Épisode 21 : Nouvelle piste : Les Francs-Maçons de Belle-Ile

Épisode 21 : Nouvelle piste : Les Francs-Maçons de Belle-Ile 

                                        Les Mégalithes de Carnac. Source : Bretagne.com
Inès Benloch  repose son stylo, elle vient de prendre des notes sur différents sites  internet consacrés aux Francs-Maçons en Morbihan. Elle s’est plus spécialement attardée à la loge d’Auray, prénommée les Mégalithes car les Francs-Maçons de Belle-Ile y sont rattachés. Elle n’a pas réussi à trouver de nom, mis à part celui du président de la loge. Les informations les plus précises étaient celles du journal Ouest-France, autour du reportage sur une conférence ouverte à tous les curieux, qui s’est déroulée en mars 2019, à proximité d’Auray.
Inès connaît la Franc Maçonnerie, en effet, par le passé, elle a rencontré des adhérents qui ne cachaient pas leur appartenance à ce mouvement,  et un ami lui a proposé de devenir membre elle-même, ce qu’elle a refusé à l’époque car elle pensait que ce serait préjudiciable à son activité d’alors, agent des forces spéciales, autrement dit dans le langage populaire, agent secret. En cet instant précis et au stade où elle en est de ses recherches, elle regrette son refus. Si elle avait été membre adhérent, elle aurait pu se procurer la liste des Francs-Maçons d’Auray et appeler un ou une éventuelle membre de Belle-Ile, si toutefois il ou elle existait… compte tenu des si, et en outre, du petit nombre de membres, vingt et un déclarés à la loge d’Auray, Inès  a des doutes sur la réalité de l’existence d’un Maçon ou d’une Maçonne à Belle-Ile. 
 Une idée lui traverse l’esprit. Seraient-ils fichés à ce titre ? 
 Elle est bien placée pour savoir que quantité de fichiers existent, certains sont officiels et les citoyens y ont accès, mais d’autres sont cachés. Si les fichiers officiels contiennent des informations sur les citoyens qui ont côtoyé la police et ou la gendarmerie, un jour ou l’autre de leur existence, les fichiers cachés ne révèlent pas l’origineet l’étendue de leurs informations.
Si elle appartenait encore à la DGSI, elle aurait eu accès à un certain nombre de ces fichiers et au minimum, à celui qui est géré par son ancienne direction, le fichier Cristina[1]. Elle est bien placée pour savoir que l’adhésion aux associations possédant une obédience internationale, telle que la Franc-Maçonnerie fait partie des informations recueillies sur ces fiches. 
Grâce à internet, elle dispose d’un renseignement récent à propos d’une rencontre internationale organisée par la Grande Loge de France, LGDF, en juin 2019, à Bordeaux. Bordeaux est liée à une loge ancestrale d’Écosse, et elle est aussi la ville d’où est parti le fondateur de la première loge américaine; la loge de Bordeaux est donc considérée comme une sorte de capitale internationale de la Franc-Maçonnerie. Le sujet de la conférence portait sur l’histoire de la Franc-Maçonnerie.
Il reste à Inès à relever les quelques noms qu’elle a récupérés, ce qu’elle fait aussitôt,  puis elle clique sur chacun des noms : enfin, elle les passe au crible un par un. Deux heures plus tard, bingo, elle a retrouvé un habitant de Belle-Ile. 
Jean Kerdonis, Route de Bordéry, 56360 Sauzon. 
Inès est super excitée. Elle a un moment d’hésitation, elle jette un coup d’œil à sa montre, il est treize heures. Elle a toute l’après-midi pour tenter de rencontrer cet homme. Cependant, le plus sûr serait l’heure du déjeuner où elle aurait sans doute davantage de chances de le trouver chez lui. Elle se précipite, éteint son ordinateur, empoche le papier où elle a inscrit les coordonnées de ce Kerdonis, elle sourit, Kerdonis, ne serait-ce pas le nom d’un des bateaux qui fait le trajet entre Quiberon et Le Palais ? 
Elle attrape son ciré, le soleil est là, mais à Belle-Ile, on ne sait jamais si la pluie ne va pas surgir d’un instant à l’autre. Elle glisse son sac à dos sur ses épaules et descend l’escalier quatre à quatre, manquant de tomber dans les dernières marches. La voiture électrique qu’elle a louée est garée quelques mètres plus loin. Elle la met en marche et vérifie le chargement de la batterie, c’est bon, elle a largement de quoi effectuer l’aller et le retour, puis elle passera au garage pour la leur confier pendant les heures suivantes afin de la recharger complètement. Par sécurité et pour éviter d’avoir à traverser le centre de Sauzon, elle enclenche le GPS de son portable et allume le son. Environ sept kilomètres et un quart d’heure de route. 
