Vendredi 10 novembre 2017
Meurtre à l’Assemblée : Épisode 9 : La buvette parlementaire
Dominique Vétoldi, après sa rencontre avec le président du groupe d’amitié France-Espagne, nota l’essentiel de ce qu’il venait d’apprendre. Ensuite, il consulta la liste des personnes à contacter, une liste qu’il avait lui-même dressée, constituée de personnes susceptibles d’avoir fréquenté régulièrement le député défunt. Un petit creux à l’estomac lui rappela opportunément qu’il avait faim et il opta pour la buvette parlementaire. Avant de quitter son bureau, il s’assura qu’il avait son laissez-passer sur lui et il prit la direction de la buvette, située tout près de la salle des séances, ce qui permettait aux députés de s’y rendre lors des suspensions de séance, ou bien aux maîtres d’hôtels de transmettre des sandwiches pendant les très longues discussions, notamment au moment du vote du budget. Quand il parvint à destination, l’heure de chauffe était visiblement passée, le maître d’hôtel et un serveur rangeaient des verres. Il les salua, et leur expliqua sa présence. Paul Prinoux, le maître d’hôtel dont Vétoldi-Morin avait eu le nom par l’annuaire des services de l’Assemblée Nationale, esquissa un petit sourire mais n’émit aucune remarque, quant au serveur, un stagiaire peut-être, vu son jeune âge, s’autorisa un commentaire :
– Dites, c’est comme si les députés étaient une espèce de singes en voie de disparition si vous venez les étudier ainsi !
En retour de sa remarque inopportune, il obtint un regard sévère de la part du maître d’hôtel qui lâcha entre les lèvres :
– Si tu veux que ton stage se transforme un jour en contrat, tu dois apprendre à ne jamais exprimer un avis négatif, et même un avis personnel tout court ; c’est très important, nous sommes ici pour servir les élus, les représentants du peuple, et par là même, servir notre pays.
Le jeune stagiaire baissa la tête et Vétoldi-Morin commanda un sandwiche et un Apple brandy. Il crut deviner l’esquisse d’un sourire sur le visage fermé du Maître d’hôtel, mais il ne dit mot à ce sujet, se contentant de répondre :
– Je n’ai plus que du saucisson comme garniture, est-ce que cela vous ira, sinon, je pourrais décongeler un peu de saumon fumé, qu’est-ce que vous préférez ?
– Va pour le saucisson, au moins, il vient de France.
– Ah, mais notre saumon vient aussi de France, ici, tout est français, enfin tout était français, parce que depuis peu, quelques députés récemment élus, nous ont demandé du pain suédois qui vient directement de son pays d’origine.
Vétoldi-Morin fut très vite servi, et une fois qu’il eut avalé quelques bouchées de son sandwiche dont le pain, une belle baguette dorée et craquante, était délicieux, il tenta une question :
– Tous les députés fréquentent-ils la buvette ?
– Oui, tous, à un moment ou à un autre, mais ils sont plus ou moins assidus. Certains viennent souvent, quand ils sont à Paris, bien sûr, surtout ceux qui sont très présents en séance, cela les aide à tenir, car parfois, les séances sont très longues, et heureusement que
nous sommes là. Ils viennent se désaltérer, manger quelque chose et également se détendre ici.
Vétoldi-Morin hésita, il ne pouvait pas citer d’emblée le nom du député disparu, comment amener le maître d’hôtel à en parler de lui-même ? Il demanda :
– Vous avez des habitués, donc ? Ils appartiennent à un groupe parlementaire précis ?
– Non, pas spécialement, ici, les opinions politiques n’ont pas leur place. Vous savez, les députés parviennent, sauf rare exception, à échanger autour d’un verre, en dehors de leurs opinions, on les entend parler de leurs enfants, des difficultés à vivre entre Paris et leur circonscription, de tout ce qui les rapproche plutôt que de ce qui les sépare.
