels criminels. 
—  Eh bien, oui, en quelque sorte. La haine, la méchanceté, la jalousie a des racines. Celui ou celle qui est capable de tuer des animaux, de les dépecer, tuera plus facilement que les autres, une fois devenu adulte, de même que celui ou celle qui s’en prend aux plus faibles pour les tabasser ou les voler. Je ne crois pas qu’on devienne un meurtrier du jour au lendemain, je pense que c’est une identité qui se construit peu à peu. Le criminel a perdu la conscience du bien et du mal ou il ne l’a jamais eue, il ne voit que la réalisation ultime de son désir et tous ses actes tendent vers son objectif.
—  Autrement dit, ce que vous proposez comme point de départ d’un crime, serait l’histoire du criminel ? 
— Oui, absolument et je m’attarde effectivement aux biographies de mes suspects. Que leur est-il arrivé ? Comment s’est passée leur enfance ? Quel méfaits ont-ils commis ? Ou bien, quelles horreurs ont-ils subies ?
— Mais dans le cas qui nous préoccupe, nous n’avons pas la biographie des tueurs potentiels.
— Oui et non, il va falloir se pencher sur les hommes qui ont été condamnés pour agressions violentes, à connotation sexuelle ou non et qui sont maintenant dans la nature. En outre, il faut englober ceux qui se sont abreuvés d’images pornographiques et violentes et qui ont été condamnés pour cet usage.
—  Ça en fait un paquet ! 
— Je sais, mais il faut se limiter à ceux qui sont présents à Vannes et aux environs. 
— Vous ne croyez pas aux criminels itinérants ?
— Tu as raison, la libre circulation des personnes leur facilite la vie, mais en l’occurrence, il est nécessaire de s’appuyer sur le fait que tout criminel a besoin d’une base arrière ; À sa sortie de prison, le délinquant revient là où il se trouvait avant d’être arrêté, sauf si une décision judiciaire d’interdiction de ce territoire lui a été signifiée et encore, elle n’est pas souvent respectée… Conclusion, c’est toi qui te chargeras de passer au crible tous les délinquants rentrés au bercail, ces derniers mois. Remonte à un an, voire deux ans, pas plus, car à mon avis, le naturel et la nécessité  reviennent assez vite. 
— OK, je vais m’y mettre.
— Parfait, tu me feras un topo dès que tu auras réuni des éléments tangibles. Pour en revenir au petit gars de treize ans, si jamais il s’enfuit du foyer et que tu le re-chopes, tu me l’amènes, je verrai si je peux faire quelque chose pour ce gamin. 
Kevin Auster fixe le commissaire Vétoldi, il s’apprête à rétorquer que ça ne servirait à rien et que le gamin en question est irrécupérable et que quand il sera plus âgé, il aboutira en prison, mais il se retient, se rappelant à temps que le commissaire Vétoldi est son patron et que contredire un patron, c’est s’exposer à des ennuis… Il se lève et prend congé.
Une fois son adjoint sorti, Le commissaire Vétoldi sourit. Il murmure : le voilà occupé pour un bon moment. Il ne croit pas à la rédemption, moi si. Peut-être que moi, je suis plus capable que lui de me mettre à la place d’un criminel, à cause de mon passé. J’aurais pu devenir un meurtrier si j’avais choisi la vengeance et parfois je pense à celui qui a assassiné mon père et je le hais de toutes mes forces. Je sais qui il est, je sais où il vit, je sais aussi qu’il a soi-disant payé pour son crime, mais je sais qu’il ne regrette pas son geste et c’est sans doute pour ça que je lui en veux après tant d’années. Mes sept ans sont loin, mais c’est comme si l’enterrement de mon père s’était déroulé hier, tant les images sont fortes et présentes dans ma mémoire. À propos de père, je passerai un coup de fil à ma petite Maman, ce soir, après avoir vu Samsara Abessole.
Laissant de côté ses pensées personnelles, le commissaire Vétoldi résume sur son cahier d’enquête, l’entretien qu’il vient d’avoir avec son adjoint. La conclusion en a été qu’il va répertorier les délinquants sortis de prison et revenus au pays. 
Et lui, Dominique Vétoldi, quelle direction fixer pour ses recherches  ? 
Il n’a pas le temps d’aller plus loin dans sa réflexion, car son téléphone bipe, il s’exclame  : Déjà ? Il l’a programmé sur treize heures trente, afin d’arriver à temps au restaurant où il a réservé une table, un nouvel endroit, un resto indien situé non loin de l’hôtel de police. Il s’y rend. Le patron le reçoit en s’inclinant et le place sur une petite table solitaire près de la cuisine ; Les odeurs épicées le font saliver et il ne tarde pas à se retrouver avec devant lui, cinq plats différents dans lesquels il pioche. Un pur délice …

Suite au prochain épisode… Dimanche 26 Juillet 2020



[i] Voir les autres romans de l’auteure…