BUS MORTEL : ÉPISODE 8

ÉPISODE 8 : Entretien d’Inès Benlloch avec Rachel Bouguerra

Grâce à l’intervention de Dominique Vétoldi auprès de l’un de ses ex-collègues, Inès Benlloch a pu prendre connaissance de l’interrogatoire de la conductrice du Roissybus, Rachel Bouguerra, par le commissaire de Paris 8/9.
À la suite de quoi, elle a réalisé qu’il serait très intéressant de rencontrer cette personne qui a été la première à être concernée par l’affaire de sa cliente. Ce matin, elle lui téléphone. Après s’être présentée, elle lui demande si elle accepterait de venir jusqu’à son bureau. Rachel Bouguerra l’informe qu’elle est en arrêt maladie mais qu’elle est libre d’aller et venir.
— D’accord pour vous aider, mais à la condition que cette femme ne soit pour rien dans ce trafic, et si vous êtes disponible, cela m’arrangerait de venir dès aujourd’hui, où se situe votre bureau ? 
— Rue Rostropovitch, près de la porte de Clichy.
— Écoutez, je regarde en combien de temps je peux arriver et je vous envoie un texto, ça vous va? 
— Oui, c’est parfait, à tout à l’heure. Merci beaucoup. 
Inès a commencé à lister les questions à poser quand elle reçoit le texto de Rachel Bouguerra : Sachant qu’il faut que je prenne le Bus 350, puis le tramway de la Porte de la Chapelle à la Porte de Clichy, je peux me trouver à votre bureau dans un peu plus d’ une heure, sauf aléas de la circulation, cela vous convient ?
— Oui, c’est  parfait, à l’interphone, sonner à Cabinet détectives privés
— O.K. à tout à l’heure.
Après avoir raccroché, Rachel éprouve des sentiments contradictoires. L’idée de devoir reparler de l’incident à cause duquel elle se retrouve en arrêt maladie la contrarie mais par contre, apporter son aide à la passagère qui semble étrangère à l’affaire ne lui déplaît pas. 
De son côté, Inès se réjouit. Elle se met au travail, elle étale les photos des passagers du bus ainsi que celles des passagers en attente de leurs bagages. Peut-être Rachel Bouguerra reconnaîtra-t-elle  une personne ?
Ensuite, elle lui demandera de décrire avec précision son trajet et tout ce qui s’est passé entre le départ de Roissy et l’Opéra. Elle a vu dans le rapport de police que Rachel n’avait pas pu apporter d’explication au fait qu’elle avait pris du retard entre son arrivée à Opéra et son inspection du bus avant de repartir, elle obtiendra peut-être une indication sur ce laps de temps, sachant qu’elle, Inès Benlloch, n’exercera aucune coercition sur cette femme. 
Après avoir pris quelques notes sur son cahier d’enquête, Inès B allume la cafetière, puis elle fait un tour sur le balcon, caresse les feuilles des petits arbres fruitiers pendant quelques minutes, leur adresse des compliments et revient boire son café tranquillement installée dans un fauteuil. Quand Rachel Bouguerra sonne à l’interphone, elle prend conscience qu’elle n’a pas vu le temps passer… Elle ouvre et accueille cette femme qui vient volontairement la voir et qui n’a rien à gagner à cette entrevue. Après l’avoir faite assoir, elle commence par la remercier :
— Bonjour chère Madame, merci beaucoup d’avoir accepté de venir, et ce remerciement je vous l’adresse d’abord de la part de ma cliente qui se retrouve dans une situation très délicate, du fait de la présence de ce sac qui porte son nom et qui ne lui appartient pas.
— Oui c’est en pensant à elle que j’ai accepté de venir et aussi parce que vous êtes tenue au secret professionnel et donc que vous ne répéterez pas mes propos à qui que ce soit, nous sommes bien d’accord ?
— Toit à fait, ce que vous direz ici restera entre nous. Je souhaite savoir s’il s’est passé quelque chose de différent lors de ce trajet ou pendant le trajet, ou encore lors de votre arrivée ou après votre arrivée à Opéra, par rapport aux trajets que vous avez l’habitude d’effectuer sur cette ligne ? 
