Découvrir la suite dans l’épisode suivant, mercredi prochain…
Maison de Belle-Ile. Source : Belle-ile.com/se loger.
La veille au soir, Inès Benloch est rentrée à Belle-Ile, assez déçue de son expédition sur le continent avec Dominique Vétoldi. La piste de son suspect numéro un est maintenant définitivement fermée. Jean-Malik El Kharmaz a produit un alibi en béton. En outre, son comportement a été loué par son directeur d’école. Il faut croire que sa vie a suivi une trajectoire positive et que ses années noires sont derrière lui. Inès s’étonne seulement qu’en un séjour de trois semaines, JMEL ait eu le temps de séduire la jeune infirmière au point que celle-ci a partagé une nuit avec lui et ce qui tombe bien, c’était la nuit du meurtre. Inès devrait s’assurer du témoignage de l’infirmière pour vérifier qu’il corroborerait celui de son ami, mais elle n’a pas de doutes, JMEL était sincère. Son ancien métier d’agent spécial l’aide sur ce point de savoir si et quand une personne dit ou non la vérité et JMEK a dit la vérité.
Ce matin Inès est assise sur son lit, elle est entourée de ses fiches d’enquête qu’elle a gardées malgré les conseils donnés par son patron, Dominique Vétoldi, de les abandonner pour les remplacer par un cahier. Elle pousse un soupir, il lui faut reprendre l’enquête en écartant son suspect, qui lui restaient-ils ? Retour à la case départ.
1- Fiche hôpital : Aucun suspect.
2- Fiche passagers, croisés avec personnes ayant été soignées pour troubles psychiques : trois personnes présentes sur l’île au moment de l’agression et hospitalisées antérieurement, elle doit donc les interroger. Compte tenu du fiasco de l’entretien avec JMEK, elle décide de se débrouiller seule.
Sur les trois cas restants, elle écarte deux cas, celui de l’enseignant, car il a repris son travail, ainsi que celui de la jeune femme qui a fait une tentative de suicide, il lui reste Florine Koadec, toujours en arrêt de travail, et ce depuis maintenant deux ans. Elle habite une résidence sociale à Saint-Avé et travaillait avant sa maladie comme aide-soignante dans un EPHAD[1], Le Parc du Carmel, en plein centre de Vannes.
Inès réfléchit. Peut-être pourrait-elle contacter l’établissement avant de rencontrer cette personne ? Elle se rendrait ainsi compte de l’environnement de travail de cette femme et de son intégration au sein de l’unité de soins. Elle téléphone à l’établissement pour prendre rendez-vous avec la directrice, et l’obtient pour le lendemain. Sur sa lancée, elle réserve son bateau et loue une voiture à partir de Quiberon. Ainsi, il lui sera facile de se rendre à Vannes, puis à Saint-Avé.
Ceci fait, elle descend dans le salon de sa logeuse. Cette dernière est tranquillement assise et lit le journal. Elle lève la tête en l’entendant arriver, mais c’est Inès qui la salue en premier :
— Bonjour chère Madame, comment allez-vous ?
— Bien et vous ?
— Pas mal, même si mon enquête ne progresse pas beaucoup.
— C’est dommage pour vous d’être ici pour travailler, il faudra que vous reveniez pendant vos vacances, vous pourrez alors profiter des beautés et de la douceur de notre île.
Inès sourit :
— C’est bien mon intention de revenir dès que j’en aurai l’occasion.
— Je m’en réjouis par avance et vous recevrai très volontiers, mais en attendant votre retour, votre petit déjeuner est prêt et aujourd’hui, je vous ai préparé un gâteau breton, vous me direz ce que vous en pensez.
— Merci, vous me gâtez.
Inès s’installe et mange de bon appétit. Alors qu’elle déguste une part du gâteau nappé de caramel au beurre salé, sa logeuse, Pierrette de la Rosette, lui dit à brûle-pourpoint :
— L’autre jour, vous me demandiez pourquoi j’aimais les lys ? Eh bien, je vais vous répondre, je fais partie d’une association royaliste et le lys est un de nos signes distinctifs. Nous sommes peu nombreux à vouloir le rétablissement de la Monarchie mais nous sommes convaincus que le système monarchique est le meilleur et le seul qui puisse assurer le bonheur des peuples. Je vous dis tout ça parce que je n’ai rien à cacher et que notre association est légale et déclarée en préfecture.
