ÉPISODE 12 – PARIS-VANNES
Dimanche 1 er Novembre 2020
Stylos Modèle Agatha Christie – Christies.com |
Gare Montparnasse, Paris.
Il y a foule à la gare. Pourtant les vacances sont terminées et les enfants vont rentrer à l’école. Pour justifier son déplacement à Vannes, Adriana a coché la case, Déplacement lié à une convocation judiciaire ou policière. Elle a joint au document le mail de confirmation de son rendez-vous, envoyé par le commissaire Vétoldi. Son témoignage est requis dans le cadre de l’assassinat de sa compagne. En ce qui concerne son séjour à Belle-Ile, elle produira une attestation de la logeuse qui les a accueillies elle et Anna, lors de leur dernier séjour. Elle doit récupérer les affaires personnelles laissées par Anna dans la chambre d’hôte qu’elle partageait.
Adriana consulte les dernières infos. C’est toujours la même litanie :
Le virus circule et vous devez être très prudents. Chargez Tous-anti-covid pour vous protéger et protéger les autres.
Sauf qu’ils oublient de dire que ce logiciel dévore beaucoup d’espace et qu’il n’est efficace que si le traçage est ouvert, ce qui décharge la batterie à une allure folle. Deux raisons qui ont fait qu’Adriana ne l’a pas mis sur son téléphone.
Son train est affiché sur le panneau des départs. Il est au quai 7. Adriana s’y rend, suivant le flot de passagers. Une fois passé le portillon de contrôle des billets, Adriana vérifie sa réservation : Voiture 12, place 71 puis elle regarde le numéro de la première voiture.
Les voitures sont en ordre inversé, la première est la 18.
Suivent les 17,16,15 et voilà la 14… Quelle tristesse de passer devant la voiture bar et de savoir qu’elle ne pourra pas y boire un café en discutant avec d’autres voyageurs. Ils auraient dû la supprimer, elle ne sert plus à rien, et au contraire, elle fait souffleur un vent de nostalgie. En outre, quel voyageur sensé aurait envie de trimballer une boisson – chaude de surcroît – à travers le couloir étroit et brinquebalant du TGV ?
Le virus ou les décisions du pouvoir ont anéanti la possibilité de se faire des nouvelles relations, de nouer des conversations avec des inconnus. Ils ont transformé les autres en ennemis.
Voilà la 12, Adriana monte, la place 71 est en haut. Adriana enfile le couloir, les passagers sont déjà assis, 111… Pas de 71… Elle s’est trompée, elle est partie du mauvais côté, sa place se situe tout au bout, juste en haut de l’escalier, elle est donc passée devant sans faire attention. Elle retourne sur ses pas, voilà, c’est le premier fauteuil, à côté de la porte automatique. Dérangement assuré à chaque fois que la porte s’ouvrira. Tant pis, elle changera de place plus tard, si c’est possible. Elle range son sac à dos dans le rack à bagages, s’installe, coince son grand cabas à la place de l’accoudoir qu’elle vient de relever. Elle n’a pas emporté de roman, mais elle a son cahier, elle va écrire. Elle tire la tablette, sort son stylo et les larmes lui viennent aussitôt.
Ce stylo est un cadeau d’Anna… C’est la reproduction du stylo d’Agatha Christie. Elle se souvient de chaque mot prononcé par son amie, à Noël dernier :
Quand je ne serai plus là, à chaque fois que tu prendras ce stylo, tu auras une pensée pour moi.
Quand je ne serai plus là… Adriana n’avait pas réagi sur le moment, elle n’avait pas prêté attention à ces propos d’Anna, mais maintenant, ils prennent une toute autre dimension.
Elle écrit ces mots sur la première page de son cahier.
– Pour prononcer de pareils mots, Anna se sentait peut-être menacée. Par qui ? Par quoi ? Elle ne lui avait jamais parlé de quoi que ce soit.
Adriana repasse dans sa mémoire la vie partagée avec sa compagne pendant leurs cinq années de vie commune. Aucun évènement ne peut être relié à cette remarque. Cependant lui revient ce que lui a appris Paul. Il lui a dit qu’Anna avait perdu ses parents dans un accident de voiture alors qu’elle avait quinze ans, l’année qui avait précédé son entrée au conservatoire de Paris, en section chant.
