ÉPISODE 7 – NOUVEAU TOUR AU MANÈGE
DIMANCHE 5 JUILLET
Une heure trente après être entrée au salon de coiffure, Samia Belkacem se regarde de face et de dos, dans le miroir que lui tend la coiffeuse ; celle-ci lui demande, tout sourire :
— Alors, ça vous plaît ?
— Je ne sais pas, ça me change beaucoup, il faut que je m’habitue.
— Je vous rassure, si jamais ce n’était pas le cas, vous savez que nous pourrions revenir en arrière.
— Bien sûr, je verrai ; en attendant, merci.
Samia quitte le salon, elle brûle d’envie de poster sa photo sur Facebook pour voir la réaction de ses connaissances, mais elle se retient, son commissaire ne serait peut-être pas d’accord. Il lui a demandé non seulement de se colorer les cheveux, mais de changer de nationalité, donc elle ne doit pas être reliée à sa véritable identité avec sa nouvelle apparence. Elle murmure : Je suis maintenant Libanaise et rousse… Rousse et libanaise…
Sur le chemin du commissariat, elle tape Liban, et recueille des infos. 6 millions de Libanais, plus d’1 million de réfugiés venus de Syrie et d’autres de plusieurs pays ; le plus célèbre d’entre eux est celui qui s’est enfui du Japon. Samia a suivi son périple sur les medias.
Samia a toujours adoré l’actualité et quand elle était plus jeune, elle voulait être journaliste, plus tard, elle a changé d’avis devant le développement de la délinquance dans sa cité. Plusieurs métiers ont alors défilé dans sa tête, Magistrate, Avocate, professeure et plus récemment, commissaire de police. Elle effectue ce stage au commissariat de Vannes pour tester sa vocation et jusqu’à présent, elle n’est pas déçue, mais peut-être est-ce dû au fait qu’elle soit tombée sur un commissaire pas comme les autres, le Commissaire Vétoldi. Elle en tire une certaine fierté, car s’il est connu comme ancien commissaire du Quai des Orfèvres, il l’est surtout comme scénariste pour la télé. Samia est une fan’ de la série dont il est l’auteur…
La voilà arrivée devant l’hôtel de police, elle a rendez-vous avec le commissaire Vétoldi, il a prévu de l’emmener au manège des Delprat, là où Bridget Kelly, la dernière victime du tueur travaillait.
À l’entrée, elle salue Georges, le brigadier-chef qui est à l’accueil ce matin. La cinquantaine, il est un peu réfractaire à l’arrivée des femmes dans la police et lorsqu’ils ont échangé quelques mots au début de son stage, il a tout fait pour la dissuader de poursuivre dans cette voie professionnelle : C’est un métier trop dur pour les femmes, les horaires sont incompatibles avec le fait d’avoir des enfants… Tous les stéréotypes y sont passés … Le résultat, c’est que Samia en a souri et elle a seulement conclu : C’est générationnel, ces discours-là, les choses ont changé, les femmes et les hommes ne sont plus les mêmes que dans votre jeunesse. Georges l’a regardée avec effarement, décidément ces jeunes se croient tout permis, lui, du temps de son premier stage dans la police, il n’aurait jamais osé répondre à un ancien comme elle l’a fait puis, il a abandonné la partie, elle est trop coriace pour lui, cette petite et elle est si mignonne, il faut reconnaître et la plupart du temps, elle est si polie, elle s’adresse toujours à lui, le matin quand elle arrive, par ces mots : Bonjour Monsieur le brigadier-chef …
Samia se dirige vers le bureau du Commissaire Vétoldi, elle frappe :
— Entrez !
Il ne prend pas le temps de la regarder, il dit sans quitter son ordinateur des yeux :
— Bonjour Samia, assieds-toi cinq minutes, je termine un courrier et nous partons.
Les cinq minutes deviennent une bonne demi-heure, mais Samia ne bouge pas, elle attend patiemment. Le commissaire Vétoldi referme enfin son portable et lui dit, tout en prenant sa veste :
— On y va !
Samia sur ses talons, il traverse au pas de charge le couloir qui conduit à la porte arrière du commissariat et permet d’accéder à la cour où sa voiture est garée. Avant de démarrer, il fixe le gyrophare sur le toit, sourit et commente :
— On ira plus vite. Installe-toi à l’arrière, s’il te plaît.
