ÉPISODE 10 : UNE HISTOIRE DE VALISE

                                                    Image de Twarezak : Image Pixabay, 2020


 ÉPISODE 10 : UNE HISTOIRE DE VALISE

Dimanche 18 Octobre 2020

 

Adriana jette un ultime coup d’œil aux six valises qu’elle a mises de côté il y a quelques jours afin de les jeter. Elle a l’intention de les embarquer dans sa voiture aujourd’hui même. Un dernier doute l’assaille tout à coup : Et s’il restait quelque chose dans l’une d’elles ? Les a-t-elle suffisamment fouillées ? 

Elle les ouvre une à une et contrairement à la première fois où elle l’a fait, elle ôte le tissu qui recouvre le fond. Alors que trois valises gisent comme des cadavres dépecés à travers le salon, Anna cisaille la quatrième, sa main a touché un objet… Son cœur se met à battre violemment, qu’est-ce que c’est ? Elle enlève l’objet suspect, c’est un cahier.

Adriana ferme les yeux. Va-t-elle l’ouvrir ou pas ? Ou bien le remettra-t-elle à la famille d’origine d’Anna ? Elle tient pendant plusieurs minutes le cahier sans parvenir à prendre une décision. Puis, Adriana s’adresse à son amie disparue :

Qu’aurais-tu souhaité, ma belle et tendre amie ? Ma si jolie compagne, le grand amour de ma vie… Je te le promets, je ne te remplacerai jamais, jamais. Je sais que  tu m’entends de là où tu es. Dis-moi ce que tu souhaites et je t’écouterai. Que veux-tu que je fasse de ton cahier car c’est ton cahier, je suppose. À moins que ce ne soit celui d’un ou d’une autre ? Qui le sait ? Je découvre que tu me cachais tant de secrets. Ta jumelle, ton ami d’enfance… Et quoi d’autre encore ? 

Alors oui, je vais l’ouvrir et j’espère qu’il m’apportera la réponse aux horreurs qui ont mis un terme à ta vie et en partie à la mienne, car en te tuant, ils m’ont tué moi aussi. Ils ont assassiné mon bonheur, notre bonheur.

Adriana tourne précautionneusement la page de couverture en cuir noir avec un rabat qui retient la partie usagée du cahier. 

Un titre. Les yeux d’Adriana clignent. Il est écrit en caractères cyrilliques. Elle tourne les pages une à une, tout le cahier est écrit en russe. Adriana ne connaît pas cette langue. Elle constate, désabusée :

 Voilà un secret de plus. Que dois-je faire de ton cahier ? Tu l’avais dissimulé, tu ne voulais donc pas que j’en prenne connaissance. Mais maintenant que tu es morte et morte assassinée, si jamais il contenait une information capitale qui pourrait mettre les enquêteurs sur la piste de celui ou de celle qui t’a sauvagement tuée. Paul m’a parlé de ce commissaire qu’il est allé voir à Vannes. Voilà, je vais parler à Paul de ce cahier et je le laisserai décider de ce qu’il faut faire. Mais non, ce n’est pas possible. Imaginons qu’il soit pour quelque chose dans ta disparition ? 

Non, je ne peux pas prendre ce risque, je dois me méfier de tous ceux qui te connaissaient. Devrais-je le donner à ta famille, à ton frère qui m’a appelée et le laisser en faire ce qu’il veut ? 

Mais je ne le connais pas, je ne l’ai jamais vu. En outre, maintenant que j’ai en mémoire notre contrat de communauté qui me rend de droit ton unique héritière, il va être furieux en apprenant que sa sœur ne leur a rien laissé. Vers qui me tourner ? Je me sens si seule. Anna, pourquoi m’as-tu abandonné, livré aux puissances du mal ? Si seulement tu m’avais parlé, j’aurais peut-être pu te protéger.

Le téléphone d’Adriana sonne. Elle s’en saisit et regarde qui l’appelle, mais il ne s’agit pas d’un appel, c’est la sonnerie qu’elle a programmée afin de se préparer pour se rendre au rendez-vous prévu chez le notaire. 

Vite !

Elle a calculé au plus juste. Elle passe sous la douche, puis revêt son tailleur gris. Au moment de partir, elle noue autour de son cou un des foulards d’Anna. Le parfum de son amie lui fait monter les larmes aux yeux. 

