LE PUITS : ÉPISODE 10 : VISITE AU MÉDECIN-LÉGISTE

 

Image libre de droits, Pixabay, 2021. Autopsie.



ÉPISODE 10 : VISITE AU MÉDECIN-LÉGISTE

Dimanche 24 janvier 2021

 

Le commissaire Vétoldi avait d’abord pensé joindre par téléphone le médecin légiste qui a examiné Isabelle Demurget, le docteur Ion-Dragos Virgil, mais finalement, il change d’avis et choisit de le rencontrer à son cabinet. Il aime bien ce médecin qui malgré son horrible travail, n’a pas perdu son sens de l’humour ; en outre, il apprécie la qualité de son travail. Dès l’arrivée du commissaire, le médecin attaque le sujet qui les réunit :

— Bon, dites donc Vétoldi, elle n’est pas brillante, votre cliente ! Je l’ai faite hospitaliser pour quelques jours. Je n’aime pas beaucoup sa blessure au crâne, elle a beaucoup saigné et elle s’est infectée. J’espère pour elle que l’analyse ne fera pas ressortir un germe réfractaire à l’antibiotique que j’ai prescrit en urgence. 

— Vous m’enverrez votre rapport ? 

— OK, je vous l’enverrai par mail. 

— Merci, êtes-vous parvenu à la faire parler ? Moi, elle n’a pu me donner que son nom et prénom, elle ne se souvenait plus de son adresse. Bizarre, non ?

— Pas étonnant, elle a subi un sacré choc, le coup violent porté à la tête, le fait d’être jetée dans le puits, sans parler des agressions sexuelles multiples. Ils se sont bien amusés avec elle et quand ils ont estimé qu’il serait dangereux pour eux de la laisser en vie, ils ont décidé de la supprimer. Jusque-là, c’est un schéma classique, mais une chose m’intrigue, c’est que celui qui a été chargé de l’opération suppression, n’a pas serré ses liens et donc, clairement, il lui a laissé une chance de s’en sortir. Je pense qu’elle a passé un bout de temps, évanouie au fonds du puits, parce que le coup sur l’arrière du crâne  a provoqué une perte de connaissance immédiate. Il aurait pu être mortel s’il avait été un peu plus fort. Donc, le tueur lui  a laissé une double chance. Je pense qu’il ne voulait pas la tuer. À mon avis, connaissant le milieu depuis le temps que je pratique et que je constate leurs méfaits, si jamais le donneur d’ordre apprend que la victime n’est pas morte, le tueur va passer un mauvais quart d’heure et vous allez peut-être vous retrouver avec un autre cadavre sur les bras à moins qu’il ne fasse dissoudre le corps par l’acide et que le corps disparaisse sans laisser de traces…

— Dragos, épargnez-moi les détails de ce genre. Vous allez me couper l’appétit ! J’avais prévu de me prendre un plat tout à l’heure chez mon indien préféré. À ce propos, il faudra que je vous le fasse connaître, c’est plus que bon, c’est délicieux et le patron est charmant. 

— OK, commissaire, on verra ça après la fin de la COVID.

— Vous avez tort, il faut profiter des bonnes choses pendant qu’elles sont là, je ne peux pas vous garantir que mon Indien résistera à la fermeture. Certes, il fait du prêt à emporter, mais je ne pense pas que ça paie le loyer et les frais. 

— Eh bien, on verra. Bon, cette fois, faut que je retourne à mon petit jeune, j’ai pas terminé son examen tellement son corps a été éprouvé par des actes de barbarie. J’espère qu’on retrouvera ses tortionnaires parce qu’il n’est pas beau à voir. 

— C’est bien ce qui m’a fait choisir mon métier, faire tout ce que je peux pour pourchasser et faire punir les criminels. Bon, pour le moment, nous avons la petite jeune femme sur les bras, nous avons la chance qu’elle soit vivante et qu’elle puisse témoigner. 

— Ménagez-la, quand même, elle n’est pas bien solide. Même avant son agression, elle a dû être séquestrée un bon moment, car elle est très amaigrie. 

— Je m’en suis rendu compte quand je l’ai reçue. Je vais aller l’interroger à l’hôpital, et puis je verrai avec son médecin, comment organiser son séjour en convalescence. 

