ÉPISODE 2 – LE RÉVEIL DES VAUTOURS

 ÉPISODE 2 – LE RÉVEIL DES VAUTOURS 

Dimanche 23 août 2020

 

Voilà, le plus urgent est fait. Adriana a annulé la totalité des engagements pris avec Anna Pavlova. 

Elle avaient des concerts programmés les deux années à venir.

Maintenant, elle n’a plus rien devant elle, elle ne possède aucune visibilité. Elle ne sait pas quoi décider. 

La première chose à faire serait de rendre visite à son banquier, il faut qu’elle obtienne une baisse des échéances de son prêt immobilier, à défaut, elle devra déménager.

Elle a l’intention de vendre de toute façon, mais pas trop vite, elle veut se donner le temps de trier leurs souvenirs. 

Hier soir, elle a reçu un sinistre appel du frère d’Anna.

— Bonsoir Madame, je souhaite vous rendre visite, afin de recueillir les effets personnels de ma sœur, quand puis-je venir ?

La stupéfaction a rendu Adriana muette. Il a répété sa phrase. Cette fois, Adriana s’est réveillée et elle a demandé :

— Quels effets personnels ? Vous pensez à quelque chose de précis ? Anna vous avait-elle promis de vous laisser un souvenir ? Elle ne m’en a jamais parlé. 

— Nous, sa famille, nous sommes ses héritiers et c’est à ce titre que je vous appelle. Je le fais par correction vis-à-vis de vous, car j’aurais très bien pu m’adresser directement au notaire. 

Adriana prend son temps avant de répondre :

— Laissez-moi votre téléphone, je vous ferai signe quand j’aurai rangé nos affaires. Ce sera difficile de distinguer ce qui lui appartient de ce qui m’appartient.

— Il me semble que vous viviez ensemble et qu’elle participait aux dépenses au même titre que vous, il est donc logique que la moitié des biens que possédiez à deux, nous revienne. 

Incroyable ! Ce frère qu’elle n’a jamais rencontré, qui débarque après la mort de sa compagne pour réclamer de l’argent, qui exige son héritage… Adriana est à bout d’argument, elle raccroche sans dire un mot. Certaine qu’il va la rappeler, elle éteint son téléphone. Elle se prend la tête dans les mains. 

Comme si Anna avait eu un pressentiment, elle lui a dit quelques mois auparavant :   

— Adriana, nous devrions nous marier, s’il m’arrive quoi que ce soit, je ne voudrais pas qu’on vienne te dépouiller de ce qui pourrait être à moi. Nous vivons ensemble depuis cinq ans, notre couple est stable, je n’ai pas l’intention de te quitter, tu serais d’accord ?

— Je ne sais pas, je n’avais jamais envisagé de me marier un jour, et encore moins avec une femme !

Sa réponse a provoqué le fou rire d’Anna. Les notes de cristal s’étaient répandues comme les perles d’un collier, aussi claires que les notes de musique lorsqu’elle chantait. Puis, avec l’énergie et la détermination dont elle seule était capable, elle avait déclaré :

— Mais enfin, Adriana, une femme, un homme, quelle différence ? Le mariage est une protection contre les menaces de l’extérieur.

Adriana avait donné son accord et elle s’étaient rendues chez un notaire pour préparer leur contrat de mariage. Sur les conseils de ce dernier, elles avaient choisi la communauté universelle. Comme si Anna le  lui soufflait à l’oreille, Adriana téléphona au notaire. Elle prit rendez-vous pour le lundi suivant. D’ici là, elle ferait la morte si jamais le frère d’Anna ou une autre personne de sa famille réclamait sa part d’héritage. Ensuite, se forçant à agir, elle commença à ranger. En ouvrant leur armoire commune, elle se demanda ce qu’elle ferait des vêtements d’Anna, puis elle décida de garder ses foulards de soie. Elle fourra tout le reste dans des grands sacs qu’elle porterait chez Emmaüs. Ensuite, elle fit le tour de leur trois pièces, Anna avait-elle des objets personnels qu’elle pouvait identifier  ? 

Oui, le tableau de cette peintre bretonne, qui représentait un chat noir sur un fond vert, elle l’avait choisi ensemble dans l’atelier de la peintre. Cet achat avait été le résultat d’une longue discussion à propos de l’adoption d’un chat. Elle s’y opposait mais Anna insistait. Adriana avait objecté leur mode de vie, leurs déplacements incessants et la difficulté de trouver une nounou pour le chat. La discussion la plus récente et la plus vive, avait eu lieu à Quiberon, où Anna avait été sur le point de se rendre à l’école du chat dans le but de choisir son petit compagnon. Adriana lui avait demandé de surseoir à sa décision et de l’accompagner jusqu’à l’atelier de la peintre où elle avait repéré un tableau qu’elle souhaitait lui montrer avant de l’acquérir. Ce qu’elle avait tramé avec l’artiste était arrivé ; quand elles étaient entrés toutes les deux dans l’atelier, Anna était tombée en arrêt devant le magnifique chat noir peint sur fond vert. Ce chat était magique, on aurait dit qu’il la regardait, la fixant de ses yeux vert vif. Elle l’avait immédiatement acheté et elle l’avait rapporté à Paris où elle l’avait accroché sur le mur principal du salon, au-dessus du piano d’Adriana. 

