DUO BRISÉ : ÉPISODE 1, ADIEU !

 ÉPISODE 1 : ADIEU !

 

Adriana marchait telle une automate, se contentant de suivre le mouvement lent et cadencé des personnes qui la précédaient.

Comment ce cauchemar était-il possible ? 

Là, en tête du cortège, roulait la carriole mortuaire noire et glacée, tirée par deux chevaux noirs, eux aussi. Comme elle, chacun serrait un lys dans sa main. On n’entendait que les sabots qui frappaient le sol.  

Huit jours plus tôt, elles se trouvaient toutes les deux, à Belle-Ile, salle Arletty, elle au piano, Anna Petrovna au micro. Mozart les avait réunies ce soir-là, comme tant d’autres soirs, Anna chantait la première aria de Dorabella, ‘Smanie implacabili’ de Così fan tutte tandis qu’Adriana l’accompagnait au piano. 

Un éclair jaillit et les premières gouttes de pluie se mirent à tomber. Arianna frissonna, elle ne portait qu’une fine chemise de soie sous son ample imperméable. Après un mois de forte chaleur, l’orage s’était levé et la fraîcheur s’était invité. Si la pluie persistait, ses larmes se confondraient avec elle. 

Les nuages ne s’accumulaient pas que dans le ciel, dans sa vie aussi. Après le drame, elle avait été entendue par le capitaine de gendarmerie du Palais, le capitaine Kervadec, et elle s’attendait au pire. Il lui avait dit qu’une enquête policière était ouverte pour mort suspecte et que bien sûr, un magistrat serait désigné pour couvrir la plainte déposée par la famille de la défunte. 

En entendant cette information, Adriana s’était exclamée : La famille, mais quelle famille  ? Ses parents refusent de la voir depuis que nous sommes ensemble, et c’est tout comme en ce qui concerne ses frères et sœurs. Alors comme ça, ils se réveillent parce qu’elle est morte ? 

Elle avait poursuivi pour elle-même : 

Depuis le jour où ils ont appris qu’elle m’aimait et que je l’aimais, ils ont disparu de sa vie… et de la mienne. Je devrais plutôt dire qu’ils n’étaient jamais entrés dans la mienne, Rejetée avant même de me rencontrer, voilà la vérité ! 

Adriana se rattrapa de justesse, elle avait failli tomber, son pied droit venait de heurter un pavé disjoint. Son voisin, un inconnu vêtu de noir, murmura :

— Ça va ? Vois avez besoin d’aide ?

Elle le regarda, il portait sa casquette à la main, et lui souriait timidement, il ajouta :

— Paul… J’étais un ami proche d’Anna. Vous êtes Adriana? Elle m’a tant parlé de vous que je vous connaissais sans jamais vous avoir vue. 

Après quelques secondes d’hésitation, elle lui adressa une esquisse de sourire, puis lui répondit :

— Oui, merci, c’est affreux.

— On pourrait se voir après la cérémonie ?

— Je ne sais pas… Je suis dévastée.

— Raison de plus, nous parlerons d’elle, cela nous fera du bien de nous rappeler les meilleurs moments passés ensemble. Elle existera toujours dans nos cœurs, dans nos souvenirs. 

— D’accord.

— Il y a un café tranquille sur le boulevard, de l’autre côté du cimetière, on y sera bien. 

Adriana se contenta de hocher la tête affirmativement. Sa gorge était si serrée que les mots ne passaient pas. 

Ils arrivaient sur le lieu de la sépulture. Les fossoyeurs posèrent le cercueil au sol, ils glissèrent les cordes, puis avec l’aisance que leur donnait leur métier, le sinistre chargement descendit doucement dans la fosse. Ils firent un signe et les assistants un à un défilèrent pour jeter leur lys. Bientôt, le bois de chêne et les ferrures dorées disparurent sous la couche éclatante de blancheur. 

Adriana s’exécuta comme les autres puis elle recula de quelques pas et voyant que son voisin de cortège en avait fait autant, elle murmura à son intention :

— Pourquoi des lys ? 

— Ah, vous ne le saviez pas ? Ils sont royalistes.

— Mais elle ne l’est pas, elle ! 

— Non, pas elle, mais eux, si.

Un homme prit la parole :

— Au revoir à notre sœur bien-aimée, que son âme repose en paix et que son souvenir reste intact dans nos cœurs.

Le groupe familial entonna Ce n’est qu’un au revoir…

Plus plat que ça, tu meurs… Adriana se pince les lèvres, un sourire a failli naître en même temps que ses larmes. C’est le cas de le dire puisqu’Anna l’est, morte, là, enterrée sous ses yeux, enfermée à jamais dans une boîte cloutée, elle qui détestait l’absence de liberté. Cette fois, Adriana ne peut retenir ses larmes et sa vue se brouille. 

Le chant s’est tu. 

Elle ne les voit pas mais elle les entend tomber, légères au début au début puis par pelletées, bientôt  les mottes de terre recouvrent les lys. La cérémonie se termine et les personnes commencent à se disperser. Elle aurait voulu rester encore et encore mais à quoi bon ? Anna Petrovna appartient de nouveau à sa famille d’origine, elle n’est déjà plus sa compagne, son amie, sa maîtresse, sa partenaire…

Cinq années ensemble, ça compte dans une vie, dans leur vie, sans compter les années passées au conservatoire de Paris, elle en classe de piano, et Anna en chant lyrique. Elles ont partagé leur passion pour la musique. 

En s’éloignant, elle place les écouteurs de son portable et Cosi fan Tutti retentit dans ses tympans. Au moins, ça, personne ne le lui volera ! Elle décide à cet instant de réunir leurs prestations musicales dans un CD qu’elle produira, coûte que coûte, en hommage à Anna. Les notes cristallines font taire ses larmes et ses yeux s’éclairent. 

Paul lui prend le bras doucement, ils sont arrivés à la porte du cimetière et il la dirige vers la gauche, vers le café où il a proposé de se retrouver…

 

À Suivre…. Prochain Épisode, Dimanche 23 Août …