ÉPISODE 17 – RENDEZ-VOUS AVEC DONATIEN DONATO
Après sa rencontre avec son ex-collègue de la DGSE, William W., Inès Benlloch avait longuement hésité. Devait-elle confronter son client avec les informations que William W. lui avait apprises ? Elle avait fini par prendre sa décision, elle ne pourrait poursuivre sa mission sans connaître la vérité, aussi avait-elle appelé Donatien Donato et elle lui avait demandé de passer à l’agence le plus rapidement possible. Il était venu le soir même, vers 21 heures.
À peine était-il assis qu’Inès était allée droit au but, elle avait sorti les photos montrant le Ministre en compagnie du jeune homme.
— Si vous souhaitez que je vous disculpe pour le meurtre de Laurence Devieille, j’ai besoin de savoir si vous entretenez une relation sexuelle avec ce jeune homme ?
Devant la brutalité de la détective, les yeux de Donatien Donato étaient rivés sur les photos, il respirait difficilement. Plusieurs minutes s’écoulèrent avant qu’il ne puisse s’exprimer :
— Où vous êtes-vous procuré ces photos ?
— Comme vous le savez, avant d’être détective privée, j’étais agent pour le compte de la DGSE. Un de mes collègues me les a fournies, ils ont un dossier sur vous comme sur chaque membre du Gouvernement. Il a avancé une information qui pourrait être dangereuse pour votre carrière, à savoir que la police marocaine étant au courant de vos préférences sexuelles, le pouvoir pourrait exercer une pression pour obtenir davantage de visas étudiants que ceux qui seraient autorisés et c’est d’autant plus actuel que les accords viennent d’être remis en cause et que le nombre de visas est maintenant restreint.
— Je ne sais pas quoi vous répondre. Vous n’allez pas me croire si je vous dis la vérité.
— Dites toujours, vous êtes mon client, vous n’avez aucun intérêt à me mentir.
— Eh bien, je n’ai jamais eu de relation sexuelle avec un mineur quel qu’il soit.
— Dans ce cas, comment se fait-il que la police marocaine vous ait arrêté alors même que vous vous trouviez en compagnie d’un garçon âgé de treize ans dans une chambre d’hôtel ?
— C’est une affaire ancienne et j’ai été totalement disculpé. Un médecin qui a examiné le jeune garçon et il a prouvé qu’il n’y avait pas eu d’acte sexuel. J’avoue que j’ai été traumatisé d’avoir été arrêté et puis surtout d’avoir passé trois jours dans les geôles marocaines. Ce jeune garçon comme je l’ai dit à l’époque, m’a servi de guide à travers les rues de Tanger. Quand vous vous promenez seul dans cette ville, vous êtes rapidement entouré de garçons de tous âges et j’ai été ému par ce jeune homme qui paraissait plus âgé qu’il ne l’était. Il avait des yeux extraordinaires, on dirait qu’ils ont été fabriqués avec du velours noir bleuté. Un regard magnifique. Cependant, son comportement m’a déçu car il n’a pas nié la relation sexuelle avec moi. À vrai dire et je ne pouvais pas le savoir, il avait déjà vendu son corps à des étrangers. Quand je l’ai fait entrer dans ma chambre d’hôtel, il s’est déshabillé à ma grande surprise, je ne lui avais rien demandé de la sorte. Avant que je n’aie pu réagir, deux policiers ont ouvert la porte à la volée et ils m’ont embarqué. Heureusement, j’ai pu prévenir l’ambassadeur de France que je connaissais, il a alerté le consul qui est passé me voir à la prison. Le consul m’a trouvé un avocat, l’adolescent a été examiné par un médecin, il y a eu une recherche ADN et l’absence de relation sexuelle avec moi a été prouvée.
— Une rumeur court également à votre sujet, vous entretiendriez une relation avec le fils de vos gardiens et vous indemniseriez ses parents qui auraient pu ainsi s’offrir une très belle voiture.
— Les gens sont vraiment malveillants ! Oui, je suis attaché à ce jeune homme et je fais tout ce que je peux pour qu’il réussisse ses études. Je lui paie des cours de français et de maths. Il est sérieux et il progresse. Je n’ai pas d’enfants, il est un peu comme mon fils adoptif.
— Sauf qu’il a des parents.