— Rien de différent au départ, ni pendant, mais il est vrai qu’à l’arrivée à Opéra, au lieu de procéder à l’inspection de mon bus, tout de suite, je suis allée chercher un sandwich que j’avais commandé précédemment.
— Quand avez-vous commandé ce sandwich ? Vous trouviez-vous alors dans votre votre bus, était-ce avant de partir ? 
— J’ai téléphoné depuis mon bus avec mon téléphone personnel. 
— Au moment de votre appel, des passagers se trouvaient-ils déjà dans le bus ? 
— Voyons, je réfléchis. ce n’était pas encore l’heure de partir, mais oui, j’avais des passagers, cependant la majorité est arrivé plus tard, avec un deuxième avion. 
— Pensez-vous qu’un passager ait pu entendre votre conversation ? 
— Oui peut-être. 
— Quand vous êtes arrivée à Opéra, avant de descendre de votre bus, tous les passagers étaient-ils sortis ?
— En principe, oui, mais je n’ai pas vérifié. Cependant aucun n’était visible, il aurait fallu qu’un passager se soit caché, et le seul endroit possible serait la dernière rangée, celle du fond, parce que sinon, on voit sous les fauteuils. 
— Donc, un passager a pu se cacher pendant que vous vous absentiez pour récupérer votre sandwich ?
— Oui, mais dans quel but ?
— Dans le but par exemple, d’aider un complice à introduire ce sac à l’intérieur du bus. 
— Dans ce cas, il aurait été nécessaire de forcer la porte qui était fermée.
— Est-ce possible ?
— Oui, surtout de l’intérieur.
— Les portes étaient-elles toutes fermées lorsque vous êtes revenue dans votre bus avec votre sandwich ?
— Oui je pense, mais je n’ai pas vérifié à ce moment-là. 
— Pouvez-vous jeter un œil à  ces photos et me dire si vous reconnaissez une personne ? 
Rachel Bouguerra se penche et son regard passe lentement sur chaque photo, puis elle relève la tête et désigne du doigt l’une d’elles :
— Cet homme, là, je l’ai déjà vu, mais je ne peux pas vous certifier que c’était ce jour-là. 
— Bien. J’enquêterai pour savoir qui est cet homme. Quand les passagers montent à bord de votre bus, ils vous montrent leurs tickets, les enregistrez-vous ?
— Oui, d’autant plus que parfois, leur ticket est sur un pictogramme de leur téléphone. 
— Donc certains passagers ont un billet papier et d’autres, un billet électronique, où vont ces billets, une fois votre trajet effectué ? 
— Habituellement, je les remets au service de la gestion clientèle, ça part à la comptabilité. Mais ce jour-là, le commissaire qui m’a interrogé m’a demandé de les lui remettre, donc ils doivent se trouver dans le dossier de mon interrogatoire. 
— La RATP ne les a pas récupérés ?
— Je l’ignore. 
— Avez-vous vendu des billets ce jour-là ? 
— Oui, mais très peu, j’en vends de moins en moins, les passagers utilisent de plus en plus leur téléphone et je préfère parce que nous ne disposons que de très peu de monnaie. Un passager allemand, une fois, a sorti un billet de 500 euros pour régler son trajet, vous pensez bien que je ne pouvais pas lui rendre sa monnaie, du coup, il a voyagé gratuitement.
— Il aurait pu faire de la monnaie ?
— Difficile, il y a très peu de monnayeurs à Roissy, certes, il aurait pu aller chercher de l’argent au distributeur et demander des petites coupures, mais je vous avoue que sur le moment, je n’ai pas pensé à le lui dire et voilà… 
— Ce jour-là, est-ce que c’est arrivé ?
— Non, je ne crois pas.
— Vous en êtes certaine ? 
