ÉPISODE 8 : Pavillon de la Lanterne à Versailles
Source Photographie ; site Forum Marie-Antoinette, http://marie-antoinette.forumactif.org/forum
Légende : « Ici, vous êtes le colocataire de Louis XIV, de Dieu et du Soleil »
( André Malraux )
Le président a pris sa décision, c’est décidé, il répondra par l’affirmative à la demande des GJ, il se rendra à leur rendez-vous de samedi. Il faut en finir avec cette affaire et il a besoin de récupérer son Premier Ministre, car si cette situation devait perdurer, il serait obligé de le remplacer et ce serait un casse-tête…
Oui, à l’heure qu’il est, il est incapable de lui trouver un remplaçant. Il a bien sûr, quelques noms en tête, mais ils ont tous un inconvénient…B. son affaire en cours, J, trop vieux, H, trop marqué à gauche…
Il se sent nerveux. Ce n’est pas de la peur, mais une simple nervosité due au fait qu’il ignore ce qui l’attend.
Qui sera là, qui sont ces GJ qui retiennent le PM prisonnier ? Que vont-ils lui demander à lui, le président ?
Le commandant Pardon l’a fait équiper d’un ultra discret bouton d’appel d’urgence caché dans la couronne d’une ses molaires. C’est bien tombé que sa dentition ait peu à voir avec celle qu’il avait à l’origine. En cas de danger imminent, il n’aura qu’à serrer très fortement sa mâchoire, pour déclencher l’alerte puis l’intervention immédiate et massive des policiers qui seront postés à une centaine de mètres.
Il est dix-sept heures. Il commence le compte à rebours. La messe du samedi est à 18 heures. Il est censé entrer à l’intérieur de la cathédrale Saint-Louis à 18h35. Ensuite, un envoyé des GJ ou plusieurs, le prendront en charge et probablement le conduiront dans un lieu inconnu, enfin, pas tout à fait, car il sera suivi à la trace via le GPS implanté dans la semelle de sa chaussure gauche.
Il se lève et marche de long en large dans le salon du pavillon.
— Comment, tu n’as pas bu ton thé ? Mais il va refroidir. Il n’est pas question que tu ailles, le ventre vide, à ce maudit rendez-vous. Je t’ai préparé un gâteau basque, tu aimes ça, pourtant. Mange un peu, Assieds-toi. On ne sait pas ce qu’ils te réservent, allons, fais-moi plaisir.
Il esquisse un pauvre sourire, il aimerait la rassurer, sa chère épouse, mais il ne le peut pas, il s’en sent incapable. Il frotte la peau de son bras droit, on
dirait qu’il a une sorte de chair de poule. Ah, Dieu que c’est vilain ! Il rabat sa manche et l’autre manche aussi. C’est à cause du grand débat, il a pris l’habitude de relever ses manches tant il a chaud dans les salles où ils retrouvent ses quelques contradicteurs et ses nombreux aficionados.
Ça le gratte, pourvu qu’il n’ait pas attrapé un zona… Dans toutes ces foules et ces mains qu’il a serrées, il a certainement croisé une personne atteinte de ce mal. Il rattache le bouton de ses manches autour de ses poignets. Voilà, c’est fait, il ne verra plus sa peau rougie par le grattage. Il porte son index à la bouche.
— Ah non, bébé, ne vas pas recommencer avec ça ; Ça t’était passé.
— Ne m’appelle pas bébé, je déteste ça.
— Ne prends pas la mouche. Tu sais bien que dans les moments difficiles, c’est comme ça que je t’appelle. Cela ne veut absolument pas dire que je te considère comme un bébé, c’est juste pour souligner combien je t’aime, autant qu’on peut aimer un bébé. Toi, tu m’appelles bien Bibi et ce n’est pas pour autant que tu me considères comme Bibi Fricotin. Eh bien bébé, c’est la même chose. Je t’appelle ainsi mais tu n’es pas un bébé. Ah c’est bien, il est bon, hein ?
Le président vient de croquer un morceau de gâteau, il répond la bouche pleine :
— Délicieux, absolument délicieux.
En fait, le président a mal au cœur, il n’a pas faim du tout, mais il veut tellement lui faire plaisir et la rassurer. Elle aussi, elle doit avoir peur et plus que lui… Son épouse dit :
— Je vais te chercher ton blouson de cuir et une casquette, comme cela, personne ne te reconnaîtra.
— Tu crois ça, eh bien, tu te trompes, ma chère.
Mais elle n’entend pas ce qu’il a dit, elle a déjà filé. Pendant son absence, il recrache vite fait, le morceau de gâteau qui traînait dans sa bouche et le met à la poubelle. C’est sec, ce machin, il en vient à regretter les chocolats de son beau-père. Cela fait un bail que son beau-frère ne leur en a pas envoyé de boîte. Il paraît qu’il leur en veut parce que des gens l’importunent parce qu’il est le frère de Madame la femme du Président.
