Épisode 6 : Nathan Morin rencontre une grande gueule de l’Assemblée
Bureau de Jules-Léon Mainhagu, président du groupe parlementaire, La France insoumise, à l’Assemblée Nationale
A peine entré dans son bureau, JLM saisit une note posée sur sa table de travail.
Monsieur Nathan Morin, ethnologue, en charge d’une mission à l’Assemblée Nationale, a demandé à vous rencontrer, je lui ai dit que vous étiez libre à déjeuner, pour une durée tout au plus d’une heure, dois-je confirmer ?
ASP
JLM reposa la note, ASP s’était bien gardé d’attendre sa réponse, comme il aurait dû le faire, dans le bureau, il était parti on ne sait où.
Qu’est-ce que c’était que cette histoire d’enquête ethnologique à l’Assemblée ? On prenait donc les députés pour une espèce en voir de disparition ? Il était vrai qu’avec le régent au pouvoir, tout était possible !
– Dites-moi, Louise, vous êtes au courant de ce déjeuner organisé par ASP ?
– Non Monsieur, je n’étais pas ici ce matin, je ne suis rentrée de Marseille que ce matin.
– Bon, quand revient ce fripon ?
– Il s’est absenté quelques minutes, il est certainement à la photocopieuse.
– Je dirais plutôt à la machine à café, non ?
– C’est au même endroit, ah le voilà !
ASP entra avec une grosse liasse de papiers à la main.
– Excusez-moi Monsieur, j’ai fait des photocopies.
– C’est ce que je vois, alors, qu’est-ce que c’est que ce foutu déjeuner ? Je ne peux même pas avoir une heure tranquille dans ma journée ? Il faut que vous me colliez une obligation !
– Je sais, Monsieur le député…
– Arrêtez avec votre Monsieur le député, je vous ai dit de m’appeler par mon prénom.
– Oui, Mons… Excusez-moi, oui, Jacques-Léon.
– Bon, alors, je vais accepter parce que sinon, je suppose qu’il reviendra à la charge. J’aime autant le liquider tout de suite. Vous avez réservé là-haut ?
– Non, j’attendais votre réponse, je confirme donc, vous êtes bien d’accord ?
– Mais enfin, tu me cherches des noises, je viens de te le dire, c’est d’accord, il faut que je te le traduise en quelle langue ? D’accord, d’accordo, OK, de accuerdo. Tu lui as donné rendez-vous ici, à mon bureau, il vient à quelle heure ?
– Je lui ai demandé de venir à midi tapante.
– Ah, ah, je t’ai eu, tu t’es engagé avant même que je ne te donne ma réponse. Bon, passe pour cette fois mais que je ne t’y reprenne pas, jamais Louise n’aurait agi ainsi, n’est-ce pas, Louise ?
– Non Jacques.
– Jacques-Léon, j’y tiens, Jacques, je n’ai jamais aimé ce prénom, avec les jeux de jacadi et jacques a dit * qui ont bercé ma jeunesse. Bon, sinon, ASP, autre chose ?
– Oui, un journaliste de France 2 a appelé pour que vous lui disiez ce que vous pensez de l’interview du régent à la télévision dimanche. Il avait déjà appelé lundi matin, il a rappelé tous les jours depuis, vous ne lui avez pas encore répondu.
– Eh bien, non, et je ne lui répondrais pas. Je me suis exprimé lundi au journal de TF1, et sur ma chaîne Youtube, ça suffit, j’ai dit ce que j’avais à dire, je n’ai rien à ajouter.
– Ah oui je crois que j’ai oublié de vous féliciter pour le premier de corvée, en réponse au premier de cordée, j’ai trouvé ça super. Sinon, rien d’autre d’important, la routine, du courrier, j’ai envoyé les accusés de réception et commencé à préparer les réponses sur le fond, je dois passer à la documentation.
– Ce régent, on voit qu’il a du sang royal, il se croit tout permis et il ne bosse qu’en faveur de sa caste. En ce qui concerne les courriers et courriels, pense aussi à voir tes collègues du groupe, ils préparent des réponses pour les demandes en nombre, n’oublie pas que très souvent, la lettre que tu crois m’être adressé à moi, personnellement, l’est en fait, à tous les députés, donc, il est bon que le groupe parlementaire des Insoumis envoie la même réponse.
Sur ces bonnes paroles, Vétoldi-Morin entra :
– Excusez-moi, je me suis permis, la porte était ouverte, bonjour Monsieur le député.