Mon Dieu, Anna, comme tu me manquesAide-moi, je t’en prie.

Adriana fixe les bretelles de son sac à dos sur ses épaules, puis elle ferme la porte de l’appartement. L’étude du notaire est à l’autre bout de Paris, elle a vu que le 92 pouvait l’amener suffisamment près du quartier Wagram. Elle se rend à la station, le Bus arrive. Elle s’installe tout au fond et feuillette un journal dans le but de chasser les questions et les souvenirs qui envahissent son esprit. Un peu plus d’une demi-heure plus tard, elle descend du bus puis parcourt à pied la distance qui la sépare de l’étude notariale. Elle arrive pile à l’heure dans cette officine qui compte une bonne dizaine de notaires. 

La porte de l’étude est entrouverte, elle entre et se présente à l’accueil où deux hôtesses officient :

— Bonjour Madame, Je suis Adriana, j’ai rendez-vous avec Maître R. 

— Bonjour Madame, je le préviens de votre arrivée, il va venir vous chercher. 

Une ou deux minutes plus tard, Maître R. est là, il s’approche et la salue, puis il dit :

— Venez s’il vous plaît.

Elle le suit et elle se retrouve dans une petite salle de réunion, équipée d’une grande table et de quelques chaises rangées tout autour.

— Je vous en prie, prenez place.

Adriana s’assied en face du notaire.

— Bien, je vous ai demandé de venir mais en réalité, la succession de votre compagne est très simple. Vous avez signé ensemble un contrat de communauté universelle, du fait de sa disparition, vous êtes propriétaire de tous ses biens. J’ai prévenu sa famille.

— Comment ont-ils réagi ?

— Mal, je ne le vous cache pas. J’ai eu Pierre Pavlovitch Bounine, son frère aîné au téléphone. Je lui ai annoncé les dispositions qui s’appliquaient à l’héritage de sa sœur. Il m’a dit qu’il allait intenter une action en justice à votre encontre. J’ai essayé de l’en dissuader en lui disant qu’il n’avait aucune chance de faire aboutir sa demande, mais il n’a rien voulu entendre. 

— J’ai eu un contact avec cet homme. Il m’a téléphoné sur mon portable personnel, j’ignore comment il s’est procuré le numéro. Il m’a dit qu’il souhaitait passer chez moi afin de récupérer les affaires personnelles d’Anna. Il revendiquait également la moitié de l’appartement que nous avons acheté ensemble, Anna et moi. Sur le moment, je n’ai plus pensé à notre contrat, je lui ai indiqué que je le rappellerai. Ensuite, j’ai pris rendez-vous avec vous. 

— Vous avez bien fait, même si vis-à-vis de l’étude, vous n’avez aucune démarche à faire. Avez-vous une question ? 

— Oui, j’ai fait une drôle de découverte et j’aimerais avoir votre conseil. En rangeant des vielles valises appartenant à Anna, j’ai trouvé ce cahier. Il est écrit en russe. Je ne sais pas quoi en faire.

— Étant donné les circonstances tragiques qui ont conduit à la mort d’Anna Pavlova, je vous conseille de le confier aux policiers chargés de l’enquête criminelle. Ce cahier contient peut-être des informations susceptibles de les mettre sur la piste du meurtrier, il s’agit d’une pièce à conviction. Votre appartement n’a-t-il pas été perquisitionné ? 

— Non, Anna a disparu à Belle-Ile. En conséquence, la maison que nous occupions là-bas a été perquisitionnée. 

— Où se trouvait ce cahier ?

— À Paris, caché dans le fond d’une valise. 

— Votre amie ne souhaitait donc pas qu’il tombe entre les mains de qui que ce soit, c’est une raison supplémentaire pour le confier à la police. 

— Je vais vous écouter et le remettre à la police. Je sais que Paul Bernardet, l’ami d’enfance d’Anna s’est rendu à Vannes et y a rencontré le commissaire Vétoldi. Celui-ci a démarré une enquête. J’hésite, à qui dois-je remettre le cahier ? Aux enquêteurs officiels désignés par Rennes ou bien au commissaire Vétoldi qui mène une enquête parallèle ? 

