ÉPISODE 4 – RETROUVAILLES DE VÉTOLDI ET DE KERVADEC

ÉPISODE 4 – Retrouvailles de Vétoldi et de Kervadec

Photographie : Le Port du Palais vu de la citadelle Vauban, Source : Tripadvisor. 

Durant tout le trajet de Paris à Auray, Dominique Vétoldi feuillette le dossier de la gendarmerie que lui  transmis le capitaine Kervadec, il l’a complèté avec les articles relevés dans la presse bretonne.
Jusqu’alors, il ne disposait que de la version livrée par sa commanditaire, la première femme du mort, deux jours auparavant.
Dominique Vétoldi tente aussi de comprendre les raisons qui ont poussé Viviane Colombo à le charger d’une enquête sur la mort de son ex.
Viviane Colombo est une belle femme, âgée d’un peu plus de quarante ans, mais elle en paraît nettement moins. Giovanni Colombo et elle, se sont rencontrés très jeunes, au lycée professionnel du bâtiment de Pleyben, dont ils étaient les élèves, lui en Bac Pro Gros Œuvre, elle en Bac Pro Menuiserie-Agencement. Ils ont passé trois ans au lycée en étant internes tous les deux et une fois leur diplôme en poche, ils se sont mariés et ils se sont installés à Belle-Ile, car ils y ont été embauchés tous les deux sur leur premier chantier de construction. Viviane Colombo a gardé de bons souvenirs de cette période. À Belle-Ile, ils ont eu leur premier enfant, Noan, puis leur deuxième fils, Armel. Après avoir travaillé dix ans pour différents employeurs, d’abord sur l’île, puis sur le continent, mais toujours en Bretagne, ils ont décidé de fonder leur entreprise à Belle-Ile. Vétoldi relit le passage de l’entretien qui concerne ces années-là de leur vie commune :
Nous étions tout le temps ensemble, nous travaillions dans la même entreprise, la nôtre, et c’est vrai que nous avons eu des prises de bec assez vite après la naissance de notre entreprise. Je ne supportais pas qu’il me traite en employée alors que je me considérais comme son égale. C’était toujours lui qui allait voir les clients, il prétextait que dans nos métiers, les femmes ne sont pas respectées et que j’aurais été jugé moins fiable et moins compétente. Pourtant, je continuais à assurer la partie menuiserie et agencement des chantiers, et j’avais développé une activité spécifique d’installation de cuisines qui s’est avérée très rentable. Peu de temps avant notre divorce, j’ai étudié la possibilité de créer un département d’aménagement de salle de bains, parce que j’avais remarqué que les goûts des clients avaient évolué et que les salles d’eau étaient devenues beaucoup plus que des endroits pour faire sa toilette. Je n’ai pas eu le temps de lancer cette nouvelle branche, mon mari était pressé de mettre fin à notre couple. Cela n’a pas été une période facile mais j’avais engagé un bon avocat et financièrement, je m’en suis bien tirée. Bref, je me suis retrouvée à la tête d’un joli capital et lui, était couvert de dettes… Enfin, apparemment, en fait je le soupçonne d’avoir soustrait une partie de ce que nous avions gagné car je savais que de temps à autre, il se faisait payer en liquide et que cette part-là de notre travail, je n’en ai pas vu la couleur et  je n’ai pas pu la revendiquer. C’est l’autre qui a mis la main dessus. Officiellement, après notre divorce, mon mari disposait donc de peu d’argent mais il menait la grande vie. Mes fils lui en ont beaucoup voulu et c’était difficile pour eux de continuer à le fréquenter, mais cela venait aussi du fait qu’il était un nouveau père avec deux jeunes enfants. Je ne les connais pas et elle, je l’ai aperçue mais nous ne nous fréquentons pas.
En lisant ces derniers mots, Vétoldi se demande comment c’est possible, d’habiter Belle-Ile et de parvenir à s’éviter… Mais il est vrai que la seconde épouse était peu présente sur l’île, elle habitait plutôt Vannes où son fils aîné est d’ailleurs scolarisé. Contrairement à sa cliente autrefois, elle a arrêté de travailler après son mariage avec Giovanni Colombo. L’histoire est si classique que Vétoldi aurait pu l’imaginer. La deuxième épouse, Camille Duval, était l’assistante de Colombo. Elle avait été engagée, en contrat de professionnalisation, par Garboria Constructions, alors qu’elle effectuait sa formation au secrétariat au GRETA[1]de Bretagne Sud, à Vannes.
Vétoldi a sa photo sous les yeux, elle est très mignonne cette petite…
À l’arrivée en gare d’Auray, Vétoldi emprunte le taxi qu’il a réservé et il arrive à la gare maritime de Quiberon, bien dans les temps, pour monter à bord du bateau pour Belle-Ile. Au Palais, il gagne le charmant petit hôtel découvert lors d’un précédent séjour, l’hôtel Vauban, qui bénéficie d’une vue magnifique sur le port du Palais. Le temps de s’installer, de passer sous la douche, de s’habiller en mode détente et Dominique Vétoldi gagne la brasserie où il a rendez-vous avec le capitaine Kervadec.
