ÉPISODE 3 : RIPOSTE !
Hoedic vue de la plage du port d’Argol : www.paseportescales.com
Le capitaine Kervadec ne s’est pas trompé, compte tenu de la notoriété de la victime, l’enquête sur l’assassinat du patron de Garboria Constructions ne lui a pas été laissée. Un enquêteur appartenant à la section de recherches de Rennes, Bertrand Lafeuille, a été chargé de résoudre l’affaire criminelle. Yves Kervadec s’est vu dans l’obligation de lui remettre le résultat de ses premières investigations.
Ce Lafeuille n’est pas désagréable, mais le capitaine s’est senti dépossédé de son travail, ce qui n’est guère satisfaisant pour son ego. En outre, l’enquêteur s’est montré un peu trop condescendant, fier qu’il était de sa formation et de son expérience professionnelle. Du coup, Kervadec s’est intéressé de très près au parcours de l’officier de gendarmerie. Issu de la prestigieuse école de Saint-Cyr, il a d’abord exercé au sein d’une brigade territoriale, puis il a suivi la formation d’officier de police judicaire et il est devenu directeur d’enquête. En somme, le parcours classique d’un fils à papa, ce qu’il est en quelque sorte, puisque sa mère est une des responsables de la gendarmerie française. Kervadec s’en est bien amusé et il a pensé : Cette expression de fils à Papa devra évoluer, car de plus en plus avec les belles carrières des femmes, apparaîtront une génération de fils à Maman, expression, qui pour le moment, revêt une toute autre signification, voilà où se niche encore le sexisme…
Bon, c’est une digression et aujourd’hui, le capitaine revient à l’affaire qui reste un peu la sienne, car il vient d’apprendre que Dominique Vétoldi, brillant ex-commissaire au Quai des Orfèvres et depuis quelques temps, détective privé, avait été chargé d’une enquête privée par la première épouse du mort. Yves Kervadec sourit, voilà qui contrebalancera avantageusement la nomination de Lafeuille…
Kervadec connaît bien Dominique Vétoldi, pour avoir travaillé à ses côtés lors de l’enquête sur l’Attentat de Belle-Ile[1].
Kervadec enclenche l’enregistreur et il réécoute le passage de l’entretien qui l’a le plus intéressé, Vétoldi a ri tout en lui rapportant les propos de sa commanditaire :
— Elle pense que son ex a été assassiné par sa rivale, la deuxième épouse. Divorcée depuis dix ans, elle l’accuse : Détournement d’homme majeur, mainmise sur la fortune du couple et je vous en passe… Elle m’a même dit qu’elle soupçonnait son ex d’avoir soustrait de l’argent au fisc, argent qui serait à l’abri dans un paradis fiscal. Elle voulait le dénoncer au service des impôts mais pour le moment, j’ai à l’en dissuader, en lui disant qu’il fallait se concentrer sur l’objectif principal, à savoir, rechercher le meurtrier de son ex-mari et éviter que les medias ne s’emparent de l’affaire sous de mauvais prétextes.Kervadec a le sourire aux lèvres, ah, ah, ce Lafeuille le snobe, eh bien, c’est avec Vétoldi qu’il va poursuivre l’enquête, et non seulement, il n’en sera pas effacé, mais ce sera nettement plus amusant et surtout plus efficace.À la suite de son échange téléphonique avec Dominique Vétoldi, il a un truc urgent à faire, le commissaire lui a demandé de lui communiquer les coordonnées de la dernière personne à avoir vu Giovanni Colombo, vivant, c’est un plaisancier. Enfin, c’est ce qu’a annoncé Bretagne 5[2], mais en réalité, Kervadec sait qu’il s’agit d’Awenig Alanic, un ancien pêcheur de l’île d’Hoëdic, maintenant à la retraite, mais qui continue à sortir par beau temps dans la baie de Quiberon, et qui vend sa pêche aux locaux, l’hiver, et aux touristes, à la saison, sur le port d’Hoëdic. Eh bien, il ne va pas se contenter de donner à Vétoldi le nom du pêcheur, non, il va faire mieux, il va lui organiser une rencontre parce que pour lui, c’est facile ; non seulement, il connaît Alanic, mais il le tient par une connerie ; un jour où il faisait une inspection de routine des bateaux amarrés au port, il a retrouvé à bord de celui du pêcheur, de l’herbe en quantité appréciable. Questionné à ce sujet, Alanic s’était