LE PUITS – ÉPISODE 9 : INTERROGATOIRE DU FERMIER


PHOTO DE PETE LINFORTH, PIXABAY 





ÉPISODE 9 : INTERROGATOIRE DU FERMIER


Dimanche 17 janvier 2020

 

Le commissaire Vétoldi a du pain sur la planche. Aujourd’hui, il doit étudier le rapport rédigé par l’équipe des techniciens scientifiques qui ont effectué les relevés et les prélèvements dans la maison où a séquestrée la plaignante et ce, notamment dans la salle des tortures. Le sol en a été cassé et ils ont mis à jour ce qu’ils s’attendaient à découvrir : Des restes de corps humains. Les morceaux de cadavres sont maintenant en attente d’examen par le médecin légiste. 

Il hésite, a-t-il le temps de prendre connaissance du document avant son rendez-vous avec Gwen le Tallec ? Car il attend le fermier à neuf heures trente. Il l’a convoqué dans le but de recueillir son témoignage officiel. Quand le commissaire l’a appelé la veille, le Tallec a commencé par râler, prétextant que son travail ne lui permettait pas de se rendre au commissariat et affirmant qu’il avait déjà dit tout ce qu’il savait et il a émis cette dernière remarque avec un ton ironique : Commissaire, je sais que vous m’avez enregistré tout le temps que vous étiez à la ferme et même dans la cabane. Pourquoi vous ne transcrivez pas cette conversation, vous me l’envoyez par mail et je vous la signe ? Ce serait plus simple pour moi et pour vous aussi ! 

Le commissaire a répondu qu’il lui fallait respecter la procédure, que certes il allait imprimer leur conversation mais qu’en aucun cas il ne pouvait s’agir d’un témoignage pouvant être produit en justice. Gwen le Tallec a fini par accepter. Le commissaire consulte sa montre, il est neuf heures vingt. Il a dix minutes devant lui, il décide de jeter un coup d’œil au rapport des experts. Une bonne dizaine de pages. Le commissaire saute la présentation de la maison avec son plan, il va directement sur les lignes qui concernent la salle dite des tortures. Elle se situe dans la partie de la maison située au sous-sol, c’est une pièce sans fenêtres, de nombreuses traces de sang ont été relevés et plusieurs ADN ont été définis. Deux ADN féminins et un très grand nombre d’ADN masculins. Le calcul exact n’a pas pu encore être fait. Plus d’une trentaine en tout état de cause. Le commissaire en est là dans sa lecture quand on frappe à la porte, c’et Georges, l’un des brigadiers du commissariat :

— Commissaire, votre rendez-vous est arrivé, je vous l’envoie dans votre bureau ou vous venez le chercher ?

— Tu me l’amènes, laisse la porte ouverte, s’il te plaît.

Georges repart et deux minutes plus tard, il est de retour accompagné de Gwen le Tallec. 

— Bonjour Monsieur, asseyez-vous.

— Bonjour Monsieur le commissaire. 

— Bien, nous allons reprendre ensemble ce que vous m’avez dit lors de notre rencontre à la ferme, vous m’arrêterez quand vous avez quelque chose à ajouter.

Gwen le Tallec se contente de hocher la tête affirmativement. Le commissaire commence, il lit lentement pour laisser à son interlocuteur le temps de réagir. Tout va bien jusqu’au passage qui relate leur visite à la cabane dans les arbres. Lorsque le commissaire prononce les mots suivants : Vous avez dit qu’il vous arrivait de dormir dans votre cabane. Gwen le Tallec l’arrête et s’exclame : 

— Je n’ai jamais dit ça, oui, il m’arrive d’y faire la sieste mais je n’y ai jamais passé la nuit. Je ne dors pas bien dehors et puis il a commencé à faire froid. En plein été, d’accord, mais cet été, il y avait les petits, je n’allais pas leur prendre leur place !

— Vos neveux ont dormi dehors ?

— Mais non, me faites pas dire n’importe quoi ! Non, ils ne dormaient jamais dehors, ma sœur ne leur aurait pas permis, je vous rappelle qu’ils n’ont que trois et cinq ans, à cet âge-là, on laisse pas des gosses tout seuls, enfin normalement parce que moi, il m’arrivait de passer la nuit dehors. 