Un peu avant de pénétrer dans le centre de Sauzon, elle suit les indications de son GPS, elle tourne à gauche dans la rue des Gweiots, puis prend tout droit, et croise plusieurs rues jusqu’à atteindre la rue de Bordéry. Elle doit aller jusqu’aux dernières maisons, Jean Kerdonis habite l’une d’elles. Voilà, elle y est, elle arrête la voiture au bout de la rue, descend puis traverse la rue pour aller vers les maisons. 
Laquelle ? Elle scrute les boîtes à lettres et elle la trouve. Les volets sont ouverts, une voiture stationne dans la cour, c’est bon signe. Les rideaux sont tirés et elle ne peut pas voir ce qui se passe dans la maison dont les grandes baies s’ouvrent vers l’Ouest. Elle se dit que les couchers de soleil depuis le salon doivent être sublimes, d’autant plus que la maison n’a pas de  vis-à-vis. Il y a une sonnette et elle appuie fermement et longuement dessus. Quelques secondes plus tard, la silhouette d’un homme apparaît sur le seuil de la maison. Il est grand et mince, mais au lieu de venir jusqu’à elle, il lui dit depuis là où il est :
— Oui, c’est pourquoi ?
— Je souhaite vous poser quelques questions.
— Des questions, mais à propos de quoi ? Vous êtes journaliste ?
— Non, pas du tout, je suis détective privée et c’est au sujet d’une enquête en cours que je viens vous voir.
Il s’approche et il est tout près d’elle, mais reste planté derrière la barrière blanche qui ferme la cour devant la maison, il lui demande :
— Vous enquêtez sur quel sujet ? 
— J’enquête sur un certain nombre de morts mystérieuses qui concernent les personnes plongées dans le coma et à Belle-Ile, une personne a été la victime de cette agression et elle en est morte.
— Oui, j’ai lu ça dans le journal mais je ne comprends pas en quoi je pourrais vous être utile, je ne la connaissais pas.
— C’est une longue histoire, je peux m’entretenir quelques minutes avec vous, je vous promets que ce ne sera pas long.
— Bon, oui, d’accord, entrez.
Inès franchit le portail qu’il vient d’ouvrir et le suit dans la maison, il la fait entrer dans le séjour et l’invite à s’asseoir autour de la table.
— Vous voulez boire quelque chose ? Je viens juste de terminer mon déjeuner et je m’apprêtais à faire du café quand vous êtes arrivée, vous en voulez une tasse ?
— Oui, pourquoi pas, merci.
Il s’éclipse quelques instants puis revient avec un plateau, il pose une tasse devant elle et lui demande si elle souhaite du sucre, ou du lait ou les deux.
— Non merci, je le bois noir. 
— Moi aussi, les vrais amateurs de café le prennent ainsi. 
Inès porte la tasse à ses lèvres mais le liquide est brûlant, elle la repose précipitamment. Son hôte sourit et lui demande :
— Pourquoi moi ? Comment avez-vous eu cette idée de m’interroger, moi ?
— À vrai dire, c’est un peu compliqué, et c’est la conséquence de mes recherches. Il se trouve que les patientes agressées sont toutes des descendantes de Bretons Royalistes engagés dans la lutte contre les Révolutionnaires. Nous avons dressé le profil de l’agresseur et il nous a semblé par un certain nombre d’indices qu’il était le défenseur des révolutionnaires. Il ou elle agit comme si il ou elle voulait venger a postériori, un héros de la révolution qui a été la victime des Royalistes.
— Je reconnais que vos informations éveillent ma curiosité, mais je ne vois toujours pas en quoi elles pourraient me concerner.
— Excusez-moi, j’ai été un peu longue, mais en réalité, j’ai recherché quelles pourraient être ici, à Belle-Ile les personnes susceptibles d’être anti royalistes et c’est ainsi que j’ai pensé aux Francs-Maçons. Lorsque j’ai effectué des recherches sur la rencontre internationale du mois de juin à Bordeaux, votre nom est apparu.
Jean Kerdonis  regarde Inès Benloch, tout son visage exprime la plus grande stupéfaction, il a la bouche ouverte, ses yeux se sont arrondis, ses sourcils sont levés, après un silence appuyé, il dit d’une voix blanche :
— Vous me soupçonnez, moi ?
— Mais non, rassurez-vous, je suis venue vous voir pour vous poser des questions, pour en apprendre davantage, je me suis dit que les habitants ici, se connaissent bien et que peut-être vous connaissiez des personnes très opposées aux Royalistes engagés, car je sais aussi que le mouvement de Royalistes est vivace en Morbihan et possède des adhérents ici même, à Belle-Ile. 
— Je déduis de vos propos que la victime était Royaliste ?
