ÉPISODE  5 – Rencontre avec le Commissaire Vétoldi

Dimanche 13 Septembre 2020


Sauzon – Photo de l’Office de tourisme de Belle-Ile

 

         Une fois dans le hall de la gare de Vannes, Paul affiche le plan interactif de la ville sur son téléphone. Il compare les différents moyens de transport à sa disposition pour rejoindre le commissariat. 

14 minutes à pied

11 minutes en vélo auxquelles il faut ajouter les modalités de la location qu’il ne connaît pas.

13 minutes en autobus, plus l’attente.

Paul choisit de marcher, non seulement, il ne sera pas perdant en termes de temps, mais marcher lui fera le plus grand bien, après être resté assis dans le train.

Ainsi qu’il a été convenu avec le commissaire Vétoldi, Paul envoie un texto pour le prévenir que son train est arrivé à l’heure et qu’il est sur le chemin. La réponse tombe aussitôt :

Parfait, à votre arrivée, attendez-moi près de l’accueil du commissariat, je viendrai vous y  chercher à 11 heures trente. 

Paul vérifie le tempo à sa montre, il est 11 heures et quart, il n’a pas de minutes à perdre. Le trajet est très simple. Au détour d’un carrefour, devant la vitrine d’une pâtisserie, un millefeuilles aux framboises lui fait de l’œil et sans réfléchir, Paul  franchit le seuil de la boutique, puis reprenant ses esprits, il ressort aussitôt, en se morigénant : Non, je n’ai pas le temps, le commissaire Vétoldi a l’amabilité de me recevoir, alors qu’il n’y était nullement obligé, puisque ce n’est pas lui qui est en charge de l’enquête, alors il n’est pas question d’arriver en retard. 

Décidé à ne plus s’arrêter, il reprend sa marche et arrive pile à l’heure. Comme il ne se joint pas à la file des plaignants, il recueille au passage quelques regards malveillants. Gêné, car il a horreur d’être pris pour un profiteur, Paul se réfugie dans un coin, c’est alors que le commissaire Vétoldi surgit comme un tourbillon, lance un regard à travers le hall et l’entraîne vers son bureau. 

À peine sont-ils installés que le commissaire propose un café à son visiteur qui accepte, en remarquant :

— Je vous remercie, commissaire, c’est une très bonne idée, depuis qu’on ne peut plus s’attarder au bar du TGV et que donc,  je n’y vais plus, car trimballer son gobelet de café entre le bar et ma place s’avèrerait périlleux.

Le commissaire Vétoldi sourit et lui tend une tasse bien pleine, puis il attend que son visiteur ait bu sa première gorgée avant de parler :

— Bien, vous m’avez dit être un vieil ami d’Anna Pavlova, la jeune femme qui a été malheureusement assassinée à Belle-Ile, il y a maintenant environ trois semaines. J’aimerais comprendre la raison de votre démarche auprès de moi.

— C’est tout simple, je le lui dois. Anna m’a beaucoup aidé lorsqu’à seize ans, j’ai perdu mon père. J’ai appris la mort d’Anna par la radio, j’ai d’abord cru à une confusion, à une erreur, d’autant plus que je n’avais pas su qu’elle avait été enlevée auparavant. J’étais persuadé que l’annonce visait une autre personne que mon amie, mais ensuite je me suis renseigné auprès des autorités locales de Belle-Ile et j’ai découvert qu’il s’agissait bien d’elle. J’ai d’abord été atterré, anéanti, puis j’ai réfléchi, je connaissais très bien Anna et je savais avec qui elle vivait depuis cinq ans. Je n’avais jamais rencontré sa compagne, je ne sais pas pourquoi. Pour vous préciser la nature de la relation que j’avais avec Anna, je dois vous dire que je la connaissais depuis toujours, puisque nous avions trois mois quand nous sommes arrivés ensemble à la crèche. Par la suite, nous avons partagé des foules de choses pendant toute notre jeunesse. Après mes études de médecine, je suis devenu tout naturellement son médecin, je lui donnais déjà des conseils de santé auparavant. J’ai été aussi son confident quand elle vivait avec Rodolphe Dunan, un séducteur qui s’est révélé très malfaisant pendant leur vie commune. Par la suite, elle s’est installée avec Adriana et elle était heureuse. Je ne connaissais pas Adriana, je ne l’ai rencontrée que lors de l’enterrement de ma chère Anna. Je la reverrai. Anna et elle, non seulement, partageaient leur vie, mais elles travaillaient en duo. Anna chantait et Adriana l’accompagnait au piano. Je me demande ce qu’elle va faire dans les mois à venir. Elle m’a confié qu’elle avait annulé tous leurs engagements pour les deux années à venir. Elle pourrait redémarrer une carrière en solo mais ce ne serait pas facile, la concurrence est terrible entre les solistes, surtout pour les pianistes. Ils et elles sont très nombreux et même si elle est encore jeune, de plus jeunes qu’elle se poussent. Vous avez entendu parler de ce petit gamin âgé de seulement six ans qui donne son premier grand concert ? Cela a un côté terrifiant et il me semble qu’on ne devrait pas autoriser des expositions publiques à des âges aussi précoces. Pourquoi ne pas lui laisser le temps de grandir ? Ces petits champions prématurés me paraissent être surtout les reflets de l’ambition de leurs parents. Les choix sont tellement reliés à ceux que n’ont pas faits les parents… Ou alors, ils s’inscrivent dans la ligne directe de la carrière des parents. Vous n’avez qu’à regarder à quel point les acteurs et actrices sont les enfants de personnes qui appartiennent eux aussi au monde du spectacle. 