Samia obéit, elle ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas s’asseoir devant, mais il a certainement des raisons d’agir ainsi. Alors qu’ils sont sur le chemin du manège, le commissaire Vétoldi lui donne ses instructions :
— Bien, tu es parfaite en rousse, donc de ce côté-là, pas de souci. Je te présenterai comme ma stagiaire, donc tu lui poseras des questions pour alimenter ton futur rapport. Tu peux enregistrer sur ton téléphone ?
— Oui, je peux, mais pas très longtemps, j’ai des problèmes de batterie.
— Allez, on fait une petite répétition, que penses-tu lui demander ?
— Je… Il faut que je réfléchisse.
— Eh bien, dépêche-toi, nous arrivons dans trois minutes.
— Bonjour Monsieur, vous avez bien connu la dernière victime du serial-killer, parlez-moi d’elle ?
— Hum, c’est trop direct, il faudrait orienter tes questions vers des pistes de façon à apprendre des nouvelles informations. Si je t’ai demandé de te teindre les cheveux en roux, c’est parce que je tenais à ce que tu lui fasses penser à elle. Commence par l’amadouer : Bonjour Monsieur, j’aimerais connaître la manière dont les chevaux ont été traités pendant le confinement. Par exemple, je sais que les chevaux doivent être montés quotidiennement sous peine de perdre l’habitude et de devenir potentiellement dangereux en cas d’utilisation par des cavaliers inexpérimentés. Êtes-vous parvenu à vous organiser malgré l’absence de vos élèves ?
Samia adapte à sa façon la demande de son commissaire, elle propose :
— Compris, donc, je lui demanderai : Le Commissaire Vétoldi m’a confié que Bridget Kelly était particulièrement attachée à une jument nommée Rouquine, comment expliquez-vous ce lien très fort entre cette jeune écuyère et sa jument ?
—Ah, très bien ! Excellente idée, je serai curieux tout à l’heure d’entendre sa réponse. Continue.
— À vrai dire, je poserai ensuite mes questions en fonction de sa réponse.
—Tu as raison, bon, nous sommes arrivés.
Le commissaire Vétoldi pénètre dans la cour de la ferme et gare sa voiture. Ils descendent, puis ils se dirigent vers la porte du bâtiment. Elle est ouverte et à peine se retrouvent-ils devant que Véronique Delprat apparaît :
— Bonjour Commissaire, bonjour Madame. Mon mari vous attend aux box, il soigne les chevaux.
—Très bien, je vous remercie.
La porte se referme, Véronique Delprat est nettement moins aimable que la première fois. Le commissaire Vétoldi prend la direction des box et cinq minutes plus tard, il s’arrête devant celui de Rouquine. Elle ne passe pas la tête comme elle l’avait fait le jour où il était venu.
Xavier Delprat s’avance vers eux.
— Bonjour Monsieur le commissaire, vous voilà revenu ? Je vais finir par penser que vous êtes tombé amoureux de la Rouquine. Mais ne la cherchez pas, elle n’est plus ici. sa propriétaire est venue la chercher, elle l’a ramenée chez elle.
— Elle n’est pas à vous ?
— Non, elle était pensionnaire comme plusieurs autres chevaux qui sont ici.
— Elle va vous manquer.
Xavier Delprat se tourne vers Samia qui vient de s’exprimer, il lui sourit :
— Elle me manque déjà, c’est une bête magnifique et tellement intelligente. J’ai souvent eu le sentiment qu’elle me comprenait et qu’elle allait me parler. C’est étrange car ce ne sont pas tous les chevaux qui se comportent ainsi. Cette jument était particulièrement proche des humains.
— Un jour ou l’autre, sa propriétaire vous la ramènera. Elle n’aura pas la possibilité de s’en occuper en continu comme vous le faites.
— Oui, je pense que cela se passera ainsi et j’espère que Rouquine sera là quand Bridget va revenir.
— Vous pensez qu’elle reviendra ?
— Bien sûr, elle sortira du coma un jour ou l’autre et alors elle parlera et dira quel est le salaud qui l’a massacrée.
— Elle ne se souviendra peut-être de rien.
