ÉPISODE 19 : ENTRETIEN AVEC JEAN-MALIK EL KHARMAZ
À son arrivée, Jean-Malik El Kharmaz salue ses visiteurs, il n’a pas l’ai inquiet mais fatigué.
Il ouvre la porte de son studio et leur dit :
— Entrez, mais sachez que je n’ai pas eu le temps de ranger.
Effectivement, c’est le boxon… Le jeune homme tire hâtivement sur la couette qui recouvre le canapé et le replie. La pièce retrouve une apparence plus normale.
Il ôte ensuite des assiettes qui traînent sur la table, passe un coup de torchon, tire les chaises vers l’arrière et leur propose :
— Asseyez-vous. Expliquez-moi la raison de votre visite.
C’est Dominique Vétoldi qui répond :
— Oui, bien sûr, je suis détective privé, mon nom est Dominique Vétoldi et Inès Benloch, ici présente, est ma collaboratrice. Nous avons été chargés d’une enquête sur les patients comateux, qui ont été débranchés au sein des établissements de soin. Vous avez travaillé à l’hôpital de Belle-Ile au moment où justement, une patiente a été débranchée. Voilà la raison de notre présence ici, aujourd’hui.
JMEL affiche un air stupéfait, on lui aurait annoncé qu’il avait gagné un voyage sur Mars qu’il aurait eu la même mine :
— Mais je ne sais rien. Oui, j’ai été au courant, mais moi, je ne faisais que le ménage là-bas, donc, les patients, je ne leur parlais même pas, je ne savais pas qui ils étaient, ce qu’ils faisaient là, et quel était leur état de santé.
— L’avez-vous vue cette femme ?
— Oui, elle ne sortait pas de sa chambre, je faisais le ménage alors qu’elle était là, dans son lit avec son absence, j’avais une impression horrible et même je vais vous dire ce que j’en arrivais à penser; Mais cette femme, si quelqu’un la violait, elle ne bougerait toujours pas ! Je me suis dit que si moi, un jour, j’étais dans cet état, je ne voudrais pas qu’on me branche, je crois qu’il vaut mieux mourir que de subir des trucs atroces car les humains ne sont pas des anges. J’en garde un souvenir terrifiant et pourtant, cela n’a duré que deux jours. Pour moi, c’était comme si elle était morte, non, c’étaiot pire…
— Racontez-nous ce qui s’est passé pour vous, le jour où elle a été débranchée.
— L’inconnu est entré dans sa chambre tôt le matin ou dans la nuit, moi, je n’étais pas encore arrivé. C’est Mélina , Mélina Daillant qui m’a mis au courant. On avait l’habitude de boire un café ensemble dans la salle des infirmiers, mais ce jour-là, elle était bouleversée. L’hôpital était sens dessus dessous.
— À quelle heure vous êtes-vous trouvé sur place ?
— Je devais être là huit heures. Je passais dans les chambres après le petit-déjeuner et avant l’intervention des infirmières du matin.
— Donc, j’imagine que vous n’avez pas nettoyé la chambre de Madame de Saint-Armel ?
— Non, la chambre et les alentours étaient envahis par les gendarmes, puis par le procureur, les techniciens du laboratoire de la gendarmerie.
— Je suppose que vous avez été interrogés par les gendarmes ?
— Oui, comme tout le monde dans l’hôpital, mais ça n’a pas duré longtemps car je n’étais pas présent au moment de l’agression.
— Vous aviez un alibi ?
— Oui, j’avais passé la nuit avec Mélina, j’étais chez elle et Mélina a confirmé.
— Je n’ai rien lu de tel dans la déposition de Madame Daillant.
— Oui je sais, elle a demandé au gendarme qui l’a interrogée de garder ça secret, elle craignait que tout le monde sur l’île soit au courant. Moi, je n’étais que de passage à Belle-Ile mais elle, elle y vit à l’année et elle y a sa famille mais je suis certain que si j’avais eu des ennuis, elle aurait témoigné.
— Vous continuez à vous fréquenter ?
— Pas souvent, malheureusement. Parfois, nous nous donnons rendez-vous à Auray, elle y vient de temps en temps et on se retrouve là-bas.
