Épisode 6 : L’attente du copain devient angoissante pour Maeata
Une semaine déjà depuis la visite à Paris de mon ami Kadvael, le temps passe si vite. La livraison de mon copain sur mesures se rapproche dangereusement et je paniquais de plus en plus.
Qu’est-ce qui m’a pris d’imiter ma copine ? Je ne lui ressemble pas. Elle est tout à fait épanouie avec son copain, il s’est avéré parfaitement conforme à la liste des souhaits qu’elle avait dressée lors de sa commande, et très fière, elle m’a montré le document sur lequel elle avait coché toutes les cases après quelques jours de vie commune avec son copain. Donc non seulement, elle était satisfaite de sa commande et du résultat, mais autour d’elle, ses fréquentations sont unanimes. Il est l’homme parfait. Ses copines, un rien jalouses, cherchent à savoir où elle l’a rencontré, cette perle, mais elle reste imperturbable et ne révélera pas son secret.
Moi seule, je sais ce qu’il en est, je sais d’où il vient mais je lui ai promis le secret et je respecterai la parole donnée.
Plus que trois semaines avant que le copain ne débarque dans ma vie. Hier, Madame rêves sur mesure m’a téléphoné, elle voulait connaître le prénom de mon futur copain, je suis restée sans voix, j’ignorais que c’était à moi de lui choisir un prénom. Je n’en ai pas dormi de la nuit, à deux heures du matin, j’étais debout, à relire le contrat que j’avais signé car je m’apercevais que je ne connaissais pas toutes les clauses puisque par exemple, je ne savais pas qu’il me revenait de nommer mon copain. Exercer une pleine autorité sur un être m’atterrait. Lors de ma commande, j’ai défini ses traits de caractère physiques et mentaux. Joint à mon contrat, il y a une photographie le représentant, il est magnifique au point que son extrême beauté me fait peur. Comment me comporterai-je à ses côtés ? Les yeux du monde seront fixés sur lui et moi, je ne serais que sa faire-valoir ? C’est de la faute de Madame Rêves sur mesures, c’est elle qui m’a dit que je me devais de commander un très bel homme, qui me serait assorti. Certes, sur le moment, j’avais apprécié son compliment, mais il ne correspondait pas aux priorités que je m’étais assignées depuis que j’avais atteint ce qu’il est convenu d’appeler l’âge adulte, c’est à dire vingt-cinq ans, l’âge qui signe la fin de la croissance osseuse. Je n’ai jamais cherché dans ma vie à profiter de ma belle enveloppe, et je me suis battue pour qu’autour de moi, on reconnaisse mes qualités intellectuelles et morales.
Penser à mon parcours, penser à mon âge, me renvoie à mes inquiétudes. Lui, le copain, il n’aura pas d’âge réel car il n’a pas d’histoire, il va naître à trente ans et si je ne le ramène pas régulièrement à l’atelier de fabrication, il ne vieillira jamais. Hier encore, Madame Rêves sur Mesure m’a proposé de signer un contrat à long terme qui inclurait les modifications à apporter à mon copain au fil du temps et j’ai refusé, en disant que je préférais agir au coup par coup et attendre qu’il ait besoin d’ajustements. Elle a alors déclaré que j’avais tort et que moi, je prendrais de l’âge de façon imperceptible mais constante et qu’il faudrait que cela se passe pour lui aussi, parce que de superbement assortis, nous allions passer à tristement désassortis. Elle m’a dit que le contrat à long terme prévoyait une à deux révisions par an et que les dépannages étaient compris en cas d’urgence.
Le contrat, après avoir décrit mon futur copain sur le plan de son aspect physique, abordait ses qualités intellectuelles et ses capacités diverses et variées. J’avais demandé qu’il fasse bien la cuisine, qu’il sache jouer aux échecs, qu’il connaisse la tahitien, la langue de mes grands-parents, et qu’il parle le plus de langues étrangères possibles. Mais quand j’avais abordé le problème des langues, Madame Rêves sur mesures avait souri, et avec ironie, voire moquerie, elle m’avait demandé :
– Vous ne faites pas confiance à votre traducteur instantané ?
Et j’avais répondu :
– Si, dans le cadre du travail mais pas dans l’intimité. Mon traducteur n’a pas de subtilité et parfois, il me propose plusieurs possibilités sans tenir compte de ce que j’ai dans la tête. Il lui manque l’intuition et ça, c’est impardonnable. Dans la relation humaine, supprimez l’intuition, et vous obtenez des robots. Elle avait été très étonnée par ma réaction et m’avait confié qu’elle n’était pas certaine de me fournir un copain qui possédât cette caractéristique. L’intuition ne pouvait se programmer, mon futur copain pourrait me comprendre intellectuellement parce qu’on allait lui inculquer tous les schémas nécessaires à la formation de son comportement intellectuel en réaction au mien, mais l’intuition était le résultat de gestes, de non-dits, de tant et tant de phénomènes qu’il était impossible à cataloguer.
Comment ferai-je ? Moi qui étais une pure intuitive, qui avait choisi de travailler dans la pub’ parce que je pouvais utiliser ma créativité et mes capacités à me représenter l’avenir ? Par moments, je me prenais la tête au point de sentir la folie me gagner. Peut-être que mon futur copain allait me rendre folle ? Nous fonctionnerons sur des registres tellement différents qu’au lieu de me sentir moins seule, je me sentirais beaucoup plus seule qu’avant.
La journée n’était pas finie mais j’ai pris du retard dans le projet sur lequel je travaille. Je dois mettre au point une campagne de publicité en faveur d’un tout nouveau traitement qui permet de faire évoluer sa couleur de peau.
Il se compose de deux produits différents, une crème à appliquer sur la peau et des comprimés à avaler. Les deux conjugués étaient censés selon le dosage adopté foncer ou éclaircir petit à petit la peau. Alors que je fais souvent des essais sur moi-même quand il s’agit de vanter les mérites d’un produit esthétique, pour ce composite, j’ai décidé de ne pas essayer sur moi, car ma peau me convient. Je suis couleur café crème, mes grands-parents tahitiens m’ont transmis cette couleur difficile à caractériser tandis que grâce à mes parents, j’ai les yeux de la même teinte que les lagons de mon pays d’origine. Madame Rêves sur mesure m’a influencé dans l’élaboration de l’aspect physique de mon futur copain, et bientôt, je vais me retrouver au côté d’un homme grand, athlétique, aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Une fois que j’ai eu défini mon copain, elle avait ajouté :
– Si un jour vous souhaitez des enfants, vous pourrez les faire fabriquer en tenant compte de vous et de votre compagnon, le mixage fera des enfants exceptionnellement beaux. Qu’est-ce que vous leur choisirez comme couleur de cheveux ?
J’avais rétorqué que j’avais déjà beaucoup de mal à me faire à l’idée de bientôt vivre avec un copain, alors de là à imaginer la fabrication d’enfants, je n’étais pas prête à ce jeu. Elle avait souri et elle m’avait dit :
– Ben, vous y viendrez, vous ferez comme tout le monde. Avoir des enfants fait partie de la vie. Je ne connais plus de foyers qui renoncent. Tout le monde a le souci de se perpétrer.
Après cet échange de paroles, je m’étais dit que si les gens faisaient tous fabriquer leurs enfants, alors il y aurait de plus en plus d’hommes et de femmes fabriqués sur mesures et que les hommes et les femmes faites de chair et de sang allaient disparaître…
Suite au prochain épisode, le vendredi 8 juin…