— Comment cela ? 

— Quand je faisais une bêtise, mon père ne m’autorisait pas à rentrer dans la maison,  il disait que j’étais puni et je passais la nuit dehors. Je lui en ai voulu et quand il est mort, je l’ai pas pleuré ! 

— Quand est-il mort ? 

— Il y a dix ans, d’un cancer du foie. Il avait le foie foutu, des suites d’une cirrhose. Faut dire que je l’ai toujours vu boire comme un trou. 

— Que faisait votre mère quand vous étiez puni par votre père ?

— Rien, elle avait peur de lui et puis je crois qu’elle était d’accord. Je faisais des bêtises, j’étais puni.

— Votre sœur, elle était plus sage ?

— Ma sœur, elle ne mouftait pas, elle travaillait pour l’école, elle m’avait dit un jour : Tu devrais te calmer et te mettre à travailler pour l’école. Il faut se tirer d’ici. Tu vas quand même pas rester dans ce trou !

— Quel âge avait-elle, alors ?

— Peut-être dans les quatorze, oui, c’est ça, c’était sa dernière année au collège, en septembre, elle venait juste d’entrer en troisième. L’année suivante, elle a été pensionnaire au lycée.

— Et vous, quel âge aviez-vous ? 

— Douze ans et j’étais en sixième, j’étais déjà pas en avance, j’avais redoublé le CM1 et le CM2, je comprenais que dalle. J’avais encore du mal à bien lire, je faisais plein de fautes d’orthographe, c’était pas brillant. D’ailleurs j’ai arrêté l’école à seize ans, à la fin de la troisième. La conseillère d’éducation a dit à mes parents : Pourquoi vous obstiner à lui faire faire des études ? Il n’en est pas capable. De toute façon, j’aurais pas pu continuer, j’en pouvais plus et il y avait le travail à faire à la ferme. Ma mère voulait que j’aille à la maison familiale pour avoir un diplôme agricole, mais mon père a refusé et il avait raison. Moi, ça me convenait de rester à travailler et puis, mon père commençait à être fatigué et je devais le remplacer souvent. Il a été dur mais il m’a bien appris le boulot de la ferme. À treize, quatorze ans, je savais déjà tout faire, conduire le tracteur, entretenir les machines, sauf semer, ça, c’était mon père qui se le réservait. Il aimait semer. Il adorait même. Il m’emmenait avec lui et il disait : Tu vois, p’tit, c’est magique, si tu as bien préparé ta terre, ça pousse tout seul, évidemment, faut surveiller les bêtes, faut arroser, faut faire gaffe au vent, mais ça pousse autant que la nature veut bien et quelques mois après vient la récolte, le résultat de tout ton travail. C’est beau, y’a pas de plus beau travail ! Ta sœur, elle croit qu’avec ses livres, elle mène le monde, mais c’est moi qui mène le monde. Quand tu nourris les hommes, tu leur permets de vivre, sans moi, sans tous ceux qui travaillent la terre, les gens mourraient ! Faut comprendre ça, p’tit et les journaux  ils oublient de dire ça, que nous les bouseux, on est INIDPENSABLES ! Z’ont pas encore inventé la bouffe artificielle. Paraît qu’ils ont sorti des steaks de faux bœuf, je suis sûr que c’est dégueulas. 

Le commissaire Vétoldi a laissé parler son interlocuteur, il intervient quand il s’arrête :

— Bien si je comprends bien, votre père n’a pas été un mauvais père ? Ç vous convenait de rester à la ferme et il vous a tout appris ?

— Ouais, il m’a tout appris mais il aurait pu être moins dur. J’avais peur du noir, vous pouvez pas savoir à quel point. c’était le souvenir de mes nuits passées dehors, à avoir froid. Quand ça arrivait, je me réfugiais dans le chenil avec ma chienne. C’était une belle groenendael noire avec de longs poils, elle me repoussait pas, elle, et elle me tenait chaud. Je mettais ma figure dans sa fourrure et je lui parlais à l’oreille. Elle me comprenait; je me souviens de son regard doux et triste à la fois. 

