Vendredi 8 décembre 2017,

ÉPISODE 13 : EN VISITE À FONTENAY-­LE-­COMTE

 

Dominique Vétoldi, alias Nathan Morin, attrapa le train comme prévu, le lendemain de sa conversation téléphonique avec Madame Huguette d’Arborville. Arrivé à la gare de Niort en deux heures, il monta à bord de l’autocar qui ralliait le but de son voyage, Fontenay-le-Comte. Il s’endormit pendant le trajet, le roulis du car l’y aidant et surtout le peu de voyageurs qui l’avaient emprunté. Quand enfin, le car s’arrêta à la gare routière de Fontenay-le-Comte, il descendit, et constata qu’il se sentait engourdi aussi bien dans ses pensées que dans ses jambes. Il avisa un café situé tout près et commanda un grand crème et un croissant. Le croissant était délicieux, au moins, on fabriquait de bons croissants dans cette ville, c’était déjà ça, à défaut d’une gare SNCF ! Bien qu’il ait auparavant consulté googlemaps pour connaître son chemin, il demanda :

– Je me rends à la demeure de Madame d’Arborville, est-ce loin ?

– Vous êtes en voiture ?

– Non, je suis à pied, je débarque tout juste du car et j’ai rendez-vous à onze heures.

– Onze heures ? Mais pour être à l’heure, il faudrait que vous partiez de suite. C’est à vingt minutes à pied environ, vous longez la grande place, vous quittez le plein centre et vous passez le long des anciennes fortifications, ensuite ce sera un peu plus loin sur votre gauche.

– Dans ces conditions, je file dés que j’aurai terminé votre savoureux croissant.

– Ah, c’est qu’elles sont bonnes, hein, nos viennoiseries. C’est un ami à moi, qui les fait, il est boulanger tout prés d’ici et s’il vous prend l’envie de goûter ses gâteaux, essayez donc son millefeuilles, jamais, vous m’entendez, jamais de votre vie, vous n’en aurez mangé de pareil !

– Au moins, vous avez sauvé les bonnes choses, à défaut du train

– Ah le train ! Cela fait un bail qu’il ne s’arrête plus ici, l’ancien maire s’était battu pour, mais il n’y est pas arrivé et maintenant qu’il est mort, on n’a aucune chance de le voir revenir,ni le train, ni lui.

– Il était populaire ?

– Monsieur d’Arborville, c’est bien de lui que vous parlez, eh ? Et comment qu’il était

populaire, au point qu’ici, je vous le dis en toute confidence…Il s’arrêta de parler, jeta un coup d’oeil autour de Vétoldi et poursuivit à voix basse :

– Ici, personne ne croit qu’il est mort de sa mort naturelle. C’est Paris qui a décidé de ça, mais nous les Fontenaisiens, on n’y croit pas. Monsieur d’Arborville, c’était un grand sportif,pensez, on le voyait courir régulièrement. Il a même participé au marathon de Paris et il avaitdit que l’année prochaine, il partirait pour celui de New York !

– Mais alors, il serait mort de quoi à votre avis ?

– Moi, je sans pas, mais ce que je pense, c’est que quelqu’un l’aura aidé à mourir… Il n’avait pas que des amis…

– Vous lui connaissez des ennemis ici ?

– Ici, peut-être pas, mais à Paris… C’est pas bien vu d’être pour que le Roi reprenne sa place. Bon, dites, c’est pas que je veux vous chasser mais vous devriez y aller, vous savez, Madame d’Arborville, après ce qu’elle a enduré avec la mort de son mari, elle apprécierait peut-être pas que vous arriviez en retard, surtout si c’est pour lui créer des ennuis.

– Parce que vous pensez que je vais la voir pour lui créer des ennuis ?

– Ma foi, je sais pas, je vous connais pas, mais vous avez une gueule de journaliste, alors, avec les journalistes, il faut se tenir sur ses gardes.

