ÉPISODE 3 – BUS MORTEL

ÉPISODE 3- La cliente d’Inès Benlloch
Inès Benlloch est très excitée, d’ici un quart d’heure, elle va recevoir sa première cliente. En effet, une femme a téléphoné au cabinet il y a deux jours maintenant pour demander à parler au commissaire Vétoldi, Inès lui a répondu qu’il était absent mais qu’elle travaillait avec lui et qu’elle était à son écoute.
Après avoir hésité, puis parce qu’Inès lui a dit que Dominique Vétoldi était occupé par une mission en dehors de Paris, son interlocutrice, s’est décidée à expliquer le motif de son appel.
Adelia Alonso est rentrée, une semaine plus tôt,  d’un voyage au Mexique. Arrivée à Roissy en fin d’après-midi, elle a pris le Roissybus à l’aéroport pour l’opéra, puis elle est rentrée à son domicile, situé Quai d’Orsay, dans le septième arrondissement, à Paris.
La veille de son appel, Adelia Alonso a été convoquée par la police de l’air de l’aéroport de Roissy. Elle a été soumise à une batterie de questions autour d’un bagage suspect. Elle s’est affolée, elle a peur d’être soupçonnée de trafic de drogues. En effet, un sac contenant de la cocaïne a été découvert à bord du Roissybus qu’elle a reconnu avoir emprunté. Le sac de voyage ne lui appartenait pas, mais ses coordonnées étaient indiquées sur une étiquette placée à l’intérieur. Le sac avait été enregistré à l’aéroport de Merida avec ses identifiants de vol, comme si c’était elle qui le transportait. Il avait été ensuite chargé dans la soute avec les autres bagages. À Roissy, Adelia Alonso avait récupéré ses deux valises sur le tapis roulant sur lequel les bagages de son avion défilaient. Elle n’avait alors aucun souci particulier, elle était habituée à voyager entre la France et le Mexique, car elle se rendait deux fois par an, à Merida pour rendre visite à sa famille. En effet, Adelia Alonso est Mexicaine, elle est mariée à un Français.
Inès sursaute, la sonnerie de l’interphone vient de retentir, c’est elle. Elle se précipite pour ouvrir la porte de l’immeuble puis, elle se poste à l’entrée du bureau, pour accueillir sa cliente. Elle est là devant elle, Inès la fait entrer, et la conduit dans son bureau, elle lui indique le fauteuil en face d’elle, qui s’installe derrière sa table de travail.
— Vous pouvez poser votre manteau sur la chaise à côté de vous, si vous le souhaitez;
— Non, je préfère le garder, j’ai froid, je ne me suis pas encore réhabituée au froid de Paris, il y a une telle différence de températures entre Merida et Paris ! Quand je pense que la semaine dernière, j’avais plus de vingt degrés, le temps est très agréable chez moi, au mois de mars. Si jamais vous allez visiter le Yucatan, choisissez la saison entre novembre et avril, là, vous êtes certaine d’avoir beau temps.
— J’y songerai mais pour le moment, ce que je découvrirai du Mexique, ce sera par vous. Bien, vous m’avez donc expliqué que vous aviez peur d’être accusée de trafic de drogues. Comment se fait-il que vous ne soyez pas parvenue à démontrer que le sac incriminé ne vous appartenait pas ?
— Comment voulez-vous que j’y arrive ? Il y a mon nom, mon adresse et mon numéro de téléphone à l’intérieur, je pense que je me suis fait voler mon identité avant mon départ de là-bas. Vous savez, cela me fait rire quand les Parisiens se plaignent que leur ville est dangereuse, ils n’apprécient pas leur sécurité à sa juste valeur. Chez moi, dans mon pays, la police est souvent corrompue, de mèche avec les mafias. Vous pouvez lire des témoignages de touristes sur internet, genre : J’ai été arrêté pour un soi-disant excès de vitesse et les policiers m’ont demandé de verser de l’argent, et si je n’avais pas payé, ils m’auraient embarqué et mis en prison. J’ai préféré payer parce que je me disais que ce serait difficile de faire valoir mes droits.
— En quoi puis-je vous aider ?
— Eh bien, il faut que je prouve que mon identité a été usurpée, que je ne suis pour rien dans ce trafic.