— Eh bien… Si j’étais à votre place, je choisirais le commissaire Vétoldi, il jouit d’une excellente réputation. 

— Très bien, Maître, je vous remercie. 

— Je vous en prie, chère Madame, n’hésitez pas à m’appeler si vous rencontrez un souci avec la famille d’Anna Pavlova, je me permettrai de joindre  son frère que je connais, puisque je suis le notaire de la famille Bounine.

— Quel genre de famille est-ce ? Ils n’ont jamais voulu faire ma connaissance et ce n’est qu’après la mort de sa sœur que son frère m’a appelée. J’ai croisé le reste de sa famille à l’enterrement d’Anna, mais aucun ne m’a saluée.

 Ils ont été éduqués par des parents traditionnalistes. Je connais Pierre Pavlovitch, il est à l’image de sa famille. J’ajoute que pour eux, l’homosexualité est inimaginable et ils ne pouvaient accepter l’idée que leur fille, leur sœur vivait avec une autre femme, vous. C’est la raison qui les avait conduit à adopter un comportement d’évitement à votre égard. Mais ce ne sont pas de mauvaises personnes, ils sont seulement inadaptés au monde contemporain et à son évolution. Je vous le répète, si vous avez besoin que je joue les intermédiaires entre vous et la famille Bounine, je le ferai volontiers et cela vous évitera une confrontation pénible.

— Meri, Maître, j’ai quelques objets qui appartenaient à Anna que je souhaite donner à sa famille et si vous acceptez, je vous les remettrai à vous, sous réserve de les leur remettre par la suite.

— Très volontiers, mais je vous rappelle que vous ne leur devez rien, puisque tout ce qui appartenait à Anna vous appartient dorénavant.

— Je trouve normal et sain qu’ils reçoivent des objets personnels en souvenir d’Anna. J’ai mis de côté des objets qu’elle aimait. Elle était ma compagne, mais elle était aussi leur fille, leur sœur et je comprends leur peine même s’ils ne se fréquentaient plus depuis plusieurs années. 

— Désolé de vous contredire, Anna n’était pas complètement brouillée avec sa famille, elle leur rendait visite de temps à autre, au moins une fois par trimestre. 

Cette phrase fait l’effet d’un coup de poing dans la poitrine d’Adriana.

— Je ne savais pas. Je m’aperçois depuis la mort d’Anna que j’ignorais beaucoup d’aspects de sa vie.

— Anna était une jeune femme secrète, je le reconnais, mais on lui pardonnait tout, elle était si belle.

Adriana est surprise par le ton du notaire, elle le regarde et s’aperçoit qu’il affiche une réelle émotion… 

— Vous la connaissiez bien ?

— Bien, je ne sais pas, mais je la connaissais depuis son adolescence. La première fois qu’elle est venue à l’étude, j’étais un jeune clerc et c’est à moi qu’est revenu l’étude de son dossier. Elle avait demandé à bénéficier d’une décision d’émancipation. 

— Je suis au courant, cela lui permettait de signer des contrats pour des concerts sans demander l’autorisation à sa famille. 

— Elle avait perdu ses parents et elle était sous la tutelle de son oncle maternel, Michel Pasternak. C’est un homme charmant qu’Anna aimait beaucoup, vous le connaissez ? 

— Non, je vous l’ai dit, je ne connais aucun membre de sa famille. Elle me tenait à l’écart, sans doute par peur des confrontations qui auraient suivi la rencontre avec sa famille. Bien cette fois, je dois rentrer chez moi et poursuivre mes rangements. 

Maître R. se lève et raccompagne Adriana à la porte de l’étude. Une fois dans la rue, Adriana marche vers l’Étoile, puis elle hésite entre prendre le 92 et marcher.  Elle décide de marcher encore un peu, puis au niveau de l’Alma, elle s’arrête à l’arrêt du bus quand elle l’aperçoit qu’il descend l’avenue Marceau. Vingt minutes plus tard, elle entre dans son immeuble, mais quand elle parvient à l’étage de son appartement, elle trouve la porte ouverte…. Que s’est-il passé ? …

 

À Suivre… Prochain épisode le Dimanche 25 octobre 2020…