Les retrouvailles sont émouvantes, ils s’aiment ces deux-là, depuis l’enquête qu’ils ont menée en commun sur l’attentat de Belle-Ile et Kervadec est super motivé à l’idée de travailler de nouveau avec Vétoldi et de doubler ainsi l’enquêteur désigné par sa hiérarchie. Ils n’échangent pas beaucoup de mots avant de déguster une belle assiette de sardines grillées accompagnées de pommes de terre au four cuites, nappées de beurre salé. Une fois leur appétit calmé, Vétoldi communique ses impressions au capitaine à propos de leur affaire et Kervadec en fait autant. Dominique Vétoldi communique son point de vue :
— C’est une histoire tellement classique, ce remariage du patron avec son assistante. Ce qui m’étonne est que la demande émane de la première épouse. J’ai quelques doutes sur sa motivation. Si j’ai bien compris ce qu’elle m’a dit, elle soupçonne celle qui lui a pris sa place d’avoir assassiné son mari. Elle oublie, ce faisant, la nécessité d’avoir un motif. La femme actuelle n’avait aucun intérêt à la disparition de son mari qui lui assurait une vie plus que confortable.
— Je suis d’accord, mais il semblerait, d’après des informations que j’ai recueillies, qu’elle mène une vie assez libre. Elle vit à Vannes et son mari passait beaucoup de temps sur ses chantiers à Belle-Ile. L’emploi du temps de Colombo était très régulier, il était le suivant : Départ de Vannes le lundi matin par bateau personnel, il a un marin à son service, retour le mardi soir à Vannes. Départ le jeudi matin et retour le vendredi soir, sauf en cas de rendez-vous exceptionnel avec un client le samedi. Il passait les mercredis avec sa famille.
— Un mari et un père modèle…Côté boulot, tu lui as dégotté quelques ennemis ?
— Oui, bien sûr, des concurrents jaloux et le plus virulent d’entre eux est un promoteur né à Belle-Ile qui le considère encore maintenant et malgré les années, comme un intrus. Je le connais bien, c’est un gueulard mais je ne le vois pas passer à l’acte. Certes, il a tenu des propos menaçants que certains témoins se sont empressés de me répéter, du genre, Ce Colombo, quand je pourrais, je lui ferai la peau, ou je vais lui tordre le cou…. Je vous avoue que je l’ai offert sur un plateau à Lafeuille, qui va s’acharner sur lui et je n’aimerais pas être à sa place. Il devra justifier de ses occupations les jours précédant le crime.
Le capitaine Kervadec sourit, satisfait de son mauvais coup. Vétoldi s’amuse franchement devant sa réaction mais il la comprend. Vous avez entre les mains une enquête passionnante qui vous sort de la routine et la hiérarchie vous l’enlève, eh bien, il y a de quoi être furieux ! Mais ce qui l’intéresse, lui, Vétoldi, c’est de savoir si ce Kylian Le Goff peut être coupable ou pas. Il remarque :
— Je ne suis pas de votre avis, les menaces verbales sont l’indice d’un tempérament violent, et on ne peut l’exclure du cercle des suspects. Quelle est l’importance relative des deux entreprises, celle de Colombo et celle de ce Le Goff ?   
— Le Goff rafle la majorité des chantiers publics, il a un département consacré à la rénovation, et il obtient beaucoup de travaux dans les établissements publics. Ce n’est pas le cas pour Colombo qui ne travaille qu’avec les privés. Cependant, c’est lui qui a remporté la construction de l’hôpital, enfin, pas seul, il s’était associé avec un grand groupe de la construction. Le Goff était furibard.
— Au niveau fortune personnelle, ça donne quoi ?
— Je me demande si Colombo ne vivait pas un peu au-dessus de ses moyens, nous devrions en apprendre plus avec la liquidation de ses biens, j’ai pris contact avec son notaire pour en savoir plus.
— Excellente initiative, Kervadec, vous me tiendrez au courant, cela m’évitera de le déranger.
— Peut-être que vous devriez l’appeler quand même, parce qu’à vous, il pourrait en dire davantage, vous sachant tenu au secret professionnel, alors qu’il se méfiera de moi, car il peut penser que je suis en mesure d’informer le fisc de certains détails.
— Vous avez sans doute raison, mais ce n’est pas ma priorité, je le ferai ou non en fonction de ce que vous me communiquerez à ce sujet. Bien, vous avez repéré d’autres ennemis ?
— J’ai à compléter, Colombo se rendait souvent au café, et je n’ai pas encore eu le temps de discuter avec ses copains, mais je le ferai dans tarder, car je fréquente le même café et je vais aussi en parler avec le patron.