— Oui, bien sûr mais ils sont analphabètes. Avant de m’installer au Maroc, j’ignorais que beaucoup d’habitants de ce pays ne savaient pas lire. Les Benada sont d’excellents gardiens, ma maison ne risque pas d’être cambriolée. Amir entretient le jardin et Asia tient la maison. Quand j’arrive là-bas, je peux décompresser complètement, tout est organisé pour que je n’ai aucun souci et je m’y sens merveilleusement bien. J’adore cette ville. J’aimerais qu’elle se développe pour que les jeunes puissent y rester au lieu de s’embarquer sur des bateaux de fortune au péril de leur vie. Je trouve cette situation absurde et à mon échelle, c’est exact, je m’efforce de l’améliorer. C’est la raison pour laquelle je pèse de tout mon poids pour que nous accordions le maximum de visas aux étudiants marocains. En France, nous manquons d’enfants. Les jeunes qui arrivent du Maroc et plus largement d ‘Afrique du Nord, quand ils font leurs études supérieures en France, s’intègrent parfaitement par la suite, beaucoup d’entre eux restent, ils acquièrent la nationalité française, ils font carrière et assez souvent, ils montrent davantage d’ambition que les jeunes Français d’origine.
Inès Benlloch avait écouté attentivement le Ministre. Elle ne savait plus que penser. Elle avait tendance à le croire, il avait l’air tellement sincère. Pourtant, il restait la question épineuse de sa sexualité. S’il n’avait pas de relation avec des garçons, comment faisait-il ? À moins qu’il ne fasse partie des no-sex ? Elle hésita un court instant puis elle se risqua à poser la question qui lui brûlait les lèvres :
— Dans ces conditions, si votre vie sexuelle ne se déroule pas au Maroc, la menez-vous en France ?
— Je n’ai pas de relation fixe avec une femme si c’est ça que vous voulez savoir. C’est très facile de satisfaire ses pulsions, car il existe des applications qui sont faites dans ce but. Pour tout vous dire, je n’ai pas été capable d’aimer une autre femme que Laurence mais j’ai eu de nombreuses liaisons de courte durée. Je ne veux pas m’attacher, j’ai trop souffert. Peut-être que les choses vont changer maintenant qu’elle est morte. Je verrai mais je ne pourrai pas tourner la page tant que son assassin ne sera pas sous les verrous. Comment vous dire ? C’est mon devoir. Depuis que je connais Laurence, j’ai eu envie de la protéger. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas moi-même. Ce doit correspondre à ma définition de l’amour, mais ce n’était pas la sienne. Je commence tout juste à comprendre qu’elle était attirée par les situations amoureuses complexes. Voyez sa dernière relation, Océan Poulain était marié…
— Pensez-vous qu’il ait pu la tuer ?
— Je ne sais pas, je ne le connais pas, je ne l’ai jamais rencontré, pourtant je souhaiterais le connaître. Il est le dernier homme que ma Laurence a aimé et à ce titre, il représente un lien avec ma bien-aimée. En outre, si je suis correctement informé, c’est lui qui l’a découverte. Je le plains, je n’aurais pas supporté la scène que j’imagine. Laurence, poignardée, couverte de sang…
Donatien Donato plongea brusquement la tête dans ses mains. Un long silence s’installa qu’Inès ne chercha pas à rompre. Il lui fallut plusieurs minutes avant qu’il ne reprenne la parole :
— C’est épouvantable, je suis hanté par cette vision de cauchemar, elle m’empêche de dormir. Je ne serai délivré que lorsque je l’aurai vengée. C’est la raison pour laquelle je vous ai chargée de cette enquête. Je veux connaître la vérité, je veux savoir qui a assassiné ma belle amie.
— Bien, avant toute chose, je vous remercie pour votre franchise, sachez que c’est primordial pour l’enquête que vous soyez d’une parfaite franchise vis-à-vis de moi. J’espère trouver l’assassin même si ce ne sera pas facile. Vous n’êtes pas le seul à compter sur moi, sachez que l’enquête a été retirée au commissaire Aghilas, on lui a ordonné d’inculper Océan Poulain et de transmettre au plus vite le dossier à la magistrate qui est en charge du dossier. Il semblerait que cette décision soit due à vos fonctions au gouvernement.
— Je n’ai jamais rien demandé de tel !
— Le Ministre de l’Intérieur est sans doute intervenu, à moins que ce ne soit le Ministre de la Justice, ou les deux de concert. Enfin, peu importe. Ceci dit, c’est plutôt une décision qui vous est favorable et elle ne gêne en rien ma propre enquête.
— Je vous réaffirme ma confiance. Poursuivez et trouvez le meurtrier de ma Laurence…
À Suivre… Prochain épisode le Dimanche 17 octobre 2021 …