Dominique Vétoldi, tout le temps des questions, avait observé le jeune homme, et étant donné la spontanéité de ses réponses, il ne pouvait douter pas de sa franchise.
— Je sais que vous avez traversé une période difficile sur le plan de votre santé, et que vous êtes encore suivi au CMP. Comment allez-vous ?
— Plutôt bien. Oui, j’ai eu un épisode malheureux et je me suis retrouvé à l’hôpital psychiatrique. Travailler auprès des enfants à l’école, me fait beaucoup de bien; Cela m’oblige à mener une vie plus régulière, je dois me lever le matin et puis, je gagne ma vie, c’est comme ça que j’ai pu louer cet appartement.
— Vos parents habitent aussi à Pontivy ?
— Oui, mais je ne les vois plus, nous sommes fâchés.
— On peut vous demander pourquoi ?
— C’est difficile à expliquer. Quand j’ai été malade, ils ne m’ont jamais rendu visite, alors après, je n’ai pas eu envie de les revoir. J’en ai souffert mais plus maintenant.
— Vous avez des projets d’avenir ?
— Oui et non, j’hésite entre reprendre un travail à l’hôpital comme agent hospitalier puis gravir les échelons ou devenir assistant maternel dans les écoles, puis peut-être enseignant mais le chemin est beaucoup plus difficile car il faut avoir un Master 2 et je ne me vois pas faire cinq ans d’études tout en travaillant. Pour ça, entrer à l’hôpital, ce serait plus simple, mais je préfèrerais enseigner, donc, je suis un peu hésitant, j’ai du mal à prendre ma décision. En attendant, je peux rester comme animateur à l’école et ça se passe très bien avec les enfants et aussi avec les parents et avec les enseignants. Si je trouve un financement pour le Master, c’est vraiment ça que je choisirais.
— Vous ne voulez pas vous faire aider par vos parents ?
— Ah ça, non, surtout pas ! Je ne veux rien avoir à leur demander. C’est fini entre eux et moi.
— Et pourtant, vous avez choisi de vivre dans la même ville qu’eux ?
— J’ai mon travail à l’école, Je suis suivi au CMP ici, je m’entends bien avec ma psychothérapeute, ce serait difficile pour moi de changer. Elle me connaît depuis ma première crise, je n’imagine pas consulter une autre personne.
— Bien, je vous remercie d’avoir accepté de nous recevoir, nous n’allons pas vous déranger plus longtemps, mais je voudrais être certain que vous n’avez rien remarqué d’étrange ou d’inhabituel concernant la patiente débranchée lors de votre remplacement à l’hôpital.
— Je n’ai fait le ménage dans sa chambre que pendant deux jours mais j’en garde un souvenir terrifiant. Je dois vous avouer qu’elle me faisait peur, surtout quand ça lui arrivait, d’ouvrir les yeux. Pourtant, je voyais bien que ce n’était pas moi qu’elle regardait mais le vide. Oh, c’était affreux ! J’en avais parlé avec Mélina et elle m’avait expliqué que les comateux pouvaient ouvrir et fermer les yeux selon les moments, mais que ces mouvements étaient involontaires.
—Bien, nous allons vous laisser, d’autant plus que votre journée n’est pas terminée, vous retournez à l’école, n’est-ce pas ?
— Oui, j’y vais pour la sortie et je reste pour assurer la garderie jusqu’à la fermeture, à 18h30 et un peu plus parce qu’il y a souvent des parents qui sont en retard.
— Vous pouvez me donner le nom de la directrice de l’école où vous travaillez?
— Oui, bien sûr, mais c’est un directeur, Monsieur Duron.
— Parfait, nous lui ferons peut-être une petite visite.
Dominique Vétoldi se lève et Inès en fait autant. Ils saluent le jeune homme et sortent de chez lui. Quand ils arrivent devant l’immeuble, la voisine d’El Kharmaz leur fait un petit signe depuis sa fenêtre, ce qui fait sourire Dominique Vétoldi. Quant à Inès, elle réalise qu’elle n’a pas ouvert la bouche pendant l’entretien avec le suspect alors que c’était elle qui qui l’avait débusqué et maintenant après l’entretien qu’ils viennent d’avoir avec lui, elle se sent désemparée tellement l’innocence d’El Kharmaz paraît évidente. Dominique Vétoldi lit sa déception sur son visage, il lui dit :
— Pas de panique, El Kharmaz est éliminé de la liste des suspects, mais nous allons quand même faire une petite visite à son directeur.