— Pas de petite amie pour lui servir d’oreiller, les nuits de lundi à mardi et de jeudi à vendredi ?
— Non, je n’ai rien entendu de la sorte, et ici, tout se sait et se dit.
— En dehors du travail, est-ce qu’il pratiquait un sport ?
— Oui, il jouait au golf ici, à Belle-Ile.
— Mais quand jouait-il s’il n’était pas là le week-end ?
— En fait, il donnait souvent des rendez-vous de travail sur le golf et on m’a dit que le contrat de l’hôpital s’était conclu sur le golf avec le gros groupe.
— Je suppose qu’il ne dormait pas à bord de son cruiser, alors où passait-il ses nuits ?
— Il a gardé la maison que sa femme et lui possédaient à Locmaria, mais il est aussi propriétaire d’un studio dans une résidence hôtelière sur Le Palais. J’ai interrogé le gérant qui m’a confirmé qu’il y dormait régulièrement parce que c’était plus pratique pour lui quand il était seul, mais quand c’était les vacances et que sa famille était sur l’île, il vivait à Locmaria.
— Il ne fréquentait pas les parisiens ?
— Je n’ai pas d’éléments à ce propos, ce sera votre partie, Vétoldi, vous êtes davantage introduit dans les milieux de la nuit parisienne que moi.
Dominique Vétoldi sourit :
— Vous croyez ?
— Oui, je me souviens de ce que vous m’avez raconté quand vous avez enquêté sur la petite Kerouan[2].
— Eh bien, c’est parfait, bon, vous savez que j’ai prévu de rencontrer Allanic, vous m’accompagnez ?
— Non seulement, je vous accompagne, mais je vous y emmène, et au fait, sans moi, comment vous vous y seriez rendu ?
— Par le bateau.
— Ce n’est pas pratique d’ici, il faut partir de Quiberon et il y a un seul bateau à cette saison, bon, on y va ?
— On y va, mais pas tout de suite, je propose qu’on se déguste d’abord un café gourmand.
— D’accord pour le café gourmand, j’ai supprimé les desserts depuis quelques temps, mais avec le café, ça passera.
Une fois dégusté le café et son accompagnement sucré, composé d’une crème au caramel au beurre salé, d’une mini portion de far et de Kouing aman et d’une boule de glace à la vanille, le capitaine Kervadec et Dominique Vétoldi se dirigent vers l’embarcadère réservé à la gendarmerie et en montant sur le ponton, Vétoldi remarque un superbe cruiser, amarré quelques pas plus loin.
— Eh bien, il ne s’embête pas, celui-là. Vous savez à qui il appartient ?
— Ah, ben justement, c’était celui du mort.
— Putain, le mec !
— Ouais, superbe bateau, puissant, beau, tenant bien la mer et en plus il est fabriqué en France. C’est ce modèle qu’il nous faudrait à la gendarmerie.
— Allez Kervadec, tu pourrais lancer une campagne de financement sur Belle-Ile, avec le condensé du CAC 40 ici présent, tu ne mettrais pas longtemps à récolter ce qu’il te faudrait pour acheter ce bateau. En plus, vu la disparition récente de son maître,  il sera être mis en vente prochainement…Tu pourrais l’avoir d’occasion.
— Vétoldi, je vous arrête pour propos immoraux et tentative de corruption d’un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions et pour votre peine, je vais adopter une vitesse rapide qui risque d’endommager votre belle tenue.
— Ah non, pitié, capitaine, vous savez à quel point mes vêtements sont importants pour moi, pour mon moral, ne faites pas ça !
Kervadec ne répond pas et il défait la corde qui retient le bateau au taquet du quai. Ensuite, il lance le moteur à petite allure, le temps de sortir du port, puis dès qu’il a gagné la mer, il en pousse à fond sa puissance. Les éclats d’eau salée jaillissent de tous côtés et Vétoldi renonce à lui faire entendre raison. Il a juste pris la précaution d’enfiler un blouson étanche avant la sortie du port et il s’en félicite. Kervadec a une tête de bourrique, c’est à dire de Breton, mais il l’aime bien malgré tout. Il se dit que quand on apprécie une personne, c’est évidemment pour ses qualités mais aussi qu’on supporte ses défauts, en l’occurrence, en ce qui concerne Kervadec, une obstination à conduire son hors-bord à une allure telle que ses passagers sont copieusement arrosés.
Vétoldi murmure pour lui-même : Serait-ce de la taquinerie ou de la cruauté ?
Suite au prochain épisode, l’épisode N° 5.



GRETA : Les groupements d’établissements sont les structures de l’éducation nationale qui organisent des formations pour adultes dans de nombreux domaines professionnels.
[2] Allusion à la vie agitée d’Anne Kerouan, personnage d’Attentat à Belle-Ile