ÉPISODE 15 : LE PROFIL D’UN SUSPECT SE PRÉCISE

ÉPISODE 15 : Le profil d’un suspect se précise
 Bouquet de lys roses

Installée dans le petit salon de sa logeuse, face à un magnifique bouquet de lys roses, Inès Benloch réfléchit. 
Depuis le matin, elle a rassemblé ses notes avant de prendre sa décision. La veille au soir, après son entretien avec Mélina Daillant, aide-soignante à l’hôpital de Belle-Ile, elle s’est rendue à la gendarmerie pour rencontrer le capitaine Kervadec. Elle lui a fait part de l’avancée de son enquête et le capitaine l’a chaudement félicitée.
 Maintenant, elle sait ce qu’elle va faire, elle va appeler son commissaire, car elle ne se sent pas les épaules assez larges pour aller interroger seule, Jean-Malik Al Kharmaz, qui s’avère être un suspect potentiel. En effet, il était présent à l’hôpital lors du débranchement de Gwennen de saint-Armel, la patiente décédée, et il est suivi pour des troubles psychiatriques. Il ne manque que le motif relevé dans les cas de débranchement précédents, à savoir que le meurtrier serait animé par le désir de venger les révolutionnaires et par sa haine envers les royalistes, haine qu’il reporte sur leurs descendants.
Qu’en est-il pour la patiente de Belle-Ile ?
Inès a mené une recherche et elle ne lui a pas découvert d’ancêtres royalistes bretons; par contre, Gwennen de Saint Armel est membre de la fédération royaliste de Bretagne, une association ouvertement partisane de la restauration de la Monarchie en France et pour l’autonomie de la région Bretagne. Peut-être Al Kharamz connaissait-il l’engagement de la patiente? 
Avant d’appeler le commissaire Vétoldi, Inès décide de joindre la profileuse pour avoir son avis. Elle l’obtient sans problèmes :
— Bonjour Madame, Inès Benloch à l’appareil, collaboratrice du commissaire Vétoldi. J’enquête actuellement à Belle-Ile sur la mort d’une patiente victime de débranchement. Je ne lui ai pas trouvé d’ascendant royaliste mais  elle était partisane de la restauration de la Monarchie, car j’ai la preuve de son appartenance à une association royaliste, pensez-vous que cet élément puisse être pris en considération par le meurtrier ?
La profileuse, un peu surprise par le débit d’Inès, prend son temps pour répondre.
— Bonjour, alors je vous dirais que c’est envisageable, mais il me semble que le meurtrier ne s’écarte pas des présupposés qu’il a fixés avant de commencer son périple de meurtres. Il a décidé de supprimer des femmes, descendantes de combattants Royalistes, or votre hypothèse supposerait qu’il dévie un peu de son objectif original. Les personnes souffrant de délires schizophréniques, s’accrochent au schéma qui s’inscrit dans la partie malade de leur personnalité, et cela leur permet de mener par ailleurs une vie quasi normale. Vous êtes certaine de ne pas avoir repéré d’ascendants royalistes pour cette femme ? Si elle a adhéré à une association royaliste, c’est sans doute par respect d’une tradition familiale. À votre place, je me mettrais en relation avec ses parents, avec des membres de sa famille,  et je leur poserais la question sur leurs ancêtres.
Voilà une remarque très pertinente, Inès se mord les lèvres, comment se fait-il qu’elle n’ait pas pensé à faire cette démarche avant de chercher de l’aide extérieure ? Un peu mortifiée, elle acquiesce à l’idée de la profileuse :
— Oui, vous avez raison, je vais le faire.
— Vous êtes sur la trace d’un suspect ?
— Oui, tout à fait.
— Soyez prudente, cette personne peut se révéler très dangereuse si elle réalise que vous avez percé son secret et ses intentions.
— Je pense comme vous et j’estime ne pas avoir suffisamment d’expérience pour l’interroger seule. J’ai décidé de demander au commissaire Vétoldi de venir sur place pour le faire. Il a beaucoup plus d’autorité naturelle que moi et il arrivera peut-être à intimider le suspect pour que celui-ci crache le morceau.
— Ne vous emballez pas, il n’est pas certain qu’il soit le coupable.
—  Bien sûr. Eh bien merci beaucoup, à bientôt, au revoir Madame.
Inès raccroche, bêtement, elle se sent inférieure à Anastasie de Tolède, la profileuse, et elle s’en veut. Enfin, quoi, elle faisait partie des services secrets français il n’y a pas si longtemps et à l’époque, elle n’avait peur de rien ! Oui, mais après son enlèvement, sa confiance en elle avait été très entamée…
 Bien, l’essentiel est là, j’ai le feu vert de profileuse, me semble-t-il, même si elle émet des réserves, j’appelle le commissaire :
Le répondeur s’enclenche et Inès laisse le message suivant :
— Bonjour cher commissaire, mes soupçons se portent sur un agent d’entretien intérimaire qui a effectué un remplacement au mois de février à l’hôpital et qui était donc présent lors du débranchement de la patiente de Belle-Ile. Il a été victime de troubles mentaux et il a été hospitalisé et il est toujours suivi par le CMP de sa ville. Je ne me sens pas suffisamment aguerrie pour aller l’interroger seule. J’ai pensé que vous pourriez venir m’épauler ou même vous rendre seul à Pontivy, là où habite le jeune homme. Au revoir, merci   de me rappeler.