— Oui, vous avez bien deviné, ce qui fait que nous cherchons un agresseur parmi les anti Royalistes.
— Je comprends. Il est vrai que nous, les Francs-Maçons, sommes opposés à la Monarchie et extrêmement attachés au système démocratique mais nous sommes pacifistes et ne recourons jamais  à la violence pour faire triompher nos valeurs. Nous développons des idées et nous tentons de convaincre ceux qui ne sont pas en accord avec notre mouvement. Honnêtement, je ne vois toujours pas en quoi je pourrais vous aider dans votre enquête.
— Connaissez-vous des personnes ouvertement antiroyalistes, qu’elle soient Franc-Maçonnes ou non ? 
— Alors là, je vais vous surprendre. Ici, tout le monde se connaît, enfin du moins, les habitants permanents de Belle-Ile se connaissent mais nous nous efforçons de ne pas parler de politique entre nous. Chacun respecte l’autre. Dans une société comme la nôtre, on ne peut pas prendre le risque de s’opposer les uns aux autres pour des raisons politiques. Nous sommes avant tout des Bellilois, fiers de notre île qui est si belle et nous sommes soudés à ce titre.
— Vous êtes plusieurs Francs-Maçons, ici ? 
— Nous sommes seulement trois, mais je m’efforce de développer les échanges avec ceux qui pourraient être intéressés. La loge d’Auray à laquelle nous sommes rattachés est récente, cela prendra du temps mais nos idées triompheront. Elles ont déjà bien pénétré le monde politique et si nombre de ministres ne mettent pas en avant leur appartenance maçonnique, il n’en est pas moins vrai qu’ils sont d’authentiques maçons. 
— Vous connaissez bien les deux autres Francs-Maçons d’ici ?
— Oui, évidemment et je vous rassure tout de suite, aucun d’eux ne pourrait commettre d’acte violent. 
— Je vous remercie pour votre franchise. Si je vous demande de vous mettre à ma place et d’imaginer qui pourrait être l’auteur de l’agression, quelle idée vous viendrait ?
— Je n’en sais rien, je suis tombé des nues quand vous m’avez parlé de l’agression et de votre théorie selon laquelle cette agression entrerait dans un plan machiavélique dont le but serait de supprimer des descendants de Royalistes. Ce temps est si loin, il faut être fou pour développer un tel programme, vous avez pensé aux personnes atteintes sur le plan mental ?
— Oui tout à fait, et j’ai déjà interrogé un jeune homme à ce titre, d’autant plus qu’il se trouvait à Belle-Ile à la date de l’agression à l’hôpital de Belle-Ile mais il a été mis hors de cause. C’est ensuite que j’ai pensé aux francs-Maçons.
— Je vous le dis et je vous le répète, notre mouvement est pacifiste et s’il est influent et renforce son influence ces derniers temps, c’est sur le plan de l’action politique. Bien, je pense avoir répondu à vos questions, j’ai rendez-vous à quatorze heures trente. Je vous souhaite de trouver le meurtrier, même si je considère, à titre personnel, que les personnes qui se trouvent en coma dépassé, comme l’était la jeune femme, sont en réalité des personnes décédées. A ce propos, vous avez pensé à vous intéresser aux gens qui sont engagés dans la défense de la Loi qu’ils cherchent à faire voter, à savoir la Loi qui permettrait l’euthanasie ?
Tout en parlant, Jean Kerdonis s’est levé et se dirige vers l’entrée de sa maison, Inès le suit. 
— Oui et justement, les francs-Maçons sont partisans de l’accompagnement des personnes qui ont décidé de mettre fin à leurs jours.
— C’est vrai, mais pas de là à appliquer nos idées en nous opposant aux Lois existantes, , je le répète, nous sommes des pacifistes convaincus.
— Je vous crois, mais un esprit un peu tordu pourrait interpréter différemment vos positions et passer à l’acte.
— C’est la raison pour laquelle je vous conseille de vous pencher sur les personnes sujettes à des troubles psychiques car le passage à l’acte est la preuve d’un désordre mental.
— Merci beaucoup, je vous suis reconnaissante d’avoir accepté de répondre à mes questions. 
Jean Kerdonis accompagne Inès Benloch jusqu’à la rue et elle remonte dans sa voiture. Si elle n’a pas recueilli d’informations qui concernent directement son enquête, la conversation a été enrichissante. Elle ne met pas en doute la sincérité de Jean Kerdonis.
Elle revient tranquillement au Palais et décide de se distraire au cours de l’après-midi qui suit, car le lendemain, elle affrontera une personne qui risque de lui poser davantage de soucis que l’homme qu’elle vient de rencontrer…À suivre…
Suite du Feuilleton le mercredi 13 novembre…


[1] Cristina Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux. Cristina est l’un des 17 fichiers cachés.