JLM s’écria :
– Bonjour, vous ! Alors comme ça, vous faites une enquête sociologique sur les personnes qui travaillent à l’Assemblée, j’espère que vous n’allez pas oublier d’interroger le petit personnel et ne pas vous limiter aux députés.
– Ma mission ne concerne que les députés mais il est vrai que j’étendrais un peu mes investigations.
– Bien, alors, allons-y. ASP, passe un coup de fil au resto pour t’assurer qu’on nous prépare une table, maintenant que mon convive est arrivé.
– Bien, Monsieur.
– Ah, je te l’ai déjà dit, Jacques-Léon ! Enfin, à plus tard, je ne repasserai pas avant la fin de journée et je signerai le courrier à ce moment-là, démerdez-vous pour qu’il y ait l’un de vous deux.
– Je resterai, c’est à mon tour.
– Tant mieux ! A ce soir, ma belle !
– A ce soir.
– Allez, venez, mon cher, nous y allons.
JLM entraîna Nathan Morin vers l’ascenseur et ils gagnèrent le restaurant de l’Assemblée. Dès leur arrivée, le maître d’hôtel se précipita pour saluer JLM.
– Je vous ai installé la table que vous aimez bien, avec la vue sur Paris.
– Parfait, merci François. Je suis très pressé, je dois être parti dans moins d’une heure, nous prendrons le menu du jour.
– Très bien, Monsieur le député, vous serez à l’heure, je m’y engage.
– Merci.
Il se dirigea vers la table dont il venait de parler et les deux convives s’y installèrent. Cinq minutes plus tard, leur entrée était servie, une assiette de crudités.
– Vous prendrez un peu de rouge comme d’habitude ?
– Oui, une demie de rouge.
Une fois que le maître d’hôtel se fut éloigné, JLM demanda :
– Alors, que voulez-vous savoir ?
– Quelles sont vos premières impressions depuis votre élection, sur l’assemblée Nationale ?
– Je dois vous avouer que je m’y suis très vite fait ! C’est formidable, on a tout sous la main, bureau de poste, coiffeur, restos, mais bon, je suis un cas à part, pas comme les bleus qui sont arrivés, moi, j’ai été sénateur, je connaissais l’Assemblée pour y être venu voir des collègues depuis très longtemps et même en séance, en tant que Ministre de l’Éducation.
– Vous y aviez des amis ?
– Bien sûr, j’y ai des amis, et des amis fidèles. On dit toujours qu’en politique on ne peut pas avoir des amis, je m’inscris en faux contre cette affirmation, on se fait des amis et je vous assure que mes amis, ce sont les mêmes depuis des années.
– Vous avez entendu parler de ce malheureux député mort en séance, sans doute d’épuisement ?
– Vaguement, il n’était pas de mes amis, celui-là ! Un royaliste, ce n’est pas une grande perte, je parle de la société pas de sa famille qui doit être affectée. Je l’ai certainement croisé car il avait fait plusieurs mandats. Quand je pense qu’il a survécu au tsunami du régent et qu’il est décédé après son élection… Enfin, je suis bien placé pour savoir qu’on ne décide pas du jour de sa mort… Je viens de perdre un de mes plus sûrs amis, je vais à son enterrement demain, c’est bien triste.
–Merci !
JLM venait de s’adresser au maître d’hôtel qui avait enlevé leurs assiettes et apporté les plats du jour.
– Ah un bœuf-carottes, quelle bonne idée, voilà un plat bien français.
Le repas s’acheva sur une charlotte aux fraises, accompagnée d’un café. Dominique Vétoldi- Nathan Morin remercia son interlocuteur de lui avoir accordé un peu de son temps précieux, et celui-ci sourit et commenta ainsi le moment qu’ils venaient de passer ensemble :
– Ne me remerciez pas, j’ai déjeuné alors que sans votre visite, j’aurais avalé un sandwich. A plus, bonne enquête, Nathan, c’est bien ça ?
– C’est bien ça, Jacques-Léon.
JLM fila et Nathan Morin en fit autant.
Vétoldi-Nathan revint dans son bureau, le sourire aux lèvres, certes, il n’avait pas appris grand-chose sur son défunt député, mais il était très heureux d’avoir fait la connaissance d’un des ténors de l’Assemblée. `
* Notes:
– Jacadi : jeu de raquette
– Jacques a dit : jeu qui consiste à imiter tous les gestes effectués par le meneur, appelé Jacques.
Ces deux jeux étaient en vogue pendant l’enfance de JLM.
A suivre…