— Oui, enfin, ne vous faites pas d’illusion, il ne la lâchera pas de sitôt. À ce propos, commissaire, il faudrait penser à assurer sa surveillance parce que tôt ou tard, les médias diffuseront la nouvelle de sa fuite, ce qui la mettra en danger. Croyez-moi, ceux qui l’ont agressée ne feront pas de quartier, ils auront trop peur qu’elle ne les dénonce.

— Vous avez raison, Dragos. Malgré votre horrible boulot, vous restez un être humain et je vous en félicite.

— Ah Vétoldi, c’est bien agréable d’être deux zozos dans le même genre dans ce monde pourri. 

— Oui, je suis bien d’accord.

Sur ces bonnes paroles, le docteur Ion-Dragos conclut leur rencontre:

— Allez, à bientôt Vétoldi, je retourne à mon beau gosse.

— Merci Dragos, je compte sur votre rapport d’autopsie.

— Je l’ai dicté pendant mon examen, le temps de le relire et de terminer l’examen du gosse, je vous le poste. 

Au moment de se séparer, Dragos se rapproche du commissaire pour une accolade mais il s’arrête à un mètre, se souvenant des consignes sanitaires et en poussant un soupir, il dit  :

— Ah Vétoldi, vivement que cette saleté de virus nous rende nos habitudes. Moi, mes amis, je les serre dans mes bras.  

— Allons Dragos, les vaccins vont nous sortir du tunnel, encore quelques mois et ce sera bon.

— Puissiez-vous dire vrai. En tout cas, moi, j’en ai marre de perdre du temps avec les cas de COVID que je suis obligés d’examiner pour dire si oui ou non, le décès est dû au virus. Mon métier n’est pas là, mon métier c’est d’autopsier les victimes d’agression et je ne considère pas le virus comme un agresseur.

— Comme je vous comprends ! Ce virus prend trop de place dans la vie de tous. Il est le fruit de l’excès des échanges internationaux. On doit travailler sur l’autonomie sanitaire minimale. J’espère que l’Institut Pasteur va se réveiller et nous sortir son vaccin. 

— En toute confidence, leur vaccin devrait être prêt en mai ou juin, j’ai un copain à Pasteur qui le pense. En tout cas, ils sont motivés à l’idée de damner le pion aux profiteurs du COVID. 

— J’aimerais vous croire. Bon, cette fois, au revoir et à bientôt pour partager un repas de mon indien. 

— À bientôt.

Le commissaire Vétoldi fait un dernier signe de la main près de la porte. il voit Ion-Dragos Virgil repousser la mèche de cheveux qui vient de retomber sur ses yeux et il se demande comment il fait pendant les autopsies. Porte-t-il un bandeau ? À défaut, sa mèche doit le gêner.

Une fois dehors, le commissaire se dirige vers l’accueil central de l’hôpital. Arrivé au comptoir, il constate que la personne qu’il a déjà rencontrée lors de son enquête précédente est présente, il se rapproche d’elle, la salue et demande à voix basse dans quel service est hospitalisée Isabelle Demurget. 

— Ah bonjour commissaire, comment allez-vous? Oui, alors, je vais vous dire ça. voyons…Isabelle Demurget… Ah voilà, j’y suis. Elle se trouve dans le service du docteur Planque, bâtiment central, deuxième étage, chambre 206. N’y allez pas directement, j’ignore si les visites sont autorisées car elle vient juste de rentrer. Allez voir d’abord le bureau des infirmières du service ou téléphonez au chef du service, je vous donne son numéro de poste. 

La charmante réceptionniste marque les informations sur un papier qu’elle tend au commissaire :

— Voici. Au revoir Monsieur le commissaire et n’hésitez pas à revenir vers moi si besoin.

— Merci beaucoup chère Madame.

— Vous pouvez m’appeler Rosine, c’est mon deuxième prénom, celui que j’aurais voulu porter. 

— Avec plaisir, merci Rosine et certainement à bientôt.

Le commissaire Vétoldi s’éloigne, suivi du regard par Rosine qui le trouve très séduisant. Dommage, aujourd’hui, elle ne portait pas son tee-shirt au décolleté dévastateur qui a pour conséquence de faire rougir les hommes… Quelques minutes plus tard, elle sursaute car une personne s’est adressée à elle :

— Alors, vous me répondez ou quoi ? 