Sur une impulsion, Adriana envoie un message à Paul :
— Je suis dans le train pour Vannes, je rencontre le commissaire Vétoldi tout à l’heure. Anna vous avait-elle fait part de ses appréhensions quant à la possibilité d’une mort prématurée ? Je me souviens maintenant qu’il lui est arrivé de me dire : Quand je ne serai plus là…
Bien à vous, Adriana
La réponse arrive aussitôt :
— Anna restait très marquée par la mort accidentelle de ses parents. Elle avait intégré le fait que la mort pouvait la surprendre à tout moment. On en reparlera si vous voulez. À bientôt, Paul
Adriana lui renvoie une question :
— Vous me parlez d’accident, mais était-ce réellement un accident ?
— Oui et non, l’enquête a prouvé que leur voiture avait été trafiquée, mais on n’a jamais retrouvé le coupable.
— OK. Je comprends mieux. Quelle était la relation d’Anna avec son oncle ?
— Bonne, il est musicien, violoncelliste à l’orchestre de l’opéra.
— Ah ! Mais il ne porte pas son nom.
— C’est un oncle maternel d’Anna, il porte le même nom que sa mère. Je le connais bien, on en reparlera. Excusez-moi, la salle d’attente est bourrée et j’ai un malade devant moi. À plus tard.
Adriana se sent submergée par les secrets d’Anna qui se font jour depuis sa disparition. Elle l’aimait, elle se pensait aimée et la raison pour laquelle Anna lui a caché toute une partie de sa vie lui est inconnue et très douloureuse. Adriana soupire. Pourquoi faut-il qu’à la peine immense provoquée par la mort d’Anna, s’ajoutent toutes ces incertitudes ? Il est vrai qu’Anna, quand elle abordait sa jeunesse ne parlait que de ses jeunes années, de celles qui avaient précédé ses quinze ans, comme si sa vie s’était arrêtée à la mort de ses parents. Ainsi, elle ne lui avait jamais dit qu’elle vivait chez un oncle maternel, violoncelliste à l’Opéra de surcroît.
Adriana remet le capuchon de son stylo ; ce faisant, elle admire le serpent en vermeil qui l’orne. Elle le range dans sa boîte d’origine et sort la notice qui retrace l’historique de la fabrication du stylo par Montblanc :
Stylo de la collection Writers, modèle Agatha Christie. Stylo inspiré du stylo utilisé par l’auteure. Le motif du serpent qui orne l’agrafe du capuchon fait référence à la subtilité et au mystère qui caractérise les romans policiers.
Anna l’avait acheté lors d’une vente chez Christies. Elle l’avait offert à Adriana, tout en lui disant : Tu penseras à moi à chaque fois que tu te serviras de ce stylo. Après un long silence, elle avait ajouté : Et peut-être qu’après ma disparition, tu te mettras à écrire.
Adriana avait ri sur l’instant et elle l’avait embrassée avec une fougue encore plus forte que les autres fois. Penser qu’Anna pouvait disparaître de sa vie n’entrait pas dans le schéma qu’elle imaginait alors de son avenir, aussi avait-elle rétorqué : Mais Anna, tu seras encore très longtemps avec moi, tu n’as aucune raison de mourir jeune. Tu es en parfaite santé !
Anna ne lui avait rien répondu, mais elle l’avait regardée longuement, intensément comme pour marquer à tout jamais son visage dans sa mémoire. Ce regard d’Anna, elle ne l’oubliera jamais. Il avait la couleur du ciel les jours de beau temps. Un bleu intense qui tournait au presque noir quand elle se mettait en colère.
Adriana ressort le précieux stylo et elle écrit sans réfléchir :
Tes yeux bleus me faisaient rêver, m’emportaient dans un voyage infini dans l’espace si mystérieux de l’amour et du bonheur.
Tu avais été adoptée, tu ne savais pas d’où tu venais ni où tu allais. Tu es retournée dans l’incertitude du temps, ton âme court maintenant à la recherche de tes parents biologiques. Tu te demandes qui ils étaient, pour quelles raisons ils t’ont abandonnée, placée dans un orphelinat. Tu cherches désespérément à savoir pour quelles raisons, tu t’es retrouvée en France tandis qu’on te séparait de ta jumelle qui elle, restait en Russie. Comment l’as-tu retrouvée ? Pourquoi vous a-t-on tuée toutes les deux ? Vous assassiner toutes les deux, était-ce le but du meurtrier ? Ou bien, l’une de vos deux était-elle visée et l’autre aurait été tuée par erreur ?
