LES ROSES – ÉPISODE 12 Rencontre entre le Commissaire Aghilas et Inès Benlloch

 

ÉPISODE 12 Rencontre entre le Commissaire Aghilas et Inès Benlloch

 

Le commissaire Aghilas se frotte les mains. Il attend la venue d’Inès Benlloch d’ici quelques minutes. Lors de son appel, elle a tout de suite accepté de se rendre quai des Orfèvres. Ils ont convenu de vingt et une heures. 

Il lui a dit qu’il irait la chercher dans le hall d’entrée pour lui éviter les contrôles avant de pouvoir accéder à l’aile des commissaires enquêteurs. Il a noté quelques questions mais il compte surtout l’écouter raconter ce qu’elle sait de la victime. Tout en prenant le chemin de l’entrée, le commissaire sourit. Il a jeté un œil à la biographie de cette détective et il a appris qu’elle avait eu une carrière d’agent secret avant de se lancer aux côtés du Commissaire Vétoldi. 

Il peut comprendre son choix. Travailler avec le commissaire, ça a été son rêve à lui à un moment de son parcours. C’est qu’il avait une sacrée réputation, le gaillard ! C’était même une figue du Quai des Orfèvres. Non seulement, il résolvait les enquêtes avec brio, mais il était et est encore l’auteur d’une série télévisée. Alors bien, sûr, il y a eu ces rumeurs comme quoi le commissaire Vétoldi était une forte tête et refusait de plier devant l’autorité, au point qu’il avait choisi de quitter la maison et de créer cette agence de détectives. Et voilà qu’il avait repris du service dans la police nationale comme commissaire, à Vannes. C’était une carrière peu banale, mais somme toute assez enviable. Lui, le commissaire Aghilas ne doutait de rien avant son rendez-vous avec son patron, il pensait son avenir tout tracé, mais depuis que l’ordre lui avait été donné de boucler son enquête au plus vite, sa route ne lui apparaissait plus comme rectiligne. C’était la première fois que son patron intervenait dans le cours de son enquête et il était choqué. C’était comme si, après avoir mangé un poisson goûteux, une arrête s’était coincée en travers de sa gorge. 

En arrivant dans le hall cinq minutes avant l’heure, il balaie ces pensées personnelles pour se rendre totalement disponible à l’entretien qu’il va avoir. Il se poste près de la porte automatique. Il a expliqué à sa visiteuse qu’il lui faudrait sonner à l’interphone et qu’il serait là pour lui ouvrir. Il ne patiente pas longtemps ; deux minutes plus tard, il la voit sur la vidéo quand elle sonne et il appuie sur le système d’ouverture. Elle ressemble à la photo qu’il a récupérée sur internet, non elle est plus jolie que sur la photo. Il la salue en s’inclinant légèrement et lui propose de le suivre jusque dans une salle de réunion :

— Venez, nous allons pouvoir discuter, les salles du rez-de-chaussée sont agréables et nous ne serons pas dérangés. 

Elle le suit dans un couloir où les lumières s’allument au fur et à mesure de leur avancée. Le commissaire s’arrête, il ouvre une porte sur sa droite puis s’efface pour la laisser passer. C’est une salle aux vitres opaques. Le plafond est équipé de spots disposés de façon à diffuser une lumière efficace mais non aveuglante. Le commissaire Aghilas s’installe en bout de table et il invite Inès Benlloch à s’assoir non loin de lui. 

— Bien, alors que pensez-vous de la victime ? Lorsque vous l’avez reçue, quelle a été votre première impression ? Avez-vous eu le sentiment qu’elle se sentait persécutée, poursuivie ? Avez-vous pensé qu’elle courait un grand danger ? 

Inès Benlloch ne répond pas tout de suite, elle se replonge dans le film de son rendez-vous avec la victime. Ses paroles, son attitude dans le bureau puis sa silhouette voûtée sur le trottoir, aperçue depuis le balcon de son bureau… 

— C’est compliqué. Laurence Devieille m’a consultée pour me confier une mission précise. Je devais identifier la personne, en l’occurrence un homme, qui la suivait lors de ses joggings matinaux. Elle avait des soupçons sur l’identité de cet homme, elle pensait qu’il pouvait s’agir d’un ancien copain avec lequel elle avait rompu depuis de nombreuses années et qui était devenu Ministre de l’Enseignement supérieur. 

— À votre avis, ce copain et le Ministre ont-ils de vraies ressemblances ?

— Personnellement, j’aurais eu du mal à me prononcer car comparer les photos d’un jeune homme âgé d’une vingtaine d’années à celle d’un homme adulte de quarante ans est tout sauf facile. C’est pourquoi j’ai demandé à un super-physionomiste de le faire. Il a été affirmatif. Le Ministre et le copain ne font qu’un. 

— Bien, je suis aussi de cet avis, mais pour d’autres raisons que les vôtres. Je m’explique mais je vous demande de garder cette information par devers vous. Il se trouve que mon patron m’a pressé de terminer mon enquête et de passer le bébé à la magistrate chargée du dossier. C’est hautement regrettable car j’avançais bien et j’ai un peu peur qu’ils en arrivent à inculper un innocent. La victime avait un amant qui était aussi son voisin, or j’ai découvert qu’il était présent la nuit du crime. Tout semble l’accuser. Cet homme que j’ai interrogé reconnaît qu’il est allé dans l’appartement de Laurence Devieille mais qu’elle était déjà morte.