— Qu’est-elle devenir votre chienne ? 

— Un jour, elle s’est sauvée. Ma mère avait décidé de supprimer son chenil et de la forcer à dormir dans une toute petite niche en béton où elle avait peine à entrer. Quand elle a disparu, j’ai beaucoup pleuré et je l’ai cherchée partout. Je partais battre la campagne, elle n’a jamais été retrouvée. Ma mère était contente, elle ne s’était jamais entendue avec elle, elle l’accusait de tout, de mordre le facteur, d’aboyer quand il fallait pas, enfin tout… Après elle a pris un autre chien, mais moi, je m’y suis jamais fait à ce chien. Personne, aucun animal ne pouvait remplacer ma chienne, elle s’appelait Xourane. joli comme nom, vous trouvez pas ? 

Hum, au moment de répondre à cette question, le commissaire réalise que le temps a passé et qu’il n’a recueilli aucun élément nouveau concernant son affaire. Il connaît mieux l’homme qu’il a en face de lui, il est capable de mesurer l’impact de son éducation sur ce qu’il est devenu, mais ce qu’il cherche à savoir, c’est ce qu’il sait de ce qui se passait dans le gîte, situé à portée de sa vue depuis la cabane et de ses occupants. Alors, à brûle-pourpoint, le commissaire pose la question : 

— Quand je suis monté dans votre cabane, j’ai remarqué deux choses: 

– Un : De là, vous aviez une vue dégagée sur le gite 

– Deux : J’ai constaté que vous aviez une paire de jumelles qui vous permettaient d’améliorer votre surveillance.

Le coup a porté, Gwen le Tallec se tasse sur la chaise où il est assis. Son corps épais semble se rétrécir, il baisse la tête, comme sans doute quad il était enfant et que son père le grondait, le commissaire insiste : 

— Il faut me dire ce que vous avez vu, sinon, je vous fais coffrer ! C’est votre devoir de témoigner si vous avez remarqué quelque chose d’anormal.

— Bon, bon, j’y avais bien pensé, mais ce que j’ai vu, c’était bizarre mais je n’y voyais rien d’illégal. J’étais étonné, voilà tout. Je voyais qu’y avait beaucoup de voitures qui passaient par le chemin et d’ailleurs quelquefois elles me gênaient et je leur ai dit qu’il fallait qu’ils les range dans leur cour parce que moi, fallait que je passe avec mon tracteur et même une fois, j’étais bloqué, je suis allé sonner au gîte et ils ont mis longtemps à m’envoyer quelqu’un et ils étaient pas contents, alors j’ai dit que si ça leur allait pas, ils avaient qu’à partir, que là, on n’était pas en ville et que le chemin, ils le défonçaient et que moi, fallait que je travaille. 

— Qui est venu quand vous avez sonné ?

— Je vous ai dit que quand ils ont signé le contrat, ils étaient deux, un grand et un petit, eh bien, là, c’est le petit qu’est venu à la porte. 

— Vous le reconnaîtriez si je vous montrais des photos ? 

— Oui, pour sûr. 

— Bien, on va creuser cette question. 

— Oui, mais moi, va falloir que je parte, j’ai du travail à la ferme. Faut que je vérifie la traite, elle est automatique mais faut être là pour voir si quelque chose bloque ou si une de mes vaches a pas envoyé le système promener, j’en ai une qui est un peu difficile et qui n’aime pas la machine à traire, si bien que souvent, je suis obligé de la traire à la main. 

— Bon, eh bien, je vais vous laisser repartir, mais dès que je vous demande de revenir, vous revenez et on vous soumettra des photos. 

— OK, je viendrai. Au revoir Monsieur le commissaire.

Gwen le Tallec s’est levé et le commissaire le laisse partir. Il va se mettre à la lecture du rapport des experts et surtout demander à son inspecteur Kevin Auster de sortir les photos des délinquants de la région pour les soumettre Gwen le Tallec…


À SUIVRE, PROCHAIN ÉPISODE LE DIMANCHE 24 JANVIER 2021