Épisode 6 : Réunion avec la profileuse
Inès a travaillé d’arrache-pied toute la journée de la veille sur les ascendants de ses débranchées, mais elle ne s’es pas arrêtée là, en effet, elle a attaqué le dossiers des débranchées potentielles, des comateuses pour lesquelles elle se faisait du souci. C’étaient elles qui la préoccupaient le plus, car si pour celles qui étaient mortes, il fallait rechercher le meurtrier, pour celles qui étaient encore branchées, il fallait éviter que ne vienne leur tour. À la fin de la journée, une idée obsédante avait envahi son esprit : Et si le tueur n’était pas le seul criminel, et si par exemple, agissant deux ou trois fois, il avait donné ensuite envie à d’autres, de l’imiter ?
Trêve de réflexion, Inès jette un coup d’œil à sa montre : Neuf heures.
D’ici une demi-heure, la profileuse, Anastasie de Tolède sera dans ce bureau. Ils s’installeront à trois, autour de sa table de travail, car le bureau de Dominique Vétoldi n’est pas pratique pour travailler à plusieurs. Une seule personne peut glisser ses jambes sous son niveau le plus bas, dans la partie arquée, encadrée par les blocs de tiroirs.
Inès a mené une recherche sur le nom de la profileuse et à sa surorise, elle n’a rien trouvé. Elle vit donc dans le secret, en dehors des réseaux sociaux, au point qu’Inès s‘est demandé si ce nom deTolèden’était pas un nom d’emprunt. En le tapant, elle a découvert son ancêtre ou du moins, l’ancêtre qui portait ce nom, Tolède. Elle murmure, Don Juan de Tolède,qui, dans une fiction à la Dumas[1], contait de belles histoires à Louis XIV enfant…
Inès sursaute, partie dans ses rêves, elle n’a pas vu la demi-heure passer et voilà qu’elle vient d’entendre le bruit que fait la porte cochère de l’immeuble en se rabattant brutalement. À ce propos, il faudra qu’elle trouve un bricoleur pour réparer le mécanisme cassé car depuis des semaines que le syndic doit faire intervenir quelqu’un… Elle déblaie ses dossiers à vitesse supersonique et sa table est vide quand Dominique Vétoldi entre, accompagné de la profileuse, elle se lève précipitamment pour la saluer et s’avance vers elle, en souriant.
— Bonjour Madame, je suis heureuse et fière de faire votre connaissance.
En réponse, Anastasie de Tolède découvre toute se dentition, qui serait une excellente réclame pour les dentistes :
— Moi aussi, soyez-en certaine, Dominique m’a parlé de vous en bien et il a insisté sur vos exploits antérieurs.
— Exploits qui se sont bien mal terminés…
— Il en est ainsi dans la vie de ceux qui, en secret, œuvrent pour leur pays. En général, leur vie professionnelle ne se termine pas bien, mais vous, vous êtes en vie, c’est déjà en soi, une belle réussite, en outre, vous avez su vous adapter et changer de métier. Bravo ! Cerise sur le gâteau, vous avez bien choisi, car Dominique, notre cher commissaire, est plus que qualifié pour vous former et faire de vous, la meilleure détective privée de la place de Paris, enfin, après lui, naturellement. Et si nous nous mettions au travail ?
Dominique Vétoldi la regarde en souriant d’une façon telle qu’Inès devine qu’ils n’ont pas faits par le passé que de travailler ensemble mais qu’il leur est arrivé de partager quelques heures, voire quelques nuits d’intimité.
— Merci, Anastasie pour ton panégyrique, j’y suis sensible et je te renvoie le compliment. Si tu es ici, dans mon bureau, c’est que tu es actuellement la profileuse la plus douée du moment. Bien, passées ces salutations, Inès, je te laisse la parole. Nous t’écoutons.
Inès se saisit de la fiche qu’elle a préparée en vue de la réunion, car elle craignait d’oublier un élément essentiel de son enquête ; elle présente d’abord les faits puis ce qu’elle en a déduit grâce à ses recherches et elle insiste sur les caractéristiques communes repérées chez les débranchées ainsi que sur le travail commencé auprès de celles qui ne le sont pas encore, mais qui pourraient devenir les prochaines victimes.