Ils reprennent la voiture et se dirigent vers l’école des Saints-Anges. à l’entrée de l’école primaire, il faut sonner et annoncer son identité, ce que fait Vétoldi. La personne qui lui répond lui demande de préciser l’objet de sa visite, alors il dit à peu près la vérité : C’est une enquête de moralité sur Jean-Malik El Kharmaz. La porte s’ouvre et dans le hall, un homme est présent :
— Bonjour Monsieur et madame, suivez-moi, s’il vous plaît.
— Merci d’accepter de nous recevoir. Ainsi que je vous l’ai dit à l’interphone, nous menons une enquête de moralité sur Jean-Malik El Kharmaz. Nous savons qu’il a travaillé à l’hôpital de Belle-Ile l’année dernière et que maintenant, il est animateur dans votre école.
— Oui c’est exact, nous l’avons recruté fin août pour compléter notre équipe d’animateurs. Il travaille le matin de 7H à 8h30, puis de 11h30 à13h30 et le soir, de 16h30 à 18h30, heure de la fermeture de l’école.
— Comment s’est passé son adaptation à l’école ?
— Bien et même très bien. Il fait preuve d’une vraie bonne volonté. Les enfants sont attachés à lui. Il s’entend bien avec l’équipe éducative et comme il assure la sortie des classes, à 18h30, les parents le connaissent et l’apprécient. Il est notamment très attentif à ne laisser aucun enfant partir sans être accompagné sauf pour les plus âgés qui rentrent seuls chez eux. Les enfants possèdent une carte qu’ils doivent montrer à la sortie, et sur cette carte, il est indiqué les conditions de leur départ de l’école, s’ils sont accompagnés ou non, quelles sont les personnes autorisées à les accompagner avec leur nom. Nous sommes très vigilants et nous devons assurer du mieux possible la sécurité de nos élèves.
— Quand vous l’avez recruté, vous savez que Jean-Malik El Kharmaz avait souffert de difficultés psychologiques ?
— Oui, et je le sais par lui, il a eu l’honnêteté de me mettre au courant et j’ai apprécié sa franchise. Je sais aussi qu’il est suivi, et je pense que travailler lui fait beaucoup de bien. Il ne fume jamais dans le cadre de l’école et se retrouver avec les autres adultes de l’équipe éducative lors de nos réunions, le fait mûrir. Il m’a déclaré récemment qu’il envisageait de reprendre des études pour devenir enseignant, je l’encourage même si le chemin sera long et difficile. Je l’aiderai dans la mesure du possible, à suivre ses trois premières années d’études supérieures puis à obtenir une bourse pour son Master, ensuite, une fois qu’il aura réussi son concours, sa voie sera tracée. Nous avons discuté du choix de la filière universitaire, et je lui ai conseillé de faire des études scientifiques car la réussite au concours est plus facile pour ces étudiants-là.
— Je vous félicite, vous êtes très dévoué.
— Voyez-vous, Monsieur Vétoldi, je n’ai pas d’enfant, je me suis pris d’affection pour ce jeune homme. Il a traversé une période difficile mais il en a tiré profit, car il est conscient que maintenant, il doit faire des efforts pour se sortir définitivement d’affaire. Bien, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je dois préparer l’interruption des cours pour le déjeuner.
— Bien sûr, nous vous remercions de nous avoir reçus à l’improviste. Voici ma carte au cas où vous auriez une information à me transmettre.
— Je vous remercie.
Le directeur les accompagne jusqu’à la porte d’entrée qu’il déverrouille et referme derrière eux.
Dominique Vétoldi et Inès Benloch reviennent vers la voiture sans échanger un mot. C’est Dominique Vétoldi qui propose :
— Que diriez-vous d’un chocolat avant de reprendre la route vers Auray ?
Inès sourit et approuve :
— Voilà une excellente idée, mon cher commissaire !
Ils s’arrêtent dans le centre et s’installent dans la véranda d’une brasserie car une bruine a fait son apparition.
Découvrir la suite dans l’épisode suivant, mercredi prochain…