Rosine rougit violemment et elle balbutie malgré son envie d’envoyer promener le visiteur qui la fixe d’un regard coupant :

— Excusez-moi, Monsieur, vous désirez ? 

— Je vous ai demandé le numéro de la chambre de Madame Demurget.

— Madame Demurget ? Eh bien justement le …

Rosine s’arrête brusquement, elle se mord les lèvres. Si le commissaire Vétoldi a demandé à la voir, c’est que potentiellement, elle est soit victime, soit agresseur… alors, elle se doit d’être discrète. 

L’homme insiste, affichant tout à coup un sourire engageant :

—  Vous disiez à propos de Madame Demurget, le … ? 

— Rien. Madame Demurget n’est pas autorisée à recevoir des visites actuellement.

— Ah ? Et pour quelles raisons, je suis de sa famille.

— Je n’en ai aucune idée, moi vous savez, j’applique les consignes qui me sont transmises. Faites une demande au directeur de l’hôpital en précisant votre lien familial, avec la photocopie de votre pièce d’identité.

— Si les visites lui sont interdites, ça veut dire qu’elle est mal en point ? J’espère que ce n’est pas trop grave ? 

— Enfin, écoutez si elle est hospitalisée, c’est qu’elle n’est pas en grande forme. Ici, on ne garde que les gens qui ont des graves problèmes de santé, sinon, soit on les renvoie chez eux, soit ils vont dans les unités de soins de suite, des structures plus légères. Vous savez avec le COVID, les hospitalisations sont très encadrées. 

— Je comprends, je vous remercie et j’entreprendrai la démarche que vous me suggérez. 

L’homme s’en va, Rosine se sent soulagé. Quand même, il a l’air bizarre et son regard est glaçant. Elle devrait peut-être signaler sa présence et sa demande au service de sécurité ? Elle se lève pour vérifier que le visiteur est suffisamment éloigné pour appeler le vigile qui est près de la porte principale. Elle ne le voit pas, elle appuie sur le bouton d’urgence. Deux minutes plus tard, le vigile arrive. 

— Oui, tu m’as appelé ? 

— Il y a un type vraiment bizarre qui vient de passer, il a demandé à voir Isabelle Demurget, une patiente que le commissaire Vétoldi vient de demander à voir. C’est qu’elle est peut-être la victime d’une agression ? 

— Tu ne lirais pas trop de polars, toi ? 

— Oui, j’en lis et c’est justement pour ça que j’aie l’œil. Ou alors, essaie de prévenir directement le commissaire, il est parti à la 206, tu peux peut-être le retrouver sur place. 

— C’est ça, abandonner la surveillance de la porte centrale pour courir après le commissaire après le passage d’un inconnu… Je n’en ai pas le droit, mais parce que je t’aime bien, je vais faire un signalement. Il était comment ton bonhomme ?

— Un regard dur, noir.

— C’est tout ? Grand, petit ? Couleur des cheveux, forme de son visage ?

— La taille, c’est pas facile depuis le comptoir, moi je suis assise. Je dirais, le visage anguleux, des pommettes marquées, des joues creuses, le regard trop brillant… 

Le vigile soupire :

— Bon, je vais voir ce que je peux faire. Je retourne à la porte. 

Hum… Il n’est pas convaincu… Rosine cherche dans son carnet mémo, le commissaire, lors de leur première rencontre, lui a donné son numéro de portable. À cette pensée, elle rougit parce qu’un jour, elle l’a appelé pour lui proposer de boire un café ensemble mais il ne lui a jamais répondu… S’armant de courage car cette fois-ci, c’est un appel professionnel, elle rédige un texto qu’elle lui envoie aussitôt : Commissaire, un individu bizarre vient de demander à voir Madame Demurget, j’ai dit qu’elle ne recevait pas de visites. Il est parti. Rosine, de l’accueil. 

Le commissaire Vétoldi fait les cent pas dans le couloir du deuxième étage, il attend l’arrive du chef de service, le docteur Planque. En entendant la signal de l’arrivée du message, il en prend connaissance et s’exclame : Mais comment ont-ils appris qu’elle avait été hospitalisée ? Ils n’ont pas traîné… C’est exactement ce que je craignais… Bon, raison de plus pour organiser sa surveillance…

 

À Suivre… Prochain épisode le Dimanche 31 Janvier 2021…