Quand elle avait remarqué le magnifique bouquet, Inès ne s’était pas trompée sur sa raison d’être là, et compte tenu de ce qu’elle sait des agressions des patients comateux, elle doit essayer d’en apprendre davantage :
— Vous êtes nombreux à adhérer à cette association ?
— Non, nous sommes une poignée sur l’île, mais si on compare le nombre d’adhérents au nombre d’habitants permanents, c’est loin d’être négligeable et nous sommes d’autant plus soudés que nous sommes minoritaires.
— Je vous remercie pour votre franchise, et je vais moi aussi vous révéler une information importante au sujet de l’agression mortelle qui a eu lieu et que j’essaie d’élucider, je ne vous demande que d’observer la plus grande discrétion.
—D’accord, je vous écoute.
— Eh bien, Dominique Vétoldi et moi-même en sommes arrivés à la conclusion que les patientes agressées avaient en commun un ancêtre qui s’était battu pour défendre la Monarchie, contre les révolutionnaires de 1789 et des années suivantes. La patiente de Belle-Ile, Gwenen de Saint-Armel était elle-même, membre de la Fédération Royaliste de Bretagne.
—J’étais au courant, je la connaissais et je suis persuadée que l’agression dont elle a été victime, est liée à ses engagements, mais aussi que sa chute depuis la falaise était criminelle. Gwenen était jeune, elle pratiquait la marche sur l’île depuis très longtemps, elle n’aurait pas pu tomber de cette façon. Ce jour-là, il ne pleuvait pas, le chemin côtier n’était pas glissant, elle avait certainement mis de bonnes chaussures, ce n’était pas le genre à marcher avec des claquettes… Quand je pense que parfois, j’en croise de ces imbéciles avec leurs tongs, je me demande comment il se fait qu’il n’y ait pas davantage d’accidents. Bref, pour en revenir à Gwenen, sa chute aurait pu être mortelle. Comme l’agresseur n’a pas réussi du premier coup, il est revenu à la charge et il l’a achevée.
— Vous avez dit tout ça à la gendarmerie ?
— Oui et non, je tiens à garder de bonnes relations avec le capitaine Kervadec, c’est un ami, nous étions à l’école ensemble.
Ça alors, pour un scoop, c’est un scoop ! Inès était persuadée jusqu’alors, que les gendarmes n’étaient jamais nommés dans leur région d’origine. Elle ne peut cacher sa surprise :
— Il est d’ici ?
— Oui, bien sûr, mais il était parti pendant longtemps, mais maintenant j’espère qu’il va rester sur l’île jusqu’à sa retraite.
— Je ne crois pas que ce sera possible, les gendarmes changent de poste tous les deux ou trois ans, justement pour éviter qu’ils nouent de liens de proximité avec les habitants, ils doivent garder une neutralité pour bien faire leur travail.
— Mais oui bien sûr, si vous croyez que c’est en éliminant tous les liens affectifs entre les personnes, qu’on va mieux assurer la sécurité des personnes et des biens, vous vous trompez, c’est le contraire qui se passe. Quand les gens ne se connaissent pas, ils peuvent commettre des délits et des crimes sans remords. C’est tellement plus facile d’agresser ou de tuer un inconnu que quelqu’un que vous connaissez ou dont vous connaissez la famille.
—Pourtant, la majorité des agressions sont commises par des proches.
—Ah vous croyez ? Moi, ça m’étonne, mais si vous le dites, ce doit être vrai, vous appartenez à une génération qui s’y connaît en termes de statistiques, vous les jeunes, vous avez remplacé les liens entre les personnes par des colonnes de chiffres. Quand on parle des chômeurs, on ne parle jamais des situations individuelles, mais de la masse des chômeurs, plus de trois millions, mais derrière ce chiffre, il y a des personnes avec des histoires de vie très différentes, des espoirs et des rêves aussi.
— Vous avez raison, mais les chiffres sont un moyen de connaître la situation globale. Comment voudriez-vous que des décisions soient prises si on ne disposait pas de chiffrage ?