Inès raccroche un peu déçue de ne pas avoir eu son commissaire en ligne. 
Ce soir, elle a rendez-vous avec le capitaine Kervadec, il a pris le prétexte que comme il n’avait pas eu le temps de l’écouter faire le point complet de son enquête, il avait besoin de la rencontrer et il a proposé qu’ils dînent ensemble à la brasserie du port. Pour emporter son accord, il lui a parlé d’une spécialité très alléchante de ce café :
— Vous verrez, ils ont d’excellentes glaces, elles ne sont pas maison mais elles sont fantastiques et viennent d’un tout petit artisan des Alpes de Haute Provence. Le nom de la société est Les glaces des Alpes.
Inès veut bien croire que des glaces venues directement des glaciers soient particulièrement goûteuses, mais il lui semble que la traversée de la France d’Est en Ouest risque d’être périlleuse. Cependant, comme elle a du temps devant elle, elle fait un saut sur le site de cet artisan et sous l’emprise de photos gourmandes, elle se régale par avance en constatant qu’entre autres, la glace au caramel au beurre salé est fabriquée avec le caramel de la maison d’Armorine, un caramélier installé sur le continent, à Quiberon dont elle a apprécié les spécialités.
C’est alors que ses pensées se sont envolées vers les Alpes que son téléphone sonne. Elle met un peu de temps à regarder son écran et découvre que c’est le commissaire Vétoldi qui cherche à la joindre, elle répond :
— Eh bien, Inès, vous en mettez un temps, je pensais que vous alliez vous jeter sur votre portable ! Bon, enfin, si j’ai bien compris, vous me demandez de venir interroger ce jeune homme que vous suspectez de meurtre, c’est bien ça ?
— Oui, c’est ça. À vrai dire, il lui manque un des critères que nous avons réunis, à savoir, le désir de venger les révolutionnaires, mais j’ai constaté que la morte de Belle-Ile était membre de la Fédération Royaliste française, et je pense que ce fait peut être considéré comme équivalent au fait d’être la descendante d’une héroïne ou d’un héros de la Chouannerie.
— Peut-être, de toute façon, nous n’avons pas le choix et puisque vous avez mis la main sur cet homme, nous allons le cuisiner. Nous verrons bien si l’entretien débouche sur du positif. En tout cas, les coïncidences sont fortes, non seulement il a été la victime de troubles psychiatriques et il est toujours suivi pour cela, mais encore, il était sur place lors de l’agression, ces éléments me semblent suffisants pour justifier une rencontre. Bien, où peut-on le voir, ce suspect ?
— Il habite à Pontivy
— OK, vous êtes certaine qu’il sera à son domicile si nous débarquons comme ça, sans prévenir?
— J’ai demandé à l’aide-soignante qui le connait et qui est restée en relation avec lui de me communiquer son numéro de téléphone. Cependant, vous ne pensez pas qu’il serait préférable de le prévenir ?
— Non, j’aimerais bénéficier de l’effet de surprise. S’il n’a rien à se reprocher, il n’aura pas de soucis à se faire, mais s’il est impliqué dans cette affaire, il devrait perdre pied assez vite.
— D’accord, quand venez-vous ?
— Il faut que je vérifie les horaires de train et je vous envoie un texto, je vais essayer demain, qu’en pensez-vous de votre côté ?
— Pourquoi pas ? Il faut battre le fer quand il est chaud. Sa copine va le prévenir et donc, je crois que le plus tôt sera le mieux.
— Bien, je vous envoie un texto pour vous confirmer ma venue, quant à vous, Prévoyez de me rejoindre à Auray, je prendrai une voiture de location à la gare et nous irons ensemble à Pontivy.
— D’accord, alors à demain.
— Inès, que faites-vous cet après-midi ? 
— Rien de spécial, mais ce soir, je dîne avec le capitaine Kervadec, il souhaite que je lui communique les résultats de  l’enquête.
— Ah comme je le comprends, ce sera un repas qui groupera l’utile, manger et l’agréable, la compagnie d’une jeune et jolie femme.
— Commissaire, le capitaine Kervadec et moi-même,  avons des relations strictement professionnelles.
— Oui, bien sûr, je vous taquinais; eh bien, bonne soirée et à demain à Auray, vers l’heure du déjeuner. 
— À demain.
Le commissaire a raccroché très vite, trop vite si bien qu’Inès se demande s’il ne serait pas un peu jaloux de Kervadec…
À suivre la semaine prochaine…