– Ne vous inquiétez pas pour elle, je ne suis pas journaliste, je suis ethnologue, je mène une mission actuellement sur la vie des députés.

– Une enquête sur la vie des députés eh bien, ça alors !

– Je vais y aller, je vous dois combien ?

– Laissez, c’est pour moi, c’est la première fois de ma vie que je vois un ethnologue en chair et en os, ça se fête !

– Merci beaucoup, allez, à une autre fois.

Dominique Vétoldi sortit, ragaillardi par son échange avec le cafetier, il suivit le chemin indiqué et allongeant le pas, il parvint devant la propriété des d’Arborville à onze heures cinq.

La grille peinte en bleu royal était fermée. Il sonna. Le portail s’ouvrit en grand comme s’il avait été en voiture. Il pénétra dans le parc, au bout de l’allée se dressait une maison majestueuse, qui datait du 19° siècle, un perron énorme et double desservait l’entrée principale. Il monta l’escalier et arriva devant une lourde porte de bois peinte en bleu et ornée de lys blancs. Il frappa à l’aide du marteau et tout de suite après, la porte s’ouvrit sur une femme ravissante. Elle lui sourit.

– Bonjour Monsieur, entrez, je vous prie, vous avez trouvé facilement ?

– Oui, avec Google, c’est facile.

– Ah oui, c’est vrai, je ne m’y fais pas, moi, je voyage encore avec des cartes.

– Vous avez peut-être raison, il arrive que Google nous fasse emprunter des chemins plus longs, surtout quand on est comme moi, à pied.

– Parce que vous êtes venu en train et autocar ? Vous auriez dû me le dire, je serai allée vous chercher à Niort, le car est si long.

– Je vous remercie, mais mon trajet s’est bien passé et j’ai pris le temps de prendre un café près la gare routière. Leurs croissants sont absolument délicieux.

– Oui, ils se servent chez le meilleur boulanger pâtissier et si vous goûtiez ses millefeuilles, vous seriez ébloui.

– Le cafetier me les a aussi vantés. J’essaierai tout à l’heure si c’est encore ouvert.

– Bien, je suppose que vous n’êtes pas venu jusqu’ici pour mener une étude comparative des croissants parisiens et fontenaisiens, je propose que nous nous installions dans le bureau de mon mari, si vous n’y voyez pas d’inconvénients.

– Ce sera parfait.

Elle s’engagea dans le couloir, puis elle poussa une porte sur la droite. Ils pénétrèrent dans

une pièce de belle taille qui donnait sur le jardin. Partout sur les murs, on pouvait voir le portrait des rois qui s’étaient succédés sur le trône de France. Elle prit place sur le fauteuil qui se trouvait derrière le bureau et l’invita à s’asseoir en face, ce qu’il fit.

– Bien, d’abord, je vous remercie, Madame, d’avoir accepté de me recevoir alors que ces pénibles évènements sont encore récents.

– En fait, je ne réalise pas encore qu’Hugues ne reviendra pas, que je ne le verrai plus. J’ai tout le temps l’impression qu’il va surgir à tout moment, je viens souvent dans son bureau et j’ai l’impression qu’il est là. Il m’arrive de le voir, comme s’il était vivant, je devine qu’il veut me parler, j’essaie d’écouter ce qu’il voudrait me dire.

– Vous pensez qu’il souhaite vous parler ? Mais de quoi ? De ce qui se passe au paradis ?

– Oh non, je pense qu’il veut me dire quelque chose à propose de sa mort. Vous voyez, Monsieur, je pense que sa mort n’est pas tout à fait naturelle. Une crise cardiaque n’arrive pas comme ça, brutalement. Hugues a consulté un cardiologue, il n’y a pas longtemps, il lui a dit qu’il avait un coeur de jeune homme et que c’était dû au fait qu’il fait beaucoup de sport. J’ai l’intention de solliciter un rendez-vous auprès du président de l’Assemblée pour lui demander de déclencher une enquête de police, j’aimerais en avoir le coeur net.