— Eh bien, moi je vais vous le dire comment il faudrait faire. Il faut rapprocher le chômeur de son environnement. C’est par la proximité qu’on trouve du travail. Hier, je lisais dans Ouest-France qu’on ne trouvait plus de vendeurs en boulangerie et que beaucoup de postes étaient vacants. Eh bien, moi, je suis partisane de faire savoir ce genre d’informations aux chômeurs et à leurs proches, sur le lieu où l’emploi est à pourvoir.
— Mais c‘est fait, les agence de Pôle emploi existent un peu partout et indiquent la localisation des postes.
— Non, vous ne m’avez pas comprise. Les offres d’emplois de vendeurs devraient être diffusées auprès des clients qui eux, pourraient les répercuter sur des proches qui seraient au chômage. S’ils sont clients d’une boulangerie, cela prouve qu’ils ont connaissance du lieu de travail et qu’ils en pensent du bien. Ils pourraient donc transmettre une image positive du poste à pourvoir. Vous voyez, c’est ça qui manque actuellement, donner une image positive du travail.
—Vous avez peut-être raison, mais pour en revenir à mon enquête, puisqu’il est prouvé que la victime avait un engagement royaliste, est-ce que vous pouvez me dire s’il y a ici, des défenseurs de la Révolution ?
—Ma foi, je n’en sais rien, vous pourriez peut-être regarder du côté de Francs-maçons, ils ont toujours été anti royalistes.
Inès est surprise, cinq mille habitants sur l’île et et il y aurait une loge ? Puisque c’est sa logeuse qui a parlé de ce mouvement discret, elle pose la question :
— Il y a une loge, ici ?
— Non, mais il y a de Francs-Maçons, ils sont rattachés à la loge d’Auray, qui se nomme les Mégalithes. C’est une loge qui est adhérente de la Grande Loge de France.
— Vous en savez des choses, je pensais que la franc-maçonnerie était secrète ?
— Non, plus maintenant, les membres ne se cachent plus, d’ailleurs, ce ne serait plus possible parce qu’avec Internet, les informations fusent à grande vitesse.
— Vous pensez que des membres de la loge pourraient être impliqués dans les agressions de patientes ?
— Ce n’est pas ce que j’ai dit, certes, ils sont opposés à la Monarchie, ça c’est certain, mais de là à tuer, il y a un pas qu’ils ne franchiraient pas, du moins pour ceux que je connais.
— Eh bien, merci beaucoup pour tout ce que vous m’avez raconté.
— Merci à vous pour votre confiance.
Inès se sent gênée par cette remarque, en effet, elle n’est pas tout à fait à l’aise avec ses confidences. Elle n’aurait peut-être pas dû s’y adonner…Si Dominique Vétoldi était au courant, il ne serait pas certain qu’il apprécierait…
Elle remonte dans sa chambre et appelle Mélina, l’infirmière amie de Jean-Malik El Kharmaz. Par chance, la jeune femme lui répond.
— Bonjour, Inès Benloch à l’appareil, comme vous le savez certainement, j’ai rencontré Jean-Malik El Kharmaz à Pontivy et l’entretien s’est très bien passé. J’ai donc décidé de l’écarter de la liste de mes suspects.
— Ah voilà une excellente nouvelle !
— C’est grâce à vous, car il a affirmé avoir passé la nuit de l’agression à votre domicile. Vous confirmez ?
— Oui… C’est exact, et il me semblait vous l’avoir dit, je vous demande seulement de ne pas ébruiter cette information, je pense à ma réputation.
— Pas de problèmes, je n’en ferai pas état, d’autant plus que j’effectue une mission privée et que, sauf faits graves et avérés, je n’ai pas à rendre compte de tous les éléments de mon enquête à la juge chargée du dossier.
— Merci !
— Eh bien, au revoir Madame.
— Au revoir et bonne journée à vous.
Inès regarde sa montre, dix heures et demie. La journée sera longue, elle n’a pas grand-chose à faire, à moins qu’elle n’exploite les dires de Pierrette de la Rosette à propos des Francs-Maçons…À Suivre…
Prochain épisode, mercredi 6 novembre…