— Vous croyez qu’on oublie une horreur pareille ?
— Oui, le traumatisme est tel que se remémorer serait trop difficile à supporter pour le psychisme.
— Vous parlez comme un psy, je ne savais pas que dans la police, vous faisiez de la psychologie.
— Si bien sûr, la psychologie fait partie de notre formation.
— Surtout de celle des profileurs.
— Oui, vous avez raison. Qu’est-ce qui vous fait dire que Bridget reviendra ?
— Je ne sais pas, je le sens, c’est tout. Je la connaissais bien, vous savez et parfois, j’ai comme l’impression qu’elle me parle de là où elle est, elle me dit : T’inquiète, je reviendrai et on reprendra nos chevauchées !
—Vous êtes attaché à cette jeune fille ?
— Oui, beaucoup, c’est une fille qui a été élevée à la campagne comme moi, elle aime les chevaux et elle sait leur parler. Elle faisait ce qu’elle voulait de Rouquine. Si vous l’aviez vue…
Il baisse brutalement la tête comme submergé par le chagrin et Samia se demande si des larmes n’ont pas surgi dans ses yeux. Intriguée, elle lui demande :
— Cette jument avait-elle quelque chose que les autres chevaux n’ont pas ?
— Elle était intelligente et comprenait le langage humain, voilà pourquoi. Elle aimait être caressée et j’aimais la caresser. Bridget et moi, on aimait la soigner, on voulait qu’elle ait la plus belle robe, avec des poils aussi soyeux que des cheveux. On se notait mutuellement sur la qualité de nos soins.
— Votre femme n’était pas jalouse ?
— Jalouse de qui ? De Rouquine ou de Bridget ?
— Des deux.
— Peut-être un peu, ma femme n’est pas fan des chevaux, elle aime la nature mais ne sait pas s’y prendre avec les chevaux ; C’est très particulier, il ne faut pas en avoir peur et en même temps, on doit les respecter car à tout moment, on sait qu’ils peuvent marquer leur indépendance en vous envoyant une belle petite ruade. Autorité et amour se mêlent dans la relation avec un cheval. Vous oubliez un des deux et vous perdez la partie. Bon, vous voulez savoir autre chose ?
— Quand je suis venu, nous n’avons pas visiter les autres chevaux, nous ne nous sommes attardés que sur Rouquine.
Sans faire d’observations, Xavier Delprat leur fait faire le tour de tous les box, puis ils reviennent vers la ferme. Alors qu’ils s’apprêtent à partir, Xavier Delprat demande à Samia :
— Cela ne vous tenterait pas de remplacer Bridget ?
— Il faut demander au commissaire s’il me laisserait travailler ici alors que je suis censée faire mon stage au commissariat .
— Non, ce ne sera pas possible, mais si Samia veut venir monter à cheval sur ses jours de congé, je ne m’y opposerais pas.
Samia ne peut s’empêcher de s’exclamer :
— Encore heureux, vous n’en auriez pas le droit!
Puis, elle s’adresse à Xavier Delprat :
— Pour vous répondre, cher Monsieur, je dois vous avouer que je ne suis jamais montée à cheval, j’ai fait quelques tours de poney quand j’étais petite, c’est tout.
— Je peux vous apprendre. C’est drôle, vous ressemblez à Bridget, vous êtes Irlandaise comme elle ?
— Non, pas du tout, je suis Libanaise.
— Ah bon, très bien, vous vous plaisez en France ?
— Je … Oui, oui, bien sûr.
Samia se mord les joues, sa véritable nationalité a bien failli lui échapper.
Le Commissaire Vétoldi conclut leur visite :
— Bien, merci beaucoup, à bientôt. Au revoir Monsieur Delprat.
— Au revoir, Monsieur le commissaire, au revoir Madame.
La Commissaire Vétoldi et Samia s’éloignent et repartent vers le commissariat. Dans la voiture, le commissaire Vétoldi félicite Samia :
— Vous avez été parfaite, Samia, bravo ! On débriefera la rencontre, je tiens à recueillir votre opinion sur cet homme.
— Merci, c’était intéressant, même si je ne vois pas en quoi ma présence vous aura aidé.
Le commissaire Vétoldi ne répond pas et Samia à l’arrière de la voiture est perplexe…