Épisode 14 : Enquête à l’hôpital, suite

Épisode 14 : Enquête à l’hôpital, suite
Inès Benloch enquête à l’hôpital de Belle-Ile, elle vient d’échanger avec la réceptionniste à propos d’un intérimaire qui a effectué un remplacement d’agent d’entretien, au mois de février 2019. Celle-ci lui a proposé de rencontrer Mélina Daillant qui, d’après elle,  est restée en relation avec Jean-Malik Al Kharmaz.
Mélina Daillant arrive tout sourire, mais ses traits sont tirés et la fatigue se lit sur son visage.  La réceptionniste, Martine Orech précise :
Madame Benloch enquête sur l’agression de la patiente qui est morte. 
Ah d’accord, bonjour Madame. 
Bonjour, merci d’accepter de répondre à quelques questions. Madame Orech m’a dit que vous avez travaillé ici au mois de février, avez-vous rencontré Jean-Malik El Kharmaz pendant son remplacement ?
Oui, bien sûr.
Êtes-vous resté en contact avec lui ?
Oui, nous échangeons via les réseaux, mais il n’est pas revenu sur l’île.
Vous êtes certaine de cela?
En tout cas, il ne m’a pas dit qu’il avait l’intention de revenir. Il m’avait promis que s’il était de nouveau à Belle-Ile, il me ferait signe.
Et vous, vous l’avez revu sur le continent ? 
Oui, deux ou trois fois, c’est un copain.
Vous avez rencontré sa famille, ses amis ? 
Un peu, pas sa famille, ses copains, oui. Il fait de la moto, il fait partie d’une bande de bikers et moi, j’aime bien même si je n’ai pas de moto à moi.
Quelle impression vous a-t-il fait lorsqu’il était ici ?
Sympa, on s’est tout de suite bien entendus.
Avait-il une relation avec les malades et de quelle nature ?
Oui, même s’il était là pour nettoyer les chambres, cela ne l’empêchait pas de leur parler. Il est très gentil.
Vous a-t-il parlé de la patiente qui était dans le coma et qui a été agressée ?
Mélina fixe Inès Benloch, d’un air méfiant, elle hésite à répondre, si bien qu’Inès l’encourage :
Vous pouvez me dire le fond de votre pensée, je ne fais pas partie de la gendarmerie, je ne répèterai rien.
Mélina finit par reconnaître à voix très basse :
Hum, ce n’est pas bien, mais c’est vrai qu’on riait à son sujet. La voir comme ça, complètement dans le cirage ; elle restait sans réaction, on pouvait dire tout ce qu’on voulait, et elle était comme une statue de marbre, ça fait bizarre. Une morte vivante. Moi, ce que je pense, c’est que la personne qui l’a débranchée lui a rendu service, franchement, elle est mieux là où elle est.
Jean-Malik El Kharmaz pouvait se montrer cruel, si je comprends bien ?
Cruel, non ! Travailler à l’hôpital, c’est difficile et encore plus pour lui. Vous imaginez, faire le ménage et en plus pour un homme, c’est encore pire que pour une femme.
Il n’avait pas de projet pour évoluer ?
En fait, il faisait ça en attendant de faire autre chose, l’hôpital n’était pas un milieu qui lui plaisait, donc, il ne voulait pas avancer, il aurait voulu faire de la musique dans les bars, voilà, ça, c’était son rêve.
il jouait d’un instrument ?
Non, mais il aurait bien aimé.
Il pouvait apprendre, non ? 
Oui, on dit ça, mais ce que vous avez pas eu quand vous étiez petit, vous ne le rattrapez jamais. Jouer d’un instrument demande des années et en plus arriver à en vivre… On les voit les jeunes qui viennent passer les étés et qui jouent devant les bars, ou dans les rues. Ce qu’il gagne leur permet de vivre un été et peut-être quelques mois.
 Vous en connaissez, vous avez parlé avec certains d’entre eux ? 
 Oui, c’est des jeunes de mon âge. Ils font de la musique dans le métro à Paris, l’hiver. J’en ai parlé à Malik, et je lui ai dit qu’ils s’en tiraient plutôt bien, alors c’était pour qu’il apprenne  à jouer. Il a acheté une guitare d’occasion à la fin de son séjour. Un copain à moi vendait la sienne pour pas grand-chose, il voulait s’en débarrasser.
 Ils se sont rencontrés ?
 Ben oui, ils se connaissaient. Assez vite, deux jours après son arrivée à l’hôpital, Malik et moi on a pris un café ensemble à la cafet’ et puis il a fait connaissance de mes amis.
 Il en revoir certains ?
 Je vous ai dit qu’il était pas revenu ici, alors non, je pense pas.
Bien, il a appris à jouer depuis ?
Oui, enfin, il apprend tout seul, il a pas l’argent pour payer les leçons, mais il se débrouille pas mal, je trouve et je lui ai dit pour l’encourager.
Inès repense à son enfance, si triste dans un faubourg d’Alger et au long chemin qui l’a amené jusque-là,
Je suis persuadée et on le vérifie tous les jours, de nombreuses personnes parviennent à rattraper ce qu’ils n’ont pas eu pendant l’enfance. C’est une question de courage et de détermination et aussi de soutien autour de soi. Encore faut-il savoir vers quoi on va, la plupart des jeunes actuellement ne savent pas où ils ont envie ou veulent aller. Il faut qu’ils retrouvent l’espoir.
 Encore faut-il qu’ils aient les moyens. Regardez-moi, pourquoi je fais ce taf ? Je veux rester ici, Belle-Ile, c’est chez moi, alors qu’est-ce que j’ai comme choix ? À part l’hôpital, je pourrais travailler comme serveuse dans un café restaurant, mais je ne serais alors employée qu’à la saison. Vous les avez vus les saisonniers ? Ils traînent tout l’hiver en attendant que la saison arrive enfin.
Ils pourraient partir faire la saison d’hiver à la montagne.
Vous êtes bonne, vous, alors comme ça, ils quitteraient leurs amis, leur famille, pendant six mois?
Et pourquoi pas ?
Mélina secoue la tête et dit :
Je crois que vous ne comprenez rien, vous êtes favorisée, vous n’avez jamais rencontré de problèmes, vous !
C’est ce que vous croyez, mais au contraire, j’ai eu un long parcours de lutte derrière moi pour arriver là où je suis.
Mélina jette un regard étonné à Inès, puis elle clôt l’entretien :
C’est pas tout ça, faut que j’y retourne, j’ai pas fini, je dois faire le point avec Isa. Salut Martine, à plus, au revoir Madame Benloch.
Au revoir Mélina et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. J’ai une dernière chose à vous demander, vous pourriez me transmettre le téléphone de J.M. El Kharmaz ? Cela m’éviterait de perdre du temps à le chercher.
D’accord, je le donnerai à Martine qui vous le passera.
Merci, et à bientôt.
Mélina a déjà filé, elle est visiblement très pressée de s’enfuir.
Inès remercie Martine Orech de son aide puis elle quitte l’hôpital. Il faut qu’elle informe le capitaine de ce qu’elle vient d’apprendre.
À Suivre la semaine prochaine…