Il est dix-sept heures quarante-cinq.
Sa femme revient, elle lui tend le blouson de cuir noir et la casquette anglaise à carreaux, une de celles qu’il a rapportées de Londres, quand il y travaillait. Ce couvre-chef lui rappelle le temps insouciant où son compte en banque se remplissait aisément et où personne n’aurait songé à l’emmerder, alors que maintenant… Il soupire puis déterminé, serrant les dents mais pas trop…il se lève, se plante devant la glace en pied qu’il a fait poser sur une porte et observe son reflet. Il enfile le blouson, puis ajuste la casquette sur sa tête. Il a l’air d’un poulbot grandi trop vite. Sa mère a raison, il est devenu maigre, il n’a plus un pouce de graisse. Elle lui dit et lui répète cette phrase à chaque fois qu’il la rencontre :
— Ce n’est pas parce qu’elle fait un perpétuel régime que tu dois en faire autant ! On n’est pas gros dans la famille, ni ton père ni moi, ni tes grand-mères ne sont grosses, tu ne risques rien. Là, tu as l’air d’un chat de gouttière qui n’a pas rencontré suffisamment d’oiseaux. Je te préfère en chat angora, et d’ailleurs tu aimes, comme le chat angora, briller dans les salons…
Ce à quoi il rétorque à chaque fois :
— C’est plus simple, comme ça on mange la même chose, sinon, il faudrait préparer deux repas différents. Je ne peux pas demander cet effort supplémentaire à la cuisine de l’Élysée. Déjà on fait venir des tonnes de légumes et de fruits, ils n’ont pas l’habitude de gérer ça. Le président précédent affectionnait la nourriture roborative. Ils sont déçus de ne préparer que des trucs super sains bios, des légumes cuits à l’eau, du porridge le matin, de la soupe le soir et des fruits tout simplement épluchés et coupés en morceaux, ou encore des compotes sans sucre ajouté, alors qu’ils pourraient confectionner des tartes, des gâteaux et des plats compliqués qui prouveraient leur capacité d’excellents cuisiniers et pâtissiers.
Il sourit et cette fois plus franchement. Allons, ce n’est qu’un mauvais moment à passer et ensuite tout rentrera dans l’ordre.
Dix-huit heures, il est temps de partir.
Il jette un œil à l’extérieur, il ne pleut pas, mais le ciel est chargé, il peut pleuvoir plus tard. Il prend son parapluie, mais ne passe pas d’imperméable, il veut qu’on admire son beau blouson…
A dix-huit trente, il est devant la porte latérale de la cathédrale. Il l’ouvre, elle grince, il se glisse à l’intérieur. La porte retombe lourdement derrière lui. Le piège s’est refermé. Cinq minutes plus tard, exactement, quelqu’un qu’il ne voit pas, car il est arrivé derrière lui, lui saisit le bras, lui rabat sa casquette sur les yeux et murmure :
— C’est l’heure, suis-moi sans broncher.
Le président grommelle un bonsoir et suit l’homme…
Ils descendent un escalier qui conduit à la crypte, puis en bas, son gardien ouvre une porte qui donne sur un couloir étroit et très long. Il s’y engage suivi de son otage.
Le trajet lui paraît interminable. Son guide s’arrête pourtant, puis il choisit de remonter vers la surface en empruntant un escalier de fer accroché au mur. Ils débouchent dehors. Seraient-ils au bout de leur peine ? Le président, qui a remonté sa casquette dans les caves traversées, ressent une impression de déjà vu qui l’étonne ; il est certain de n’être jamais venu dans cet endroit.
Son guide l’entraine vers le bois tout proche. Ils marchent encore un certain temps. Il n’y a pas âme qui vive à l’horizon. Heureusement qu’il a ce GPS qui le suit à chaque pas qu’il fait.
Ils parviennent à une petite maison, une maison dans les bois, digne d’un conte pour enfants. Pour un peu, il ne s’étonnerait pas d’en voir sortir et Blanche Neige et les sept nains.
Son guide le fait entrer et là, assis par terre sur un gros coussin, mais c’est, oui, c’est son Premier Ministre. Il s’exclame, rassuré de le voir bien en vie et en apparence, tout à fait entier :
— Ah Fombard, te voilà ! Content de te voir.
Fombard esquisse un sourire, ses joues ont creusés, ses yeux brillants, il a l’ai vraiment fatigué :
— Merci président, d’être venu.
— Il le fallait, je n’ai personne pour te remplacer.
— Ah parce que tu crois qu’après ce qui s’est passé, je pourrai reprendre la vie comme avant ?
Leur gardien les regarde tour à tour, il a envie de rire ; Il a sous la main, les deux personnages les plus puissants de France…
Tout à l’heure, il passera aux choses sérieuses mais pour cela, il faut que le tribunal révolutionnaire soit au complet…Et il n’est pas tout à fait l’heure… Quelques minutes à attendre…
À suivre… prochain épisode le mercredi 20 février 2019…