Dominique Vétoldi se mordit les lèvres, il avait bien failli laisser échapper qu’une enquête était en cours et qu’il en était chargé ; elle avait beau être tout à fait charmante, il ne pouvait l’exclure du cercle des personnes susceptibles d’avoir assassiné son mari. Il demanda :

– Pour en venir au sujet que je dois traiter, j’aimerais savoir comment vous organisiez votre vie entre Paris et ici ?

–En fait, j’allais peu à Paris. Hugues partait le mardi matin de bonne heure, et il rentrait le jeudi soir sauf exception, par exemple pendant la période du vote du budget où il lui arrivait de rester le vendredi, et de partir le lundi, mais la période budgétaire, une fois terminée, il reprenait son rythme normal. Il a été maire pendant très longtemps, donc, les jours où il n’était pas à Paris, il s’occupait de sa ville. Il était très attaché à Fontenay et ici, les gens l’aimaient beaucoup.

– Je sais que vous avez des enfants, leur consacrait-il un peu de son temps ?

– Ce n’était pas toujours facile, mais nous les emmenions en vacances et à ces moments-là, il les voyait beaucoup.

– Vous avez travaillé pour votre mari ?

– Pas réellement, il m’arrivait de le représenter quand il avait un empêchement auprès des associations, des kermesses, de toutes sortes de manifestations. Il avait plusieurs assistants, un à Paris et deux ici. Mon mari était un gros travailleur. Il croyait à ce qu’il faisait et je pense qu’il aimait ce qu’il faisait même si parfois, il disait qu’un jour il arrêterait. Quand je pense que si…

Des larmes avaient perlé au bord des yeux bleus magnifiques de Madame d’Arborville. Elle les retint et elle parvint à regarder Dominique Vétoldi en face, en poursuivant sa phrase :

– Il avait envisagé d’arrêter, de ne pas se représenter mais en voyant la tournure prise par les évènements, il n’a pas voulu laisser la place au candidat du pouvoir actuel, une personne qu’ici personne ne connaissait et qui sortait du chapeau du prestidigitateur. Excusez-moi, c’était le surnom qu’il lui donnait, le prestidigitateur. Je l’entends encore me dire : Quand les gens vont réaliser que cette politique n’est qu’une suite de tours de passe-passe, alors, la révolte éclatera. Il craignait cette révolte et en même temps, il la souhaitait car il pensait que cette révolte pourrait déboucher sur la restauration du pouvoir royal.

– Il vous arrivait de vous rendre à Paris ?

– Bien sûr, ne serait-ce que pour voir mes amies et aller en leur compagnie voir des expositions. Je suis une ancienne élève des Beaux-Arts de Paris, section peinture. Même si je ne peins plus, la peinture, celle des autres, reste ma passion. Avant mon mariage, j’avais beaucoup d’ambition et puis Hugues s’est lancé dans la politique et j’ai été absorbée dans le tourbillon de sa vie. Il fallait bien quelqu’un pour assurer la bonne marche de la maison, des enfants, bref quelqu’un pour faire tourner la famille. Ça ne tourne pas tout seul une famille, surtout si on veut qu’elle dure plus qu’un moment.

– Étiez-vous à Paris le jour de la mort de votre mari ?

– Oui et non, j’étais à Paris, mais le matin de sa mort, je ne l’ai pas vu, il est parti très tôt avant que je ne me lève ; heureusement, la veille, j’avais passé du temps avec une amie, nous étions allées voir deux expos et le soir, et j’avais dîné avec mon mari. En fait, je devais déjeuner avec lui, mais il m’a téléphoné le matin, pour annuler notre rendez-vous, ce qui fait que j’ai pris le train du matin.

– A quelle heure avez-vous pris votre train ?