Rachel Bouguerra ferme un instant les yeux, elle tente de se remémorer le moment où des passagers montent dans son bus, au départ de l’aéroport de Roissy, mais oui, c’est exact ; il y a eu cet homme, un petit chauve, son visage et même sa silhouette lui revient en mémoire. Quand il est monté, il portait un chapeau et des lunettes noires qu’il a ôtées pour ouvrir son portefeuille d’où il a sorti un billet rose, un billet de 500 euros. Rachel lui a indiqué qu’elle ne pouvait faire la monnaie et qu’il pouvait se rendre au distributeur, alors, dans un français hésitant avec un fort accent qu’elle a pensé originaire d’Allemagne, il lui a répondu qu’il avait rendez-vous à son arrivée à Opéra, elle lui a alors dit qu’il pouvait rester mais qu’en cas de contrôle, il serait verbalisé. Il l’a remerciée, elle l’a suivi des yeux et  elle l’a vu s’installer sur un siège au fond du bus.
— L’avez-vous revu à l’arrivée ? Descendre par exemple ? 
— Non, je n’ai pas fait attention. Je reconnais que j’étais pressée d’aller chercher mon sandwich, j’avais l’eau à la bouche, ces sandwichs américains sont exceptionnels. Il n’y a qu’à cette échoppe que je les trouve et celui qui les prépare est très sympa. On échange toujours quelques mots quand je le vois.
— Très bien, vous souvenez-vous d’autre chose ? 
— Non, je ne pense pas, sauf que.. Remontrez-moi les photos. Oui, voilà c’est le même homme, celui de la photo et celui du billet de 500 euros. . 
— Vous en êtes certaine ? Pourtant celui de la photo n’est pas chauve ? 
— Mais leur ressemblance est frappante, je me souviens de ses yeux, des yeux verts vifs, des yeux ce chat. Dommage que vos photos ne soient pas en couleur, on aurait bien vu, il n’y a pas beaucoup de gens qui ont cette couleur d’yeux. 
— Vous souvenez-vous d’avoir déjà vu cette même couleur ?
— Non, ça m’aurait frappée. Ce doit être très rare. 
 —  Il portait peut-être des lentilles de couleur… Mais peu importe, vous m’apportez une grande aide, je vais essayer de retrouver ce passager et je vous tiendrai au courant.
— Non, surtout pas ! Moins j’en saurai, mieux je me porterai, j’ai le sentiment d’être en danger, le monde des trafiquants n’est pas un monde fiable. Le peu que j’en connaissais jusqu’à présent était ce qui se déroule aux portes de la cité voisine de mon immeuble, et quand je vois que des bandes de gamins s’entretuent pour le contrôle de leur territoire, ça me fout la frousse. 
— Je vous comprends. 
Inès Benlloch, ne voyant pas la nécessité de garder sa visiteuse plus longtemps se lève et la raccompagne à la porte du bureau. 
— Merci encore, chère Madame, de vous être déplacée et s’il vous revenait quelque chose, voici ma carte, n’hésitez pas à m’en parler. Bon retour.
— Non, je n’en veux pas de votre carte, imaginez que je sois cambriolée, si jamais, le voleur tombait dessus, je pourrais avoir de gros ennuis. On dirait que vous ne savez pas ce qui se passe dans des quartiers comme le nôtre.
— Oh si, je le sais, mais seulement en partie, car si j’ai vécu à mon arrivée en France dans ce genre d’endroits, je m’en suis extraite par mes études et par mon métier. 
— Vous avez de la chance, moi, j’aimerais bien habiter ailleurs. Mon rêve, ce serait d’avoir ma maison à moi avec un petit jardin.
— Ce sera peut-être possible un jour, gardez l’espoir.
— Oui, bien sûr si je gagne au loto… Oui si je rencontre un homme qui a beaucoup d’argent…
— Vous savez même si c’était le cas, il serait préférable de ne pas dépendre d’une autre personne, on ne sait jamais dans la vie  ce qui peut se passer…
Rachel Bouguerra regarde attentivement Inès Benlloch et elle perçoit ce qu’elle n’avait pas vu plus tôt, ces petites rides qui ornent le coin de ses yeux et le pli un peu amer des bords de sa bouche. Elle se dit que cette femme a souffert et cela la console quelque peu car à priori, elle aurait eu tendance à la jalouser…
Suite au prochain épisode, l’épisode 9, Dimanche 26 Mars…