défendu en disant qu’il s’agissait de sa consommation personnelle, qu’il soignait ainsi ses douleurs articulaires et que la plante provenait de sa propre culture et qu’il n’avait fait que remettre au goût du jour, une culture traditionnelle, celle du chanvre[3]. Kervadec l’avait cru, vu le fait que l’usage thérapeutique du chanvre venait d’être autorisé. Certes, le pêcheur aurait dû passer par la voie légale, mais ce se serait avéré diablement compliqué, étant donné la situation géographique de l’île. Voilà un comportement humain dont il se félicite aujourd’hui. Cependant, joindre Alanic est tout sauf facile, il n’a pas de portable et de toute façon, les communications sont difficiles avec Hoëdic, mais il a une solution, il appelle le fixe de l’hôtel-restaurant de l’île qui est ouvert toute l’année et dont il connaît bien le patron. Le patron, ou plutôt les patrons, puisque c’est un couple qui tient l’établissement, lui est cuisinier et elle, assure la réception et la gestion. Ils sont aidés par un serveur à l’année et par un ou une saisonnier-ère en saison. Kervadec a eu plus d’une fois, l’occasion d’apprécier la qualité de la cuisine, car quand il est de passage sur l’île, il en profite pour manger chez eux. Il n’a pas de mal à joindre Eugénie, vu l’heure qu’il est, elle est devant son ordinateur, dans son bureau situé derrière le comptoir de l’accueil et de fait, elle décroche tout de suite. — Bonjour Eugénie.— Par Brigid[4], capitaine, il me semble que je t’ai déjà dit de m’appeler par mon prénom breton, et de laisser Eugénie pour nos relations officielles, devant des témoins français.— Mea culpa, Andraste[5], je bats ma coulpe, je reconnais ma faute. Bon, je t’appelle parce que je souhaite que tu préviennes Awenig que je veux le rencontrer en urgence.— Ce serait pas en rapport avec le mort au Donnant, ct’urgence ? — Andraste, félicitations, tu es vraiment au parfum ! Awenig est la dernière personne à avoir vu le mort.— Bon, je m’en charge, quand veux-tu qu’il te rappelle ?— Le plus vite possible.— Dis donc, petit coquin de cap’taine, je croyais avoir lu dans le journal que t’avais été écarté de l’enquête et qu’elle avait été confiée à un gars de Rennes ?— Exact, mais ce que tu ne sais pas et que je te dis sous le sceau du secret, c’est que Dominique Vétoldi va mener une enquête privée sur le meurtre.— Vétoldi, le paotr[6] qu’était avec toi, sur l’attentat de Belle-Ile ?— Oui, le même.— D’après mes informations, c’est tout sauf un crétin, il va faire du bon boulot. Merci de ta confiance, cap’taine, et quand tu viendras sur l’île, passe donc manger.— Merci Eug…Andraste, c’est d’accord, je viendrai accompagné de Vétoldi, c’est un bon vivant, il saura apprécier la cuisine gastronomique d’Auguste.— Bonne nouvelle, j’aurai plaisir à faire sa connaissance et Auguste lui préparera sa fameuse kaoteriad[7].— Hum, je m’en régale d’avance. Merci, Andtraste, kenavo !
— Ken Tuch’[8], cap’taine.Yves Kervadec salive à l’idée de déguster la fameuse kaoteriad en compagnie de Vétoldi. Voilà qui assurera un démarrage heureux de leur enquête commune et parallèle à l’enquête officielle.
[3] Le chanvre était cultivé traditionnellement, ainsi que l’avoine et le blé sur l’île d’Hoëdic jusqu’à la guerre de 1940.
[4] Brigid : Déesse d’Irlande, du pays de Galles, d’Espagne et de France. Déesse du pouvoir et de la célébrité, Brigid était aussi la Déesse de la guérison, déesse de la médecine, de l’agriculture, de la connaissance, de l’apprentissage, de la poésie, de la divination, de la prophétie, de la métallurgie, du bétail, de l’amour, de la sorcellerie et de la connaissance de l’occulte. Source : dramatic.fr/dieux-celtes.
[5] Andraste : Déesse bretonne de la révolte. La reine Boudicca, chef de la rébellion contre l’occupation romaine, aurait sacrifié des prisonnières romaines à cette déesse en 61 avant .J.C. Source : http://www.dramatic.fr/
[7] Kaoteriad : Cotriade, recette bretonne de soupe de poissons qui contient des morceaux de poissons.
[8] Ken tuch’ : À plus, en breton. Source : portd’attache.bzh