ÉPISODE 9 : Inès Benlloch au pied du mur
Deux heures après le départ de la conductrice du Roissybus, Rachel Bouguerra, le portable d’Inès Benlloch sonne, elle prend l’appel et à l’autre bout des ondes, la voix de Rachel Bouguerra éclate de fureur :
— Vous voyez, j’étais sûre que ça me retomberait dessus que j’aille vous voir ! Ce que je craignais est arrivé ! Je suis rentrée de votre bureau et j’ai retrouvé mon appartement sens-dessus-dessous !
— Vous avez appelé la police ?
— Oui, bien sûr, mais ils ne pourront rien faire contre ceux qui m’ont fait ça. Ce ,e sont pas eux qui font la loi, dans mon quartier. Je veux partir d’ici, je suis en danger. Mon sac est prêt, le souci, c’est que je n’ai pas d’endroit où aller.
— Vous n’auriez pas une amie qui pourrait vous accueillir temporairement ?
— Non, je ne ferais pas courir de danger à qui que ce soit et je n’ai pas de famille en France.
— Écoutez, venez à mon bureau, je vais vous trouver une solution. Avant de partir de chez vous, coupez le système de localisation de votre téléphone.
— D’accord, merci.
Inès Benlloch raccroche. Hum, elle s’est avancée et maintenant, la voilà au pied du mur. Elle réfléchit. Pourrait-elle demander de l’aide à son commissaire ? Non, il lui répondrait vertement qu’elle n’aurait pas dû agir ainsi et qu’elle doit faire confiance à la police et que c’est leur boulot d’assurer la sécurité des personnes. Allons, le plus simple, c’est de faire appel à un de ses anciens collègues de la DGSE. Elle pense assez vite à Mourad. Il fut une époque où ils étaient plus que des amis, et s’il a gardé le même numéro de téléphone privé, elle pourra le joindre, car elle ne l’a pas effacé de ses contacts. La main crispée sur son portable, elle se demande depuis combien de temps ils ne se sont pas revus. Un an peut-être ? Et puis, quelle importance, ils se sont quittés en bons termes, donc elle n’hésite plus. Les sonneries s’égrènent, elle sait qu’il ne répondra pas avant d’avoir vérifié l’identité de son interlocuteur, aussi quand le répondeur se déclenche, elle laisse son prénom, puis raccroche. À peine une minute plus tard, son téléphone vibre alors qu’elle le tient encore, elle clique aussitôt pour prendre l’appel, en oubliant de vérifier qu’il s’agit bien de son contact. Décidément, elle a perdu ses réflexes de sécurité et cela, au lieu de lui faire peur, la fait sourire.
— Merci de me rappeler aussi vite
— Je me doute qu’il y a urgence, je t’écoute.
Direct au but, conforme à son comportement antérieur. Inès prend le temps de lui faire une piqure de rappel :
— Comme tu le sais, je suis maintenant détective privée auprès de l’ex-commissaire Vétoldi ; dans le cadre de mon activité, je dois trouver une solution de logement temporaire pour un témoin qui a eu le courage de me confier des infos intéressantes. Elle est venue ce matin, et quand elle est rentrée chez elle, son appartement avait été passé à sac pendant son absence. Elle est effrayée et veut partir. Je lui ai dit de venir à mon bureau, en m’engageant à lui trouver une solution, j’ai réfléchi et j’ai pensé que tu pourrais m’aider.
— Hum, tu ne serais pas allée un peu vite en besogne ? Je te reconnais bien là. Bon, tu me demandes de regarder si je peux mettre ton témoin à l’abri dans un des logements dont nous disposons.
— Exactement.
— Tu me mets dans une drôle de situation, je ne suis pas autorisé à le faire.
Cette femme n’est pas témoin dans une affaire qui concerne mon service.
— En fait si peut-être, il se trouve que ma cliente, pas la conductrice du bus, mais celle qui est à l’origine de cette affaire, s’appelle Adelia Alonso. Elle est mariée à un fonctionnaire du Ministère de la Défense. Je n’ai pas eu le temps de vérifier qui il était et quel était son poste. Tu serais bien placé pour le faire.
