Épisode 7 : Qui est le vengeur des Révolutionnaires ?
La journée se termine et Inès a le cerveau en feu. Ce matin, elle a convenu avec la profileuse, Anastasie de Tolède, qu’il lui faudrait joindre tous les services susceptibles d’avoir soigné en hospitalisation ou en externe, un malade atteint de troubles mentaux, se prenant pour un héros vengeur de la Révolution française. Elle a rédigé un texte court à leur transmettre :
URGENT ! À la demande conjointe du Ministre de l’Intérieur et de la Ministre de la Santé, Dominique Vétoldi, ancien commissaire au Quai des Orfèvres, a été chargé d’une enquête sur les agressions de malades comateux. Comme vous le savez, sept malades plongés dans le coma, ont été débranchés ces dernières semaines. En étudiant leur passé, Nous avons remarqué que les victimes étaient toutes des descendants de Royalistes qui ont combattu la Révolution française. Quel que soit leur lieu d’hospitalisation, ils appartiennent majoritairement à des familles originaires de l’Ouest et plus particulièrement à des lignées bretonnes. Nous recherchons actuellement les malades mentaux qui se prendraient pour un des héros de la Révolution ou qui s’y réfèreraient ou encore à un de leurs descendants. Si vous avez soigné des personnes présentant ce type de troubles, merci de nous transmettre leur nom et leurs coordonnées ainsi que les conditions qui nous permettraient de les rencontrer.
Inès Benloch,détective privée, au cabinet de Dominique Vétoldi.
Inès a dressé une fiche par service psychiatrique, joint par téléphone ou à défaut par email. La Bretagne, premier lieu de ses recherches, possède sept territoires de santé, huit groupements hospitaliers de territoire, 400 personnes travaillent dans l’administration au niveau de l’Agence régionale de santé…Elle murmure : Paraît-il qu’on manque de soignants, cela ne m’étonne plus quand je vois le nombre d’administratifs.
Service psychiatrique dans les hôpitaux, clinique psychiatrique, hôpital de jour, CMP, les différentes structures de soin et d’accueil destinées aux personnes dont l’équilibre psychique est fragile sont complexes et nombreuses. Inès sait, pour l’avoir observé dans son entourage, que certaines maladies mentales sont favorisées par l’usage de stupéfiants, parmi lesquels le cannabis et tout un tas d’autres drogues. Leur dispersion et leur accessibilité au sein des groupes sociaux en a généralisé la consommation. À l’heure où elle a mangé un sandwich, en écoutant les nouvelles, elle a entendu qu’un Nigérian avait été arrêté pour trafic de drogues : il avait ingéré 290 grammes de cocaïne ; est-ce que les usagers de cocaïne pourraient un peu penser à ceux qui risquent leur vie pour leur permettre de consommer ?
Inès murmure : Si seulement les consommateurs pensaient aux autres… Que ce soit la drogue, ou n’importe quel produit, le consommateur ne pense qu’à lui… Voilà où le bât blesse dans nos sociétés à la con !
Heureusement, pour contrebalancer ses pensées pessimistes sur les êtres humains, elle tombe sur un entrefilet qui raconte le refuge créé par Mounira[1], une femme richissime qui, à Tanger, tente de s’occuper des enfants des rues, une goutte d’eau dans un océan de misère et de rêves, car tous ces jeunes n’ont qu’une idée en tête : Traverser le détroit de Gibraltar pour atteindre leur Eldorado, l’Europe. Dans une interview, l’un d’entre eux raconte : Quand les émigrés arrivent avec leurs grosses voitures et balancent leur fric, ça donne envie de faire comme eux…
Ce qu’il ignore, c’est la vie réelle menée par les expatriés croisés, qui jamais ne leur rapportent les galères et les sacrifices faits pour parvenir à rouler dans des grosses voitures et claquer du fric dans leur pays d’origine pour justifier ainsi leur choix, sans se soucier de l’impact sur les adolescents.
Bon, Inès est bien loin de ses comateux… Justement, des réponses commencent à arriver. Parmi celles-ci, plusieurs se contentent d’envoyer la liste des personnes plongées dans le coma hospitalisées dans leur service, avec pour commentaire : Si vous croyez qu’on a le temps de lancer une enquête sur l’origine de leur famille !
Inès renvoie aussitôt un mail expliquant que ce qu’elle demande est d’indiquer les personnes se prenant pour un révolutionnaire, ou qui manifesteraient une admiration sans borne pour un des héros de la Révolution. Elle ajoute une short liste avec les noms des héros révolutionnaires les plus connus qui ont été guillotinés :
Olympe de Gouges, qui, avant d’être guillotinée le 3/11/1793, a crié : Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort. Manon Roland, Égérie des Girondins, guillotinée le 8/11/1793, dont les derniers mots sont restés célèbres : Ô liberté, que de crimes, on commet en ton nom ! Antoine Barnave et Marguerite-Louis-Antoine Duport-Dutertre, guillotinés le 29/11/1793. Joseph Bara, tué à 14 ans par les Vendéens, le 7/12/1793.
Jacques-René Hébert, fondateur du journal, Le père Duchesne, guillotiné le 24/3/1794. Camille Desmoulins et Georges Danton, guillotinés le 5/4/1794. Alexandre de Beauharnais, guillotiné le 23/7/1794. Maximilien de Robespierreet Louis-Antoine de Saint-Just, guillotinés le 28/7/1794.
Inès relit les premiers noms de comateux transmis par les services où ils sont hospitalisés ; puisqu’il
en est ainsi, elle mènera les recherches, elle-même. Si l’agresseur a détecté le passé de ses victimes,
c’est qu’elle est à même de le faire elle aussi, car elle dispose des mêmes outils que lui ou elle. Inès
ferme le dossier des appels, jette un œil à sa table de travail, éteint la lampe, se lève, attrape sa veste
et s’enfuit. Elle a envie de marcher à travers les rues, de sentir l’air de la ville, de se plonger dans le
bruit puis de regarder descendre la nuit qui amène le calme. Elle aime déambuler dans la demi
lumière laissée par les réverbères, et imaginer les Parisiens endormis. Sa ville lui a tant manqué du
temps de ses missions, car soit elle courait à travers des pays souvent lointains, soit elle se reposait
lors de ses brefs séjours à Paris. C’est aussi cela qui lui a fait accepter de travailler aux côtés de
Dominique Vétoldi, connaître le calme après l’ouragan. Elle ne risque plus sa vie ici, comme elle la
risquait à chacune de ses missions et plus particulièrement lors de la dernière, car pour la première
fois, après son enlèvement par les Islamistes, elle a eu peur de mourir ; après sa délivrance par
l’Armée française, elle a su que plus jamais elle ne pourrait exercer son métier d’espionne. Quand la
peur s’installe, c’est fini, la peur emprisonne bien davantage que n’importe laquelle des prisons.
La suite au prochain épisode…
[1] Mounira Bouzid El Alami, psychanalyste puis fondatrice de l’association Darna, créée pour la defense des droits des citoyens. En 1995, elle ouvre le premier centre d’accueil et de formation destinée aux femmes précaires et aux enfants des rues de Tanger.
Source : Huffpostmahgreb.com