ÉPISODE 4 – En route vers le Commissariat de Vannes

 

4 En route vers le Commissariat de Vannes

 

Paul a longuement hésité avant de faire ce trajet vers Vannes puis, brusquement il a acheté son billet et ce samedi 12 septembre, il a embarqué dans le train de 8 heures 58.

Il déplie le journal qu’il vient d’acheter. Alors qu’il reçoit ce quotidien sous sa forme numérique, lorsqu’il voyage, il achète toujours le format papier. Cela lui rappelle de bons souvenirs. Son père était abonné lui aussi. Certes, ce n’était pas le même titre puisque son père lisait L’Humanité tandis que lui, Paul, lit le Figaro, mais le bruit des feuilles qui tournent et les doigts tachés d’encre, ont bercé son enfance. Il revoit son père, assis dans son fauteuil à bascule, sur le balcon de l’appartement HLM. Il sourit. Malgré les restrictions imposées par leur faible salaire, ses parents étaient heureux à cette période, puis bien plus tard, il y avait eu le tsunami…

Les yeux de Paul picotent. Celle qui avait été là, à ses côtés, c’était Anna, Anna l’avait soutenu, écouté, aidé, aimé…

Oui, c’était de l’amour qu’elle lui portait, pas l’amour tel qu’il est décrit partout dans les gazettes pour esseulés, mais l’amour avec un grand A, l’amour désintéressé, ce sentiment qui vous fait vous sentir en harmonie avec un ou une autre. Les feuilles de son journal ont glissé par terre, son voisin les lui ramasse, il sort de sa rêverie pour le remercier :

— Excusez-moi, j’ai l’esprit ailleurs.

— Je vous en prie, cela m’arrive à moi aussi, surtout dans le train. On sommeille, l’esprit s’évade, on sort de sa routine. Les voyages forment la jeunesse, dit-on, moi, je crois surtout que se déplacer, aller d’une ville à l’autre, permet de se distraire au sens propre du mot. On laisse ses soucis à la gare de départ, on revêt les vêtements et l’état d’esprit de la ville d’arrivée. C’est pourquoi je comprends si bien que des personnes mènent une double vie. Une famille dans chaque lieu. 

Amusé, Paul sourit :

— C’est votre cas ? 

— Non, mais je pourrais. Ce qui m’arrête est la peur de me perdre entre les deux. Comment arriver à couper, à arrêter une histoire pour entrer dans l’autre ? J’admire ceux qui parviennent à le faire, pas vous ?

 Je ne me suis jamais posé la question, car pour ma part, je n’ai pas de famille, ni à Paris où je travaille, ni à Vannes où je vais.

— Cela viendra, vous êtes jeune. Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? 

— Je suis médecin.

— Ah, et comment vous est venue l’idée de faire métier ?

— Mon père est mort très brutalement, d’un cancer du pancréas. Il a disparu de ma vie, de la vie de ma mère, en quelques semaines ; je pensais étudier le Droit et sa mort m’a précipité vers la médecine. Je venais tout juste de passer mon bac’, j’ai eu quelques difficultés à modifier mon choix d’orientation, mais j’étais si déterminé que j’y suis parvenu.

— Où avez-vous fait vos études ?

— À l’université de Bobigny, c’était la Fac’ la plus proche de chez moi. J’en suis sorti à vingt-cinq ans comme médecin généraliste et je suis entré tout de suite après dans un cabinet de groupe à Saint-Denis. 

— Vous avez du courage, ce n’est pas une population facile.

— Au moins, les personnes qui nous consultent rencontrent de vrais problèmes de santé. Je préfère soigner dans des quartiers dits difficiles que dans des quartiers riches et puis, moi, je suis issu du même environnement que mes patients. Et vous, vous faites quoi ? 

— Moi, je fais de la politique si on peut dire ça comme ça, parce que la politique n’est pas un métier mais pour le moment, c’est ce qui m’occupe. 

— Vous êtes député ? 

— Oui.

— D’où ?

— Ah c’est un peu spécial, je représente les Français vivant à l’étranger.

— Cela signifie que vous vivez vous-même ailleurs qu’en France ?

— C’était surtout vrai avant mon élection. J’ai travaillé dix ans au Québec et depuis que je suis député, je suis beaucoup plus à Paris, mais ma famille est restée au Québec. 

Paul comprend mieux la remarque faite précédemment par son interlocuteur :

— Ah, je comprends, voilà la raison de votre questionnement sur les doubles vies. Vous vous sentez seul à Paris…

— De temps en temps, mais je communique tous les jours par Skype avec ma famille. 

— Le lien virtuel, ça vous suffit ?

— Je m’en contente et je suis tellement occupé par mes différentes fonctions que je n’aurais pas le temps de construire un autre lien.

— Je me demande ce que vous allez faire à Vannes, car à ma connaissance, cette ville n’a pas de lien avec le Québec.

— Je ne vais pas à Vannes, mais à Quimper. Quimper est jumelée avec Saint-Jean-sur-Richelieu, une ville située au nord de Montréal. Le comité de jumelage organise un évènement exceptionnel. Et vous, qu’est-ce que vous allez faire à Vannes ?