Qu’allait-elle faire du chat d’Anna ? Elle resta devant lui pendant un long moment, murmurant : Que vais-je faire de toi ? te donner ? Mais alors à qui ? Ah, je sais, tu iras chez Paul

Adriana sortit la carte de visite que Paul lui avait remise la veille, alors qu’ils parlaient d’Anna, dans une brasserie située en face du cimetière Montparnasse. Elle composa un texto ad hoc : Bonjour Paul, je souhaite vous donner un petit tableau qui appartenait à Anna et qu’elle aimait beaucoup. Transmettez-moi votre adresse, je vous l’enverrai par voie postale.

Une ou deux minutes plus tard, elle recevait la réponse de Paul:

— Non, surtout pas ! Il risquerait de s’abimer ! Je viendrai le chercher et si vous êtes disponible, je peux être chez vous dans dix minutes. 

Chez moi dans dix minutes , Cela veut dire qu’il sait où j’habite, ou plutôt qu’il savait où vivait Anna … Comment cela se fait-il ? Anna ne m’a jamais parlé de ce Paul ? Qui était-il pour elle ? Nous étions presque toujours ensemble … Cependant quelle importance maintenant qu’Anna a disparu pour toujours ? Elle se contenta d’écrire OK en retour du message de Paul, puis elle reprit son inventaire. 

Dans leur chambre, sur la table de chevet d’Anna, trônait une petite pendule qui avait appartenu à sa grand-mère maternelle, elle la mit de côté dans un panier destiné à la famille d’Anna. Elle sortit de la chambre et ouvrit le débarras. Là gisaient une bonne dizaine de valises, dont certaines n’étaient guère plus que des souvenirs car elle ne fermaient plus, mais Anna avait voulu les conserver, car disait-elle, chacune d’entre elles lui rappelait un voyage, des concertes, des rires et des admirateurs … Maintenant qu’Anna n’était plus là, Adriana résolut de s’en séparer. Elle prenaient une place qui pouvait servir à autre chose d’utile. 

Elle venait juste de sortir six valises de la pièce quand l’interphone rugit, elle se précipita pour ouvrir la porte de l’immeuble, puis se posta dans l’entrée de l’appartement. Paul ne mit pas longtemps avant d’arriver, elle perçut ses pas sur le palier et lui ouvrit avant même qu’il ne sonne. 

Il lui sourit et elle remarqua l’éclat de ses yeux qui lui rappela celui des yeux d’Anna. Qui était cet homme ? Elle balbutia :

— Mais qui êtes-vous ? Vous lui ressemblez, surtout vos yeux… 

— Je vous l’ai dit, je m’appelle Paul, j’étais un ami d’Anna, un très vieil ami. Nous étions à la crèche ensemble, puis nous avons suivi le même chemin, à l’école primaire puis au collège et au lycée. Nous étions toujours ensemble. Ce n’est qu’après le bac’ que nous avons divergé. J’avais l’intention d’étudier la musique moi aussi, mais j’ai choisi de faire des études médecine. Je suis médecin. j’étais non seulement l’ami d’Anna mais j’étais aussi son médecin. 

— Ah, vous êtes le docteur Bernardet ? 

— Oui, Paul Bernardet. Vous voyez, elle vous a parlé de moi.

— Oui, mais comme son médecin, jamais elle ne vous a mentionné en tant qu’ami… C’est étrange.

— Elle avait peut-être peur que vous soyez jalouse ?

— Comment aurais-je pu être jalouse d’un de ses amis ? Comme quoi, elle me connaissait bien mal… Voilà le chat, le tableau que je souhaite vous donner, je suis sûre qu’elle l’aurait porté sur son testament si elle avait eu le temps d’en préparer un.

— Mais elle a fait un testament et je lui ai servi de témoin… 

— Comment ça ? 

— Non seulement j’ai signé en tant que témoin de ses dernières volontés mais je l’ai ensuite accompagnée chez le notaire avec lequel elle avait rendez-vous. 

Adriana avala sa salive, elle se sentait au bord de l’évanouissement. Elle parvint pourtant à articuler : 

— Pourquoi a-t-elle écrit ce testament, et c’était quand, vous le savez ? 

— Il y a quinze jours exactement. 

— Vous a-t-elle dit la raison pour laquelle elle avait pris cette décision ? 

— Vous ignorez peut-être que ses deux parents sont décédés dans un accident d’avion, survenu entre New York et Paris, en 2009, un an avant son entrée au Conservatoire. Chaque année, nous passons ensemble le jour de l’anniversaire de leur mort,  et la dernière fois, c’était le 15 août dernier. Elle m’a dit que la même chose pouvait lui arriver à elle aussi et qu’elle voulait prendre toutes les dispositions pour que sa mort n’entraîne pas, en plus de la souffrance, des difficultés pour ceux qui restaient. Au sujet du testament, je suis persuadé que le notaire va vous joindre demain, pour organiser la succession. 

Adriana s’effondra sur un fauteuil… C’en était trop pour elle. Hier, elle enterrait sa compagne, aujourd’hui, elle apprenait que celle-ci avait, sans le lui dire, fait un testament, quinze jours auparavant et c’était cet ami qui se tenait devant elle qui lui avait servi de témoin… Comment se faisait-il que jamais Anna n’ait fait allusion à la mort accidentelle de ses parents ? …

SUITE AU PROCHAIN ÉPISODE LE 30 AOÛT 2020