– Il est vrai qu’entre des députés Néo-Royalistes et des députés Insoumis, il est préférable qu’ils ne parlent pas de politique.
– Nous avions souvent la visite de Monsieur Hugues d’Arborville, le président des Néo-Royalistes, nous le connaissions bien, il était élu depuis longtemps et il n’y a pas, enfin, il n’y avait pas,malheureusement, il faut en parler au passé, à l’Assemblée, de député plus affable
et plus poli.
– Je me suis laissé dire qu’il aimait la même boisson que moi, l’Apple Brandy ?
– Oui, c’est vrai, lui, la nommait le Lambig, ça fait davantage territoire. Sa disparition a été brutale, il paraissait en excellente santé et s’il aimait le lambig, il n’en abusait pas. Je ne l’ai jamais vu ne plus tenir sur ses jambes, ce qu’on ne peut pas dire de certains de ses collègues…
– Oui vous devez être témoin de scènes qu’il ne serait pas bon de livrer à la presse. Comme dans tous les groupes, il y a des accros aux boissons alcoolisées. Le dernier jour de sa présence à l’Assemblée, Monsieur d’Arborville est-il venu à la buvette ?
– Oui, il est venu et nous avons été d’autant plus choqués par sa disparition le jour même. Je me souviens très bien, c’est moi qui lui ai servi son traditionnel lambig et il a mangé un sandwiche au saucisson, exactement comme vous. Il avait très soif, il nous a dit qu’il venait
de la salle de sports où il avait peut-être un peu dépassé ses forces parce qu’il paraissait vraiment fatigué, mais de là à mourir quelques heures plus tard… C’est incompréhensible.
– Vous savez, personnellement, je suis convaincu que nous avons chacun notre rendez-vous personnel avec la mort, et lui, il avait le sien ce jour là.
– Vous le pensez vraiment ?
– Oui, je pense ainsi et croyez-moi, mon métier m’oblige à fréquenter de nombreux groupes très différents.
– Si j’ai bien compris, actuellement, vous êtes ici pour étudier le comportement des députés ?
– Oui, c’est tout à fait vrai et c’est la raison pour laquelle ce que vous m’avez dit tout à l’heure, à savoir que les députés échangeaient entre eux, quelque soient leurs opinions politiques respectives, m’a particulièrement intéressé. Vous souvenez-vous si Monsieur Hugues d’Arborville, par exemple, le jour de sa disparition, a partagé son repas avec un de ses collègues ?
– Voyons, avec qui était-il? Il n’était pas seul, de cela je suis certain. Ils étaient plusieurs en même temps que lui. Il me semble mais je ne le jurerais pas qu’il y avait le numéro deux des députés Insoumis, ils se connaissaient car lui aussi était élu avant 2017. En fait, je ne peux pas vous dire si c’était ce jour-là précisément, mais ils discutaient régulièrement ensemble. Ils avaient de bonnes relations, ils se respectaient et ne se tenaient pas rigueur de leurs opinions politiques complètement divergentes.
–Oui, c’est intéressant. Y avait il d’autres personnes ?
–C’est difficile à dire, c’était le coup de feu. J’ai essayé, à la demande du commandant Grassiard, d’établir une liste. Si cela vous intéresse pour votre enquête, demandez-la lui, ce sera plus fiable que mes souvenirs actuels.
– D’accord, je vous remercie pour cet échange et je vous félicite pour la qualité de ce repas. C’était délicieux, je reviendrai, au revoir messieurs.
– Au revoir Monsieur, au plaisir.
Vetoldi-Morin avait déjà le dos tourné mais il entendit la remarque que fit le Maître d’hôtel au stagiaire
:– On ne dit pas Au plaisir. Au revoirsuffit, dis-toi le bien! Ah cette jeunesse, aucune éducation !
Dominique Vétoldi sourit, le jeune stagiaire était à bonne école !
A suivre…Prochain épisode le vendredi 17 novembre 2017…