Paul ouvre la bouche, il était sur le point de raconter à son voisin la raison réelle de son voyage, mais ce serait ridicule et déplacé. Les mots qui lui viennent l’étonnent lui-même :

— Je vais rendre visite à des amis que je n’ai pas vus depuis longtemps.

— Vous devez en être heureux. Pourtant, à constater votre préoccupation, j’aurais pensé que vous y alliez pour une raison moins gaie. Comme vous me parliez tout à l’heure de la mort de votre père, j’avais pensé que votre déplacement était lié à ce triste épisode de votre vie. 

Paul regarde son voisin, celui-ci semble s’intéresser à ce qu’il lui dit, il ne parait pas chercher à en savoir plus sur lui par curiosité, mais plutôt par l’intérêt qu’il lui porte. S’il a l’habitude d’échanger avec ses voisins de voyage, il est surpris par l’intimité que revêt la conversation d’aujourd’hui. Le plus simple pour lui répondre est de poursuivre sur sa réponse précédente et peut-être que ce qu’il vient d’inventer, coïncidera un jour avec la réalité ? En effet, pourquoi, le commissaire Vétoldi qu’il a prévu de consulter, ne deviendrait-il pas un jour, un de ses meilleurs amis ? Aussi dit-il :

— Mon ami vient de perdre son père à son tour et je pense trouver les mots justes car je suis passé par là.

— Ah, je comprends votre émotion, vous vous rendez à l’enterrement du père de votre ami, c’est tout sauf drôle. 

— Oui, ce n’est pas drôle, mais la vie est ainsi et la mort fait partie de la vie. Les gens l’oublient et moi aussi parfois quand je soigne une personne proche de sa mort ou quand la maladie grave survient de façon inattendue chez un patient jeune. 

— La mort est souvent injuste, vous avez vu ce qui s’est passé pour le COVID ? Des jeunes aussi sont morts, contrairement à ce qui se disait au début de la maladie. 

— Ce n’est pas la première épidémie dont souffre les humains.

— Certes, mais c’est la première épidémie mondiale. C’est la rançon des échanges internationaux et de l’interdépendance des États. 

Leur conversation s’arrête là et Paul respire, il n’aurait peut-être pas été capable de continuer à simuler une amitié imaginaire avec le commissaire Vétoldi. Il essaie de rassembler ses idées et comme il éprouve quelques difficultés à le faire, il se lève et va s’installer entre les deux wagons. Une jeune femme est au téléphone. décidément, le TGV n’offre plus d’endroit calme. Il se résout à sortir son agenda de sa poche et commence à y inscrire les idées qui lui viennent à propos d’Anna et le prénom de son ex revient constamment, Rodolphe… Il le connaissait, bien sûr, Anna lui avait fait rencontrer mais d’emblée, dès la première fois où il l’avait vu, Rodolphe l’avait mis mal à l’aise. Il lui avait à peine dit bonjour et voilà qu’il lui avait lancé : Alors comme ça, il paraît que vous êtes le meilleur ami d’Anna ? Il avait hoché affirmativement la tête, en regardant plus Anna que son ami, puis ils étaient passés à table. Anna avait préparé une de ses spécialités, du bortch. Dès la première cuillère, Rodolphe avait froncé le nez et dit : Oh, c’est affreusement acide, ton truc ! Ces plats russes, c’est infect comme les gens qui viennent de ce pays !

Anna avait dit de sa voix douce : Tu oublies, mon chéri,  que je suis d’origine russe. 

Lui, Paul, avait souligné à quel point le bortch était délicieux et qu’Anna était une excellente cuisinière. Rodolphe avait grommelé puis il avait repoussé son assiette en demandant si Anna pouvait lui prépare des œufs au plat. Elle s’était exécuté et Paul en avait été ébahi. Que lui arrivait-il ? Il ne reconnaissait plus son Anna, la jeune femme qu’il connaissait depuis toujours, avant même d’être conscient de la présence des autres. Ils étaient entrés ensemble à la crèche, âgés de trois mois. Dès la première année, on les avait surnommés les petits fiancés. Cela les avait suivis jusqu’au collège. S’ils étaient restés amis, ils avaient alors construit chacun, une bande de copains différent. Au lycée, ils s’étaient davantage fréquentés bien que leurs horaires aient été très différents car Anna avait intégré parallèlement le conservatoire tandis que Paul s’investissait dans ses études générales. 

À la mort de son père, à Pâques, Anna avait été tellement présente que Paul avait senti sa douleur s’atténuer et il avait été capable de passer son bac’ avec succès. il pensait souvent que sans Anna, il n’y serait pas arrivé et se serait laissé couler. il lui devait de connaître la vérité de sa disparition puis de sa mort. Voilà, il était dans le lien avec Anna, il saurait quoi dire au commissaire Vétoldi et il était temps car le train entrait en gare …

Suite au prochain épisode, le 13 septembre 2020

 

 

 

 

 

 

 

 

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