— Eh bien ! Reconnaissez que si on vous avait laissé l’enquête, vous auriez eu du mal à le sortir de ce guêpier.

— Il n’avait aucun motif pour la tuer et bien au contraire, je suis convaincu qu’il l’aimait.

— Beaucoup d’hommes prétendent aimer la femme qu’ils viennent de tuer. S’il était marié, il s’en est peut-être débarrassé à cause de sa femme ?

— Son épouse était au courant, d’après ce qu’il dit et ils étaient partis ensemble vivre le confinement à Sanary, dans le midi. 

— Il n’arrivait pas à choisir, entre sa femme et sa maîtresse, c’est classique, c’était l’une ou l’autre, il en a assassiné une, en l’occurrence sa maîtresse. 

— Je n’arrive pas à le croire coupable, il n’a pas une gueule d’assassin.

— Commissaire Aghilas, vous me faites rire, vous affirmez ça comme si un meurtrier portait le crime sur sa figure. 

— Ce n’est pas exactement ce que je voulais dire, selon moi, c’est un brave garçon. Je ne l’imagine pas une minute faire l’aller-retour Sanary-Paris pour venir la tuer. Toutes les personnes qui ont vécu le grand amour peuvent comprendre son geste. Elle lui manquait tellement qu’il n’a pas pu résister et qu’il a débarqué à Paris pour la revoir et horreur, il l’a retrouvée morte.

Inès Benlloch a envie de sourire… Le commissaire Aghilas, spécialiste des problèmes de cœur aurait-il vécu une passion dévorante ? Elle, Inès s’accroche à la réalité des faits, elle lance : 

— Selon vous, pour quelles raisons n’a-t-il pas prévenu la police après l’avoir retrouvée assassinée ?

— Il était bouleversé et terrorisé. Mettez-vous à sa place. 

— Ce n’est pas ma méthode, je ne cherche jamais à m’imaginer dans la peau du criminel. J’étudie les faits et je réfléchis.

— Bravo Miss Marple et cette fois, qu’ont déduit vos petites cellules grises du fond de votre thé bien noir ? 

— Ne vous moquez pas de moi, Zireg.

Le prénom du commissaire Aghilas vient de lui échapper, sans doute parce qu’elle en a pris connaissance, en parcourant sa biographie, juste avant sa venue au Bastion. La jeune femme croise le regard de velours du commissaire Zireg Aghilas, non seulement il n’a pas réagi négativement mais il lui sourit, éclairant ses yeux noirs d’un éclat bleuté. Elle sursaute quand il lui demande de sa belle voix grave :

— Inès, vous ne voyez rien d’autre à me dire sur ce crime ?

Elle ne répond pas tout de suite. Transportée dans la vallée de la Soummam[1], l’image d’un cavalier arrêté en pleine course lui venait à l’esprit, elle finit par murmurer : 

— Zireg, vous aussi venez de Bejaia ? 

C’est à son tour d’être pris au dépourvu, mais il réagit tout de suite :

— Mes parents sont venus en France, j’ai fait toute ma scolarité ici. Ce que je connais de Bejaia et de la Soummam relève plus de ce que m’en ont raconté mes grands-mères que de mon vécu. Et vous, vous êtes venue quand ? 

— Je vous raconterai ma jeunesse plus tard si nous devenons amis.

— D’accord, excusez ma curiosité. Bien, que comptez-vous faire en ce qui concerne cette affaire ?

— Rien. Je n’ai aucune mission à ce sujet. 

— Dommage, j’aurais apprécié de vous épauler discrètement et je suis persuadé qu’à nous deux, nous aurions découvert le pot aux roses. 

Le pot aux roses… Ce commissaire a un petit côté vieillot mais c’est charmant… 

Inès Benlloch se lève et se contente de prendre congé :

— Il est grand temps que je rentre chez moi. Commissaire Aghilas, je suis très heureuse de vous avoir rencontré, je vous dis à bientôt.

— Vous ne voulez pas que nous allions boire un verre quelque part ? 

— Non merci, pas ce soir, une autre fois. 

Le commissaire Aghilas reconduit Inès Benlloch jusqu’au hall d’entrée. La porte se referme derrière elle. Il regagne son bureau, prend ses affaires et rentre chez lui. Inès Benlloch est très attirante mais elle sera coriace… 

À Suivre… Prochain épisode le Dimanche 8 août 2021…



[1]

La vallée de la Soummam, du nom de la rivière qui la traverse, se situe en Kabylie, région du nord de l’Algérie, occupant un large couloir de la wilaya de Béjaïa. Enserrée entre l’ensemble Akfadou-Gouraya au Nord, la chaîne des Bibans(territoire historique des Ait Abbas) au sud-est et la vallée du Sahel-Djurdjura (commune de Tazmalt) au sud-ouest. La vallée de la Soummam qui s’étend d’Akbou à Béjaia, apparaît comme un étroit couloir sinueux de 65 km de long (à l’intérieur de la wilaya de Béjaïa) sur une largeur maximum de 4 km à El Kseur.

Les versants particulièrement au Sud, sont des pentes relativement douces et donc très développées. Cette zone est décomposée en petites unités pédologiques différentes : le flysch l’emporte à Akbou, le grès est prépondérant à El Kseur.

Les communes d’Amizour, d’El Kseur, d’Ouzellaguen et de Timezrit possèdent de vastes espaces propres à des cultures riches telles que le maraîchage et l’arboriculture fruitière.