ÉPISODE 10 : ENTRETIEN AVEC SAMSARA ABESSOLE

ÉPISODE 10 : ENTRETIEN AVEC SAMSARA ABESSOLE

DIMANCHE 26 JUILLET 

La veille, alors que le commissaire Vétoldi attendait la venue de Samsara Abessole, le temps avait passé si lentement qu’il avait commencé à penser qu’il surestimait le témoignage de la jeune femme. Pour quelles raisons revêtait-il à ses yeux une telle importance ? 
Il était presque vingt heures lorsqu’elle avait enfin débarqué au commissariat. Entretemps, le commissaire avait fait plusieurs apparitions dans le hall, il avait averti le brigadier de l’accueil, qui, en l’occurrence, était une brigadière, de l’imminence de son rendez-vous. 
Dès l’arrivée de Samsara, il l’avait entraînée dans son bureau dont il avait refermé la porte, ne voulant être dérangé sous aucun prétexte. Elle avait l’air fatiguée, aussi lui avait-t-il proposé une boisson et des fruits secs qu’elle avait acceptés, tout en commentant :
— Ils sont terribles, les enfants que je garde en ce moment, trois petits entre six et trois ans. Deux garçons et une fille, mais c’est la fille la plus dure et pourtant c’est l’aînée. Je dois la surveiller tout particulièrement quand je les emmène au parc, elle grimpe partout où elle peut et elle ne sait pas toujours comment redescendre, j’ai toujours peur qu’elle ne saute de l’endroit où elle se perche, elle n’a aucune idée de la hauteur. J’ai tenté de lui expliquer qu’elle ne devait pas dépasser un mètre, c’est à dire à peu près sa taille, sous peine de se faire très mal et de se retrouver à l’hôpital, mais elle me parle toujours de son chat qu’elle voit s’élancer et sauter et elle me rétorque que lui, il ne se fait jamais mal, alors pourquoi elle n’en ferait pas autant ? Je lui ai dit que les chats et les humains n’avaient pas les mêmes capacités, que certes son chat sautait de très haut, mais qu’elle était une humaine et pas un chat. Je lui ai demandé ce que les humains faisaient et que les chats ne faisaient pas, elle est restée bouche bée et je lui ai donné la réponse : Les chats ne parlent pas. Alors, elle a froncé le front, m’a regardée comme si j’étais une débile profonde et elle a répliqué : Bien sûr que si que les chats parlent, c’est toi qui ne connais pas leur langage, les chats ne comprennent pas la langue que tu parles non plus. Il faut apprendre la langue des chats. Moi, je la connais, je les comprends et quelquefois, je pense que je suis un chat. Qu’est-ce que vous voulez répondre à ça ? Si petite et déjà tellement sûre d’avoir raison ? Bon, excusez-moi, je ne suis pas ici pour vous raconter ma vie mais pour vous aider, si cela est possible, dans votre enquête sur l’agresseur de Bridget.
— Rassurez-vous, ce que vous venez de raconter est très intéressant et il montre bien une partie du problème de notre époque, les enfants sont trop sûrs d’eux et il est de plus en plus difficile de leur faire admettre que la pensée peut être différente d’une personne à l’autre et que c’est cette différence qui fait toute la richesse d’un groupe humain. Les personnes recherchent la ressemblance, l’unité de la pensée, mais c’est l’échange qui est passionnant, la confrontation des points de vue. Bien, revenons à notre sujet d’aujourd’hui, comment avez-vous fait la connaissance de Bridget ?
— Jésus nous a rassemblés tous, nous les étudiants étrangers, avant la rentrée universitaire, une semaine avant tout le monde. Nous étions une trentaine. Je me suis retrouvée à côté de Bridget et assez vite, nous avons sympathisé car nous nous sommes aperçues des similarités de nos vies, genre famille nombreuse, nécessité de gagner de l’argent et le bonheur d’être là, d’échapper à notre vie habituelle. Ça fait vraiment du bien de sortir de chez soi, de quitter son pays, de connaître autre chose. 
— Donc, vous avez fait connaissance et ensuite ?
— Ensuite, comme nous étions inscrites en Droit toutes les deux, nous avions des cours en commun. Il nous est arrivé de travailler ensemble, je l’ai aidée en français, elle avait des difficultés tandis que moi, le français, c’est ma langue d’études depuis toujours. En famille, nous parlons plus le français que le fang. 
— Vous avez fait allusion au fait que Bridget avait rencontré un jeune homme avant son agression et vous avez précisé qu’il était étudiant à l’école hôtelière de Vannes. Vous connaissez son nom ? 
— Quand elle en parlait, elle l’appelait Tom, je ne sais pas si c’est son nom ou un surnom. 
— Vous l’avez rencontré ?
— Non, je crois que c’était tout récent, elle était emballée. 
— Vous savez où elle l’a connu ? 
— Elle allait de temps en temps déjeuner au restaurant d’application de l’école hôtelière, elle m’avait dit que c’était très bon et pas cher et que ça la changeait du resto U. C’est sans doute là qu’elle l’a connu, je n’en sais pas plus, je vous l’ai dit, c’était récent. 
— Êtes-vous allée la voir à l’hôpital ? 
— Non, je voulais le faire, mais je n’ai pas eu droit de lui rendre visite, seule sa famille est admise là-bas. C’est dommage, j’aurais aimé lui transmettre ce que m’a affirmé mon cousin. 
— Comment ça, que vous a dit votre cousin ? 
— Je lui ai envoyée une photo de Bridget et je lui ai raconté ce qui lui était arrivé. Mon cousin vit à Libreville, il est sorcier. Il m’a affirmé que Bridget survivrait et récupérerait toutes  ses facultés. 
Hum… Voilà un genre de témoignage auquel le commissaire Vétoldi n’aurait pas pensé…
— Quelles étaient les relations de Bridget avec le gérant du Campus  ?
— Avec Jésus ? Tout le monde s’entend avec lui, il s’intéresse vraiment à nous. C’est comme un grand frère, il n’a pas l’âge d’être notre père. Quand on a un ennui, un souci, on sait qu’on peut lui demander conseil.
— Vous pensez que Bridget aurait pu se confier à lui ? 
— Je ne sais pas, demandez-lui, il vous répondra. 
— Peut-être ne me dira-t-il pas la vérité, il semble avoir peur de l’enquête que je mène.
— Ce n’est pas possible ! Pourquoi aurait-il peur  et de quoi ?
— Peur d’être soupçonné. 
— Oh non, ce n’est pas possible ! Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Jésus ne ferait pas de mal à une mouche. C’est un vrai gentil, d’ailleurs, au début où j’étais là, j’ai envoyé sa photo à mon cousin, il m’a répondu : Pas de problème, il était possédé, mais le diable est sorti de lui et maintenant, il est bon. 