— Félicitations, vous avez bien travaillé. Avant de vous rencontrer, j’étais au courant de cette bizarre affaire de comateux qu’il faut débrancher ou non, par les medias, lesquels mêlent, comme à leur habitude, les affaires récentes et réelles, à des projets de réforme, sans faire la part de l’éthique et surtout sans reposer la définition de la mort, mais je ne suis pas ici pour choisir la thèse de l’euthanasie ou pour la réfuter. Je pense que notre époque devra affronter tôt ou tard, une nouvelle définition de la mort, et que ce sera tout, sauf facile. En ce qui concerne l’affaire qui vous préoccupe, je suis d’accord avec vous pour envisager l’hypothèse de la revanche historique. Nous avons donc, d’un côté, les Royalistes, représentés dans l’esprit malade de l’agresseur par les descendantes de Royalistes qui ont combattu la Révolution, et de l’autre côté, les Révolutionnaires, qu’il prétend venger. Ce qu’il nous faut comprendre, c’est la raison pour laquelle il se replonge dans ce passé déjà lointain. Rechercher les victimes parmi les Révolutionnaires, qui pourraient être ses ascendants serait long et fastidieux, ce que je propose de plus simple et d’immédiatement applicable, serait de répertorier les malades suivis pour des troubles mentaux graves qui ont été hospitalisés et qui sont actuellement plus ou moins suivis. Les soignants, la plupart du temps, racontent ce que leurs patients élaborent comme mythe, dans leur délire. Certains d’entre eux se prennent pour un nouveau Christ, d’autres pour un personnage grandiose qui a marqué l’histoire. En l’occurrence, il s’agirait ici de rechercher tous ceux qui se réfèreraient à un héros de la Révolution et peut-être plus spécifiquement, à celles et ceux d’entre eux qui agiraient en référence à des révolutionnaires de l’Ouest de la France. Donc, il conviendrait de vous mettre en contact avec les services psychiatriques hospitaliers et ceux des cliniques privées, ainsi que les CMP[2]des villes où ont eu lieu les agressions, peut-être cette première enquête atteindra-t-elle votre objectif qui est de trouver l’assassin ? Si elle ne suffit pas, il faudra élargir la recherche à toutes les villes qui possèdent un service psychiatrique et ou un CMP au niveau national. Une fois que vous aurez listé le ou les éventuels possédés par leur ancêtre révolutionnaire et qui sont habités par l’idée de les venger, nous en reparlerons, car il faudra bien préparer leur approche. Il s’agit de personnes qui pourraient s’avérer extrêmement dangereuses si elles réalisent que vous avez perçu leur secret, car leur vie repose sur un mythe et si leur mythe s’effondre, ils ou elles se retourneront contre ceux ou celles qui leur enlèveraient leur raison de vivre.
— Et qu’en est-il de leur rapport aux medias ? L’agresseur recherche-t-il la publicité ?
— Je ne le pense pas. Il est enfermé dans son mythe. Il a une mission quasi divine à accomplir, il doit supprimer ceux ou celles qui se sont opposés à la Révolution et peut-être à son ancêtre ou au personnage mythique de la Révolution dont il se prétend le représentant. Bon, je suis désolée, je dois m’éclipser, j’ai un rendez-vous que je n’ai pas pu reporter. Je vous propose de nous revoir dès que vous aurez détecté le ou les malheureux possédés, OK ?
Dominique Vétoldi donne son accord et la profileuse se retire après les avoir salués. Une fois la porte refermée et Dominique Vétoldi revenu dans le bureau, Inès constate :
— Je suis très choquée par le fait qu’elle ait juxtaposés malheureux et possédés, pour moi, celui ou celle qui débranchent les comateuses n’est pas un malheureux possédé mais bien un assassin et puis, j’ai le sentiment de rester un peu sur ma fin
Vétoldi paraît étonné et il dit au contraire tout le bien qu’il pense des propos de la profileuse, puis il conclut :
— Allez, Inès, je vous abandonne à votre enquête et je retourne à la mienne. Comme vous risqueriez de me déranger par vos appels, je file au café, nous nous retrouverons en fin de journée, pour voir l’avancement de votre travail, à ce soir.
Inès opine du chef sans répondre, et une fois Vétoldi sorti, elle pousse un gros soupir, cette enquête ne l’enchante pas, surtout maintenant qu’elle a un plan de vol tout tracé…
La suite au prochain épisode…