Adriana lève la tête, on lui a parlé. L’homme qui assure l’entretien du train pendant le voyage est là devant elle, il lui présente un grand sac poubelle :
— Excusez-moi, je ne vous ai pas entendu.
— Je vous demandais si vous aviez des déchets ?
— Non, merci.
L’homme s’éloigne rapidement.
Adriana range son stylo, elle veut rester sur l’interrogation qu’elle vient de poser. ce sera au commissaire Vétoldi d’y répondre. Elle n’est pas enquêtrice. Elle jette un œil dehors, le train vient de s’arrêter à Rennes… déjà ? D’ici une heure, elle sera à Vannes. personne ne bouge dans le wagon. Le train repart et une heure après, il s’arrête à la gare de Vannes. Elle se rend à la station de taxi et dix minutes plus tard, elle est devant le commissariat. Elle envoie un message au commissaire Vétoldi pour le prévenir et entre dans le hall. Il arrive presque aussitôt et l’emmène dans son bureau. Une fois qu’elle a posé ses affaires et qu’elle s’est assise, il lui sourit et lui demande si elle souhaite un café. Elle accepte :
Volontiers. Merci.
Le commissaire la laisse boire son café. Il tient à la mettre à l’aise. Quelques minutes plus tard, il lui pose la première question parmi celles qu’il a préparées en vue de leur entretien.
— Vous rappelez-vous un ou des évènements qui auraient pu vous alerter sur un danger qui aurait menacé votre amie, Anna Pavlova avant son enlèvement ?
Anna ouvre son cahier et répond :
— J’ai écrit quelques mots à ce sujet et non, rien ne s’est passé en ce sens. Par contre, on aurait dit qu’Anna s’attendait à une mort prématurée. Elle a fait allusion à sa disparition possible, comme si elle devinait qu’elle mourrait prématurément, mais je ne peux pas vous en dire davantage car elle ne s’est pas confiée à moi. En outre, elle m’avait caché beaucoup d’informations sur son passé. Je ne connaissais pas sa famille, son frère, son oncle chez qui elle avait vécu après la mort de ses parents… J’ai appris certains aspects de sa vie par son ami et médecin Paul qui en savait beaucoup plus que moi…
— Ne vous inquiétez pas, je ferai des recherches et j’ai commencé, bien sûr depuis que Paul Desombres m’a chargé de mener une enquête. Vous m’avez dit que vous vous rendiez à Belle-Ile, n’est-ce pas ?
— Oui, j’espère m’y reposer.
— Si là-bas, il vous revenait quoi que ce soit de ce qui s’est passé les jours qui ont précédé l’enlèvement de votre ami, faites m’en part, c’est très important.
— D’accord, j’essaierai, mais je vous avoue que pour le moment, je ne me souviens de rien.
— C’est normal, vous êtes encore sous le choc. Les faits peuvent vous revenir quand vous serez sur place. N’hésitez pas alors à me téléphoner.
— Je le ferai.
Le commissaire Vétoldi observe la jeune femme qu’il a devant lui. Brune, de grands yeux noirs, une italienne typique. Il choisit de faire une diversion :
— Quand avez-vous décidé de devenir pianiste ?
— J’ai appris le piano à l’âge de cinq ans, et comme j’aimais beaucoup jouer, j’ai rapidement fait des progrès. J’ai toujours su que je ferai ce métier. Avant de rencontrer Anna, je pensais devenir soliste, mais notre rencontre m’a fait bifurquer vers l’accompagnement, Anna avait une si belle voix, littéralement envoûtante. Je ne sais pas si je pourrais continuer une carrière dans la musique, mais je ne sais rien faire d’autre que de jouer du piano.
— Je vous comprends, c’est d’autant plus difficile pour vous que votre vie professionnelle était imbriquée avec votre vie sentimentale. En ce qui concerne vos souvenirs, j’attendrai qu’ils vous reviennent. Vous partez tout de suite pour Belle-Ile ?
Oui, dès que je vous aurai quitté.
Alors, j’espère que ce séjour vous fera du bien. à bientôt. Merci d’être venue.
Ç n’a pas servi à grand-chose, rien ne me revient.
Ce n’est pas grave, tenez-moi au courant.
Le commissaire Vétoldi raccompagne sa visiteuse jusqu’à la sortie du commissariat. Erwan qui assiste Georges à l’accueil le suit des yeux. Qui est donc cette beauté brune ?…
À Suivre… Prochain Épisode le Dimanche 8 novembre 2020…