– Écoutez, je ne sais plus… Mais je ne comprends pas pourquoi vous me posez cette question, qu’est-ce que ça a à voir avec la vie des députés ?

– Excusez-moi, je ne voulais pas me montrer indiscret. Ce que je constate, c’est que votre mari, ce jour là, a modifié ses engagements envers vous et peut-être ce fait se produisait-il fréquemment ?

– Oui, ça arrivait souvent, il y était contraint parce que les réunions à l’Assemblée changeaient souvent d’heure et son travail était prioritaire. Je ne saurais compter le nombre de fois où son déjeuner de vendredi midi restait sur la table, à l’attendre lorsqu’il était pris par autre chose.

– Il ne vous prévenait pas ?

– Non, il n’en avait pas le temps.

– Donc, la vie de député de votre mari bouleversait votre vie à vous et la vie de vos enfants ?

– Oui, c’est cela la vie publique, mais ce n’est certainement pas pire que la vie des artistes. Regardez la vie de Johny par exemple. Les tournées, les interviews…Vous avez déjà mené une enquête socio, non excusez-moi, ethnologique sur les chanteurs ?

Dominique Vétoldi sourit à cette idée. Il se demandait quelle casquette il lui aurait fallu coiffer pour mener ce genre d’enquête…

– Vous avez fait allusion tout à l’heure au fait que votre mari avait des ennemis à Paris, vous pouvez m’en dire davantage à ce sujet ?

– Il était à la tête du groupe des Royalistes à l’Assemblée, vous pouvez imaginer ce que les autres groupes politiques, tous Républicains, pouvaient dire de lui. Disons que ce n’était pas toujours tranquille à l’Assemblée pour lui et que quand il posait une question ou avait la parole pour une intervention, il se faisait siffler, moquer de lui. Il a même entendu un député une fois, dire : Coupez-lui la tête !

– Il était Royaliste depuis toujours ?

– Mon mari avait des ancêtres qui s’étaient battus contre les Révolutionnaires. Il était

convaincu que le meilleur Régime pour la France était la Royauté. Il citait souvent en exemple le Roi de Suède, la Reine de Norvège et il disait que les gens étaient beaucoup plus heureux dans ces pays que chez nous. Il voulait le bonheur du Peuple et il pensait que, contrairement à la Royauté, la Démocratie n’a pas pour but le bonheur des Peuples et qu’elle suscite et attise les haines. Enfin, je me demande comment ses ennemis d’hier, réagissent devant sa disparition.

– Je me suis laissé dire qu’il était plutôt apprécié par les députés qui étaient anciens comme lui et en outre, il était au mieux avec l’actuel Président de l’Assemblée ;

– Oui, c’est amusant, ils étaient au lycée militaire ensemble, François-Xavier était son aîné de trois ans. Je suis certaine qu’il a de la peine, il m’a d’ailleurs écrit un mot très gentil en me disant que si j’avais besoin d’aide, il ne fallait pas hésiter à demander et qu’il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour me contenter. Je ne l’ai pas encore fait mais je vais peut-être le faire. J’en reviens à ce que je vous disais tout à l’heure, je ne crois pas à la mort naturelle de mon mari, d’autant plus qu’on ne m’a toujours pas rendu son corps, en prétextant que les analyses n’étaient pas terminées. Je me demande ce qu’il cherche et plus le temps passe et plus je me demande s’il n’a pas été empoisonné. Elle était tout sauf idiote, cette femme. Ravissante et intelligente, il avait eu de la chance, Hugues d’Arborville. Dominique Vétoldi ne voyait plus ce qu’il pouvait dire et de peur de se dévoiler, il préféra mettre fin à leur entretien. Après avoir remercié Madame Huguette d’Arborville, il reprit le chemin de la gare et en passant devant la fameuse pâtisserie, il s’arrêta et s’offrit un millefeuille qu’il se promit de déguster dans le train.

À suivre…Prochain épisode le vendredi 15 décembre 2017