— Avez-vous prévenu votre famille mexicaine ?
— Oui, bien sûr, j’ai même demandé à mon frère d’aller consulter un détective privé sur place, je lui ai envoyé la copie de mon trajet aérien et de l’étiquette de mes bagages.
 — C’est une excellente initiative de votre part. Quand vous en serez avisée, vous me transmettrez le téléphone du détective mexicain pour que j’entre en relation avec lui et que nous puissions agir de concert.
— D’accord, j’ai dit à mon frère que c’était urgent, ce sera en principe fait aujourd’hui même. Il connaît quelqu’un d’après ce qu’il m’a dit.
— Parlez-moi de vous, vous travaillez ?
— Oui, bien sûr, je suis enseignante en langue espagnole à l’université américaine de Paris, tout près de chez moi.
— Vous m’avez signalé que vous étiez mariée à un Français, quelle est sa profession  ?
— Mon mari est fonctionnaire au Ministère de la Défense.
— Que fait-il ?
— Il est militaire.
— Est-il envoyé sur le terrain ?
— Plus maintenant, il est plus âgé que moi, mon mari approche les soixante ans.
Inès Benlloch a un choc, elle ne connaît pas l’âge exact de sa cliente, mais à vue d’œil, elle lui donnerait trente ans à tout casser…
— Comment vous êtes-vous rencontrés ?
— J’ai fait la connaissance de mon mari, quand il était attaché militaire à l’ambassade de France, à Mexico, il y a de cela dix ans maintenant. J’étais interprète pour le compte de l’ambassade.
La machine à compter le temps se met à tourner dans la tête d’Inès Benlloch, dix plus quatre ans d’études plus… Sa cliente a au moins trente-cinq ans…
— Vous pouvez me confier votre passeport ? Je voudrais faire une photocopie.
— Bien sûr, le voici.
Inès Benlloch feuillette d’abord le document, elle constate qu’il comporte de nombreux tampons, elle fait immédiatement la photocopie de la totalité des pages.
— Vous voyagez beaucoup.
— Oui, je me rends deux fois par an, comme je vous l’ai dit chez moi, à Merida et en général, je profite d’un séjour professionnel aux États-Unis pour me rendre ensuite dans mon pays.
— Vous n’avez pas de souci pour vos allers-retours aux États-Unis ?
— Non, je fais partie du service qui s’occupe des échanges universitaires de nos étudiants avec nos universités partenaires. Je vais à New York missionnée par mon université.
— Comment avez-vous réussi à enseigner dans cette université ?
— J’ai fait mes études de langues à la Pace University à New York qui est partenaire de l’Université américaine de Paris.
— Bien, je vous remercie pour ces informations, qui sont précieuses pour moi. en effet, je veux comprendre pourquoi les passeurs vous ont choisi, vous, car à mon avis, ce n’est pas par hasard. Voici un dépliant qui vous précisera le tarif applicable à mon engagement ainsi que les conditions de l’enquête. Vous voudrez bien l’étudier et nous nous reverrons pour la signature d’un contrat que je vais préparer. Si entretemps vous avez des questions à me poser, merci de le faire par email, ce sera plus simple pour vous et pour moi et  ce mode de communication laissera une trace écrite.
— Merci beaucoup, je me sens déjà un peu soulagée, un peu moins inquiète. Le policier qui m’a interrogée m’a dit que probablement je serai convoquée par le ou la magistrat-e qui sera désignée dans le cadre de l ‘affaire. Dois-je me faire accompagner d’un avocat ?
— Oui, c’est préférable, et si vous n’en connaissez pas, je suis en mesure de vous donner les coordonnées d’une avocate avec laquelle nous travaillons régulièrement.
— Oui, je veux bien, ce sera plus simple pour moi.
— Je vous les enverrai après l’avoir jointe pour savoir si elle a la possibilité de vous assister. Nous allons nous arrêter là pour aujourd’hui. Je vous dis à après-demain, neuf heures si cela vous convient.
— Oui, pas de problèmes, je n’ai pas cours.
Inès Benlloch se lève et raccompagne sa première cliente jusqu’à l’ascenseur. Elle revient ensuite à son bureau et si elle le pouvait, elle se mettrait à pousser un cri de victoire mais elle ne le fait pas parce que les voisins la prendraient pour une folle…