LE PUITS, ÉPISODE 7 : LE TECHNICIEN PHILOSOPHE
Dimanche 3 janvier 2021
Susan Degeninville et son héros préféré, le Commissaire Vétoldi, souhaitent à tous les lecteurs de leurs aventures, une merveilleuse et inspirée année 2021 !
Le technicien de la police scientifique remonte du puits, il a prélevé de l’eau et retrouvé les morceaux de sparadrap qui ont enserré les mains et les chevilles de la victime. Il les ensache et ferme la fiole qui contient l’eau.
— Bon, j’en ai terminé avec le puits, vous m’avez parlé d’une salle de tortures, on y va ?
— Il n’y a pas que cette salle à examiner, il faut que vous passiez toute la maison au peigne fin, pour relever tous les signes suspects.
Le technicien se rend dans la maison avec son matériel, pendant que le commissaire Vétoldi téléphone à son adjoint. Celui-ci lui annonce qu’il se trouve dans la salle d’attente du cabinet du docteur Dragos alors que le médecin légiste examine Isabelle Demurget.
— Bien, il faudra vous assurer qu’elle sait où aller ensuite ; en tout cas, ne la laissez pas partir seule. Elle est en danger tant que ses agresseurs sont dans la nature.
— D’accord, commissaire, je la ramène au commissariat et je mets à contribution l’intervenante sociale qui vient tout juste d’être nommée.
— Voilà une excellente idée, Kevin, à plus tard. Le technicien en a encore pour un moment, il a encore la maison à inspecter.
— OK, à plus tard.
Le commissaire Vétoldi retourne dans l’entrée de la maison, il entend le technicien marcher sur le parquet du premier étage. Il monte, il a envie de discuter avec lui.
—Alors, vous avez du nouveau ?
— Il y a eu des ébats sexuels hétéros dans le lit de la chambre principale, j’ai relevé de très nombreuses traces de liquide séminale, de cyprine, de gel lubrifiant… À mon avis, ils étaient plus de deux partenaires ! J’ai repéré aussi du sang sur les barreaux du lit. Je vous en dirai plus après l’analyse des prélèvements. Bon, vous m’accompagnez dans ce que vous appelez la salle de tortures ?
— Elle se trouve à la cave. Vous en avez fini avec le rez-de-chaussée ?
— Oui, je n’ai rien vu de spécial. j’ai juste ramassé des restes de nourriture dans la poubelle.
Ils se rendent à la cave et le commissaire s’efface devant la porte de la salle suspecte pour laisser passer le technicien. Il reste dans le couloir pour ne pas entraver ses recherches. Le technicien promène la luminescence partout, des traces de sang apparaissent sur les murs et sur le sol. Il conclut :
— Je ne pourrai pas continuer seul, il faudra revenir avec des machines et casser le sol, je me demande s’il n’y aurait pas des cadavres en-dessous tant les traces de sang sont visibles et importantes, à moins qu’ils n’aient été enterrés dans le jardin ? Bref, il y a du boulot ! J’appelle des renforts tout de suite, en espérant qu’il y a du monde et du matériel disponibles.
— D’accord, mais auparavant, il faut que je prévienne la procureure, on ne peut pas poursuivre sans avoir son appui judiciaire, sinon, notre action pourrait être annulée au moment du procès, l’avicat des prévenus aurait tôt fait d’invoquer une nullité de procédure.
— Dans ce cas, le temps qu’elle se ramène, j’ai le temps de rapporter les premiers prélèvements et photos au labo. Une équipe interviendra ensuite pour approfondir si la procureure en donne l’ordre.
— OK. Merci pour le boulot déjà effectué. Je vais appeler du renfort de mon côté. Rester seul ici ne me dit rien qui vaille.
— Ah, ah, ah, le commissaire Vétoldi aurait-il peur ?
— Ce n’est pas de la peur, c’est de la prudence. Au vu de ce que vous subodorez, à savoir la présence de cadavres dissimulés, je n’ai nulle envie d’y passer moi aussi s’il venait à l’idée des malfrats de revenir dans ce maudit endroit. En attendant, je vais faire un tour à la ferme, cela me semble étrange que sa propriétaire n’ait rien su de ce qui se passait dans son gîte.
Alors, à plus.
— Ce ne sera sans doute plus moi qui serai ici quand vous reviendrez, mais on se reverra une autre fois, malheureusement.
— Pourquoi ça, malheureusement ?
— Parce que je préfèrerais ne pas avoir sur les bras de nouveaux crimes.