Paul s’arrête de parler. Le commissaire Vétoldi l’a volontairement laissé dévider son trop plein de paroles et démotions. Lorsque le jeune homme l’a joint par téléphone, Il s’est étonné de voir que la demande d’enquête émanait d’un ami de la victime. Il lui était arrivé au cours de sa carrière d’avoir des demandes de la part des proches, mais c’était la première fois qu’un ami lui demandait de mener une enquête. Bien sûr, il avait connaissance des faits et la mort de la jeune femme l’avait surpris, mais pas tant que ça, parce qu’à son avis, elle n’était que la suite prévisible de son enlèvement et de sa séquestration. En effet, dès qu’il avait appris l’enlèvement par les medias, il savait que la cantatrice était condamnée. Un kidnappeur, s’il n’est pas arrêté dans les heures, voire même les minutes qui suivent son forfait, accomplit le scénario qu’il a imaginé jusqu’à sa fin ultime. Trois jours s’étaient écoulés depuis l’enlèvement avant qu’on ne découvre le corps de la jeune femme, abandonné dans un voilier du port de Sauzon. Son propriétaire s’apprêtait à partir en mer, il était descendu à bord de son bateau, un voilier de huit mètres et alors qu’il venait de pénétrer dans la cabine, il était tombé sur le corps de la jeune femme, allongé sur un des deux bancs qui entourent la table. Il n’avait pas compris tout de suite qu’elle était morte. Il l’avait crue endormie, il était ressortie à l’air libre, il ne savait pas quoi faire. Fallait-il la réveiller ? Passées quelques minutes, la nouvelle de l’enlèvement lui était revenue et glacé par la pensée qui le traversait, il s’était approché de la jeune femme, lui avait saisi doucement le poignet, puis posant son pouce sur l’artère, il avait réalisé que son pouls ne battait plus. Il avait alors téléphoné précipitamment à la gendarmerie en expliquant ce qui se passait, puis il avait attendu. C’était le capitaine Kervadec qui était venu sur place, accompagné de son adjoint. Il avait fait descendre le propriétaire du voilier et lui avait intimé de ne plus se rendre sur son bateau, devenu scène de crime. Le  skipper avait eu beau expliquer que non, cette femme ne pouvait avoir été tuée sur son bateau puisque la veille, il avait navigué dans le golfe jusqu’à Carnac où il avait rendu visite à un ami et n’était rentré à Sauzon que vers minuit. Une fois son bateau amarré, il avait passé la nuit chez sa sœur qui habitait une maison, tout près du port.

La réponse du capitaine Kervadec ne faisait pas dans la dentelle : On vous rendra votre voilier quand le technicien sera passé et en attendant, nous allons faire transporter le corps de cette jeune femme au service de médecine légale du centre hospitalier de Lorient,. 

Le capitaine Kervadec avait réussi à obtenir l’autorisation d’utiliser le dragon 56 pour ce trajet un peu particulier. Pour une fois, l’hélicoptère de secours n’avait pas répondu à son objectif habituel qui était de transporter au plus vite une personne en danger extrême pour lui sauver la vie. Certes, on ne restituerait pas la vie à la jeune femme, mais si on intervenait très vite, on avait davantage de chances d’arrêter son agresseur et dans ces conditions, de sauver la vie d’autres jeunes femmes.

Une fois que Paul eut terminé l’exposé des faits, le commissaire Vétoldi fit part de sa réticence à s’impliquer car il ne voyait pas à quel titre il pourrait le faire :

— L’enquête de la gendarmerie est en cours, en outre moi-même, je ne suis plus détective privé, mais commissaire de police de Vannes, je ne suis pas autorisé à mener des investigations sur ce meurtre. 

Paul avait insisté tant et si bien que le commissaire Vétoldi avait fini par s’avouer vaincu et qu’ il avait conclu leur entretien par ces mots : 

— Bien, je n’accepte pas de mener une véritable enquête, car je n’en ai pas les moyens mais je vous promets de rencontrer le capitaine Kervadec, que je connais bien, afin de savoir où il en est et si un enquêteur officiel a été nommé ou le sera incessamment. Je vous tiendrai au courant. 

Paul le remercie avec effusion et pas un instant il ne doute que le commissaire se penchera sur cette affaire, entraîné par sa curiosité et par le désir de faire jaillir la vérité. 

 

Suite au prochain épisode, le dimanche 20 Septembre 2020