LE PUITS : ÉPISODE 3 : LA FUITE

 

                                                            Photo Al Leino, Pixabay, 2020

 

LE PUITS : ÉPISODE 3 : LA FUITE

 

 

Je suis planquée au fond du fossé, le corps replié et caché sous les branchages et les feuilles que j’ai ramenées sur moi. J’ai froid, je suis terrifiée aussi, tout mon corps tremble, j’essaie de ne pas bouger. Je les entends claquer les portes de leur voiture. J’imagine qu’ils sont deux.  ils font quelques pas tout près de là où je suis. Les voilà qui se mettent à parler : 

—  Ben tu vois, on s’est arrêté, mais y’a que dalle ! Y’a rien du tout, ni chat ni rat. 

—  Mais je te jure qu’y avait quelqu’un, j’ai pas rêvé ! 

—  Un fantôme, ouais, ou alors, t’as pris trop de dope. 

—  Dis pas n’importe quoi, je te dis que j’ai vu une personne, une femme, je pense, mais pas sûr. 

—  Allez, viens, on peut pas rester ici, ils nous attendent. Tu sais bien qu’on peut pas arriver en retard.

— Bon, OK, mais c’est bizarre, même là, alors que je ne vois personne, c’est comme si je sentais une présence. Je sens la sueur de la peur, je connais ça. Ah si seulement j’avais Mec avec moi, lui, il se jetterait direct dessus, le brave. La peur, il la détecte à des kilomètres et il fonce. 

— Ah ouais, pas faux ! Mais au fait, il est où le Mec’ ? 

— En prison pour chien, il va être jugé.

— On juge les chiens maintenant ? 

— Tu sais bien qu’il a déchiqueté une femme, au point qu’elle est morte. Il attend de voir si on va l’euthanasier ou si on va lui laisser la vie. Ce serait terrible s’il était condamné à mort, j’aurais du mal à m’en remettre. Ce chien, c’est comme si que c’était une partie de moi-même.

— Faut pas exagérer.  Moi, je dirais plutôt que c’est comme une arme, avec la vie en plus. Quand tu lui donnes l’ordre d’attaquer, il t’obéit, exactement comme si t’appuyais sur la détente d’un revolver, sauf que là, ton clébard, personne ne lui a  dit de s’en prendre à cette femme.

— Qu’est-ce t’en sais ? Tu oublies la commande à distance. 

— Me dis pas que lui avais mis un système radio ? 

L’homme se rengorge :

— Ouais, pas con, hein ?

— Et quand tu lui as retiré ? Comment t’as fait, personne n’a causé de ça à la télé.  

— Y’a eu une bousculade après l’accident, un affolement général, avec tous ces gens de la chasse à courre qui rentraient. J’étais pas loin. J’ai récupéré discretos Mec’, je lui ai ôté le récepteur, je l’ai félicité et je lui ai dit de se tenir tranquille. Ensuite, les chiens de la chasse à courre ont été mis en cause par l’enquêteur chargé de découvrir qui avait tué cette femme. 

— Au fait, pourquoi que tu l’as supprimé, cte pauvre Mélusine ?

— La, t’en demandes trop, c’est pas tes affaire, c’est les miennes. Mais je te dis, que pour moi, les meufs, faut qu’elles se tiennent à leur place, je le leur dis et je le leur répète. La bande de p’tites connes commençait à se croire des droits…  Fallait que  j’y mette de l’ordre, que je fasse un exemple.

— Pourquoi elle, pourquoi Mélusine ? C’était une chic fille, en plus, elle te rapportait gros. 

Victor toise le petit mec qui est à ses côtés, celui-là, un jour ou l’autre… Faudra qu’il pense à s’en débarrasser, il sait trop de choses. Il le fixe de son regard de serpent et grommelle entre ses dents d’un ton dur :

— Je t’ai dit de la boucler. Cette affaire est terminée. On en parle plus. Allez, on y va. 

Le bruit du moteur qui redémarre, les pneus qui dérapent, puis plus rien. Le silence est retombé, j’attends encore un peu et je sors du fossé. Je ne dois pas être belle à voir. Un instant, j’hésite. Je ne suis pas loin de la maison d’où je viens, je pourrais y retourner faire un brin de toilettes ? Non, ce serait  trop dangereux, je suis parvenue à sortir de ce maudit puits, ce n’est pas pour qu’on m’y remette et cette fois, mes persécuteurs ne m’épargneraient pas, ils m’y descendraient morte. 

Je brosse mes vêtements comme je peux et je commence à marcher le long de la route sur l’herbe dense qui borde le fossé. Je parviens à sourire, heureusement qu’il y a encore un fossé. Il vient peut-être de me sauver la vie parce qu’à entendre les deux hommes tout à l’heure, un des deux est un assassin, il a décrit comment il avait tué une femme et j’en tremble encore. Allons, en plus de me sortir vivante de cette aventure, voilà que j’ai une mission, je dois dénoncer cet assassin et raconter comment son chien lui a obéi à distance. 

Avoir ce devoir décuple mes forces et le rythme de mes  pas s’accélère. Dix, quinze minutes plus tard, je me retrouve devant un carrefour. 

À gauche, direction, Vannes, à droite, direction, Pontivy. Malheureusement, je n’ai pas d’indication des distances. Dommage. Bon, pas grave, je n’aurais qu’à consulter la prochaine borne blanche et rouge que je vais croiser. Je souris malgré les circonstances parce que des souvenirs d’enfance affluent. Je suis dans la voiture familiale et mon père nous apprend à nous repérer. Vous voyez sur le bord de la route, vous avez des bornes, c’est très important, elles vous permettent de vérifier si vous êtes sur la bonne route, celle qui vous mène à votre point de destination, elle vous donne aussi les distances entre l’endroit où vous vous trouvez et les villes indiquées.

Je prends la direction de Vannes. Je suis frôlée par un camion, la route est plus large que celle sur laquelle je me trouvais tout à l’heure. Peut-être dix minutes plus tard, j’arrive à une borne, elle indique Vannes, 3 kilomètres. Bon, ça va aller, d’autant plus que la distance est toujours calculée depuis le centre-ville, depuis la mairie ; avec un peu de chance,  je trouverai un commissariat avant d’atteindre le centre. 

Je surveiller les voitures, j’ai traversé pour être en sens inverse, comme ça, je les vois venir. Je suis presque arrivée dans les faubourgs de Vannes, je me sens fourbue tout à coup, avec des difficultés à respirer, si bien que je m’arrête près d’un arbre pour reprendre mon souffle, c’est alors qu’une voiture stoppe pile à côté de moi. L’homme qui en descend est l’un des deux de tout à l’heure, j’ouvre la bouche d’effroi, je n’ai pas le temps de me cacher. Il s’avance vers moi … Je recule vers l’arbre … Je tombe … Ma tête cogne durement sur le sol… je perds conscience…

 

À Suivre, prochain épisode, le Dimanche 13 décembre 2020…