— Vous ne changerez pas la nature humaine. La cruauté fait partie intégrante des êtres humains, et c’est là la grande différence avec nos amis les bêtes. Elles, elles ne tuent pas par cruauté mais par nécessité, pour se défendre ou pour subsister.
— Le technicien, ami des bêtes.
— Avant d’exercer ce métier, j’avais des illusions, mais je les ai perdues.
— Perso, je crois à la rédemption. Sauf cas de folie avérée, tout homme et toute femme peut prendre conscience du mal qu’il ou elle a fait.
— Vous êtes bien naïf, commissaire, moi je pense que la conscience est une notion qui a disparu de notre société si tant est qu’elle ait existé un jour. Moi, je crois au contrôle social, aux sociétés qui disent où est le bien et où est le mal. L’être humain, tout seul, n’est pas bon, Rousseau s’est fourré le doigt dans le pif ! Seule, l’éducation peut lui apprendre les notions fondamentales qui lui permettent ensuite de se comporter selon les valeurs de la société dans laquelle il vit, mais les sociétés contemporaines poussent leurs citoyens vers le plaisir comme but ultime de l’existence.
— Nous voilà avec un technicien de la police scientifique, philosophe. Vous avez vraiment lu Rousseau ?
— Pas tout, vous vous en doutez, mais à mes heures perdues, pour compenser ce boulot de merde, j’étudie les grands philosophes et pour tout vous avouer, je me suis inscrit en licence de philosophie par correspondance, je suis en deuxième année.
— Bravo ! Vous m’en bouchez un coin !
— À chacun son système de survie ; vous, commissaire, je me suis laissé dire que vous écriviez des scénarios pour la télé.
— C’est exact et vous avez raison, c’est mon échappatoire.
— Bon, j’y vais, à une autre fois.
— OK, à une autre fois, mais étant donné vos centres d’intérêt, j’apprécierais de vous revoir dans un autre cadre. Je vous laisse ma carte, appelez-moi, je vous ferai découvrir un petit resto indien près du commissariat qui est top.
— OK, je suis preneur, alors à un de ces jours, commissaire. Je vous ferai signe, mais je vous préviens, vous aurez l’interdiction de parler boulot.
— C’était bien mon intention, on parlera philo et société.
Le technicien remballe ses instruments, se change puis s’en va. Dominique Vétoldi prend son téléphone et appelle le commissariat :
— Alors, ce renfort, ça en est où ?
— Ah, c’est vous, commissaire ? Je vous passe l’inspecteur Auster, il est rentré.
— Salut Kevin, tout s’est bien déroulé ?
— Oui, c’est OK, la victime est en ce moment même avec l’intervenante sociale. Il est question de la faire admettre dans un foyer pour femmes battues, elle y serait en sécurité.
— Parfait, tu pourrais venir me relayer, accompagné d’un brigadier ?
— Oui, j’arrive, le temps d’attraper un sandwich.
— Apporte m’en un, s’il te plaît, car je n’ai pas terminé le job et dès que tu seras ici, j’irai interroger la fermière, il est impossible qu’elle ne se soit aperçue de rien, alors qu’il se serait passé des horreurs dans son gîte.
— Si elle n’a rien signalé d’anormal, c’est qu’elle avait peut-être peur, à moins qu’elle n’ait été payée, tout simplement ?
— Oui, c’est possible, dépêche-toi, le temps presse. À propos, j’ai prévenu la proc’, elle devrait être là tout à l’heure, à moins qu’elle n’envoie sa vice-proc’. Bon courage.
Le commissaire Vétoldi entend son adjoint soupirer, mais il n’ose pas se plaindre. Son inspecteur serait-il intimidé par la jeune et jolie procureure récemment nommée au tribunal de Vannes, Marjolaine Gautherie ?
Dominique Vétoldi l’a rencontrée à une réunion organisée par le préfet du Morbihan et il a pu constater qu’elle était très rigoureuse, peu encline à adapter son comportement aux circonstances et mettant en avant les théories ingurgitées à l’École Nationale de la Magistrature.
En repensant aux réflexions et au comportement rigide de la jeune magistrate, le commissaire conclut pour lui-même :
Bah, il faut lui laisser le temps de digérer ce qu’elle a appris et de tirer les leçons de ce qu’elle va voir sur le terrain. Comme tout bleu, petit à petit, elle devra faire avec la marge entre la théorie et la pratique …
À Suivre… prochain épisode le Dimanche 10 janvier 2021…