— Vous aviez fait de même en ce qui concerne Bridget après avoir fait sa connaissance ?

— Oui, bien sûr, je le consulte pour toutes les personnes qui m’entourent, je veux éviter de fréquenter des mauvaises personnes.

— Et que vous a-t-il dit ? 
— Ah, rétrospectivement, ça fait peur, il m’a dit qu’un mauvais sort était sur elle et que je devais lui dire de faire très attention à elle. Je l’ai fait et elle a éclaté de rire, elle ne croyait pas à la divination.
— Donc, si j’ai bien compris, vous avez consulté de nouveau votre cousin, après l’agression dont Bridget a été victime et il vous a affirmé qu’elle sortirait de son coma, c’est bien ça ?
— Oui, tout à fait.
— Avez-vous répété cette prédiction à quelqu’un d’autre qu’à moi ? 
— Je ne sais pas, peut-être à Jésus qui s’inquiétait pour elle, pour le rassurer et peut-être à d’autres étudiants car tout le monde a été choqué par son agression, qui n’était pas la première subie par des étudiantes étrangères de l’UBS.
— N’en parlez surtout plus à personne. 
— Pourquoi ?
— Eh bien, imaginez que vous vous adressiez à son agresseur sans savoir que c’est lui ? Il pourrait se rendre à l’hôpital et achever sa victime pour qu’elle soit définitivement hors d’état de témoigner contre lui, après son réveil. Promettez-moi pour l’avenir de ne jamais révéler ce que vous a dit votre cousin à qui que ce soit.
— D’accord, promis. 
Sur cette promesse, le commissaire Vétoldi s’était levé et avait raccompagné sa visiteuse jusqu’à la sortie. Sur le seuil, il lui avait dit :
— Je vous remercie beaucoup d’être venue malgré votre dure journée. Si vous aviez quoi que ce soit à ajouter au sujet de Bridget, n’hésitez pas à m’appeler. 
Le commissaire Vétoldi remet sa carte de visite à Samsara.
— Je voudrais tellement que son agresseur soit arrêté. J’ai peur qu’il recommence, moi, je fais très attention et je n’accepte aucune invitation d’un inconnu. 
— Vous avez raison, Bridget aurait dû en faire autant.
— Mais si c’était un étudiant comme elle, pourquoi se serait-elle méfiée ?
— C’est ça, le drame, la plupart des criminels sont des familiers, ils nouent une relation et ne commettent leur forfait que par la suite. 
Samsara Abessole était partie et il l’avait suivie des yeux pendant un long moment jusqu’à ce que sa silhouette disparaisse. Au moins, celle-ci avec ses cheveux noirs, ne risquait pas de tomber sous les coups du serial-killer, du moins en tant que victime potentielle, car il espérait qu’elle ne commettrait plus d’indiscrétion quant aux prédictions de son cousin. 
Ensuite, il avait profité du calme qui régnait au commissariat pour se pencher sur le passé de Jésus Arrangio. Si ce que le sorcier avait dit à sa cousine, à savoir que Jésus avait été possédé par le diable, reflétait une quelconque réalité, alors cet homme se trouvait sur un fichier de police, par exemple sur celui des délinquants auteurs de violences graves ou de sévices sexuels, le FIJAIS. Pourtant, le commissaire Vétoldi avait déjà effectué cette recherche et il n’y apparaissait pas, aurait-il changé de nom ou bien, son inscription aurait-elle été effacée ? Il en déduit qu’il devra étudier dans quelles conditions Jésus Arrangio a été recruté pour assurer la gérance du campus. Il ne peut pas se fier à la seule affirmation d’un sorcier, même si elle se révélait juste. Le Droit Français, la justice française exige des preuves et jusqu’à présent, les  allégations d’un sorcier n’ont jamais été considérées comme des preuves…

 

Suite au Prochain épisode… ÉPISODE 11, LE DIMANCHE 2 AOÛT…