— Au minimum, il me faudrait son nom.
— OK, je la joins et je te le communique.
— Bon, eh bien, j’attends que tu me rappelles, à plus tard.
— À tout à l’heure.
Inès Benlloch a un pincement au cœur, Mourad s’il s’est montré coopératif l’a traitée comme s’ils n’avaient jamais partagé un moment de leur vie. Il l’a oubliée, il est passé à autre chose… Pourtant… Elle ne doit pas se laisser aller, que croyait-elle ? Qu’il allait éclater de joie en entendant sa voix ? Il l’avait prévenue, quand elle avait décidé de rompre. Ses mots lui reviennent un à un : Inès, tu es certaine de vouloir qu’on sépare ? Je te préviens, si tu maintiens ta décision, je la respecterai, mais sache que jamais je ne reviendrai en arrière, donc si un jour, tu reprends contact avec moi, rien ne sera comme avant.
Son cœur se serre malgré elle. Il ne fait que respecter ce qu’il lui avait dit.
Qu’espérait-elle secrètement, que leur histoire allait redémarrer ? Allez, Elle doit se reprendre. L’essentiel est qu’il ait accepté de l’aider. C’est bien pour ça qu’elle l’a appelé. Quitter sa carrière d’agent secret, aurait-il eu pour effet indirect, de réveiller une sensibilité qu’elle avait été contrainte de renier ? Elle soupire, sa reconversion entraîne, bien malgré elle, des difficultés qu’elle n’avait pas anticiper. Elle doit revenir à son problème actuel et à son urgence. Dans peu de temps maintenant, Rachel Bouguerra sera là, dans son bureau avec son sac, dans l’attente d’un logement où se rendre.
Elle a franchi la première étape de sa démarche qui était de joindre la personne adéquate, elle doit passer à la suite et la suite, c’est de parler à Adelia Alonso, ce qu’elle fait aussitôt. Par chance, elle répond :
— Bonjour Madame, Inès Benlloch à l’appareil, je n’ai pas pensé à vous demander le nom de votre mari.
— Bonjour, je ne comprends pas ce que vient faire mon mari là-dedans ? Je ne lui ai pas dit que je vous avais consulté parce que je souhaite le laisser en dehors. Ce sont mes affaires personnelles et il est hors de question de l’ennuyer avec ça.
— Si je vous fais cette demande, c’est parce qu’un témoin a pris des risques indirectement pour vous, et que je me dois de le protéger.
— Un témoin ? Qui ça ?
— Moins vous en saurez, mieux ce sera. Je dois joindre votre mari et c’est dans le cadre de ses fonctions au Ministère de la Défense, il comprendra. Si vous refusez de me donner cette information, je m’arrangerai pour la trouver autrement, mais vous me feriez perdre un temps précieux, or je suis dans l’urgence.
Inès Benlloch entend Adelia Alonso pousser un gros soupir. Tout va bien, elle va céder. C’est le cas :
— Mon mari se nomme Alphonse Médard. Qu’allez-vous lui dire ?
— Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas moi qui vais l’appeler, mais un de mes anciens collègues de la DGSE. Il interviendra comme si cette affaire était la sienne, vous n’avez pas à vous inquiéter. Votre mari ignorera que vous êtes en relation avec le témoin à protéger.
— Ah bon, je préfère, au revoir Madame Benlloch.
— Au revoir.
Pfuitt, Inès pense que la réaction de sa cliente n’est vraiment pas sympa…Elle textote le nom du mari à Mourad qui lui renvoie aussitôt sa réponse : OK, je vous qui c’est. Ça roule. Si je ne t’ai pas rappelé dans deux heures, c’est que l’opération a raté et que tu devras la loger chez toi.
Inès ne répond pas, elle croit dur comme fer que Mourad va se débrouiller et que dans deux heures, elle aura la clé d’un appartement temporaire…
À Suivre… Prochain épisode le dimanche 3 Mai 2020…