Presqu’île de Conleau. Photo du site, Actu.fr |
Inès Benlloch était restée un long moment, pensive après le départ d’Océan Poulain. Si elle se laissait aller à son instinct, elle avait tendance à imaginer qu’il était innocent mais elle était obligée d’écarter son instinct pour privilégier le raisonnement et la logique.
En outre, elle n’était pas chargée de la défense de cet homme. Elle poursuivait son enquête pour le compte de son mandataire, Donatien Donato. Sa mission était claire : elle consistait à découvrir qui était le meurtrier ou la meurtrière de Laurence Devieille. Pour atteindre cet objectif, elle devait revenir aux fondamentaux d’une enquête comme le lui avait appris le Commissaire Vétoldi. Elle avait encore dans ses oreilles ce qu’il lui avait répété maintes et maintes fois lorsqu’elle travaillait à ses côtés : Inès, ce qui compte, c’est d’abord de connaître la victime, de savoir qui étaient ses amis, qui elle fréquentait dans le cadre de son travail, de ses loisirs, quels étaient ses goûts, ses penchants, ses qualités et ses défauts.
Elle avait recopié la citation d’Agatha Christie qu’il avait évoquée pour appuyer ses propos :
Quand il s’agit d’un meurtre, il n’est jamais méchant d’expliquer ce qu’était la victime, répliqua Hercule Poirot. C’est absolument nécessaire. La personnalité de la victime est la cause directe de bien des meurtres. – Citation d’Hercule Poirot, sans Le Crime d’Halloween d’Agatha Christie –
Inès Benlloch prit un stylo et commença à écrire sur une feuille blanche :
* Ce que je connais de Laurence Devieille :
1 – Son métier : Psychiatre et psychanalyste
2 – Son dernier amant, Océan Poulain, un voisin.
3 – Son ex-petit ami, Donatien Donato qui était aussi son mandataire.
4 – Ses voisins
5 – Sa passion pour le jogging et son projet de participer au marathon de New York
* Ce que je ne connais pas de Laurence Devieille :
1 – Ses patients
2 – Ses autres amants, ses amis.
3 – Sa famille
4 – Son parcours professionnel
…. Et sans doute beaucoup d’autres cercles relationnels moins importants. Quelle piste emprunter pour commencer ce travail d’enquête sur la victime ?
– En ce qui concerne ses patients, il faudrait que je me procure son agenda et que je puisse jeter un œil sur ses dossiers ; cela risque de s’avérer difficile voire impossible.
– Les autres amants de la victime : Jusqu’à présent, personne ne les a mentionnés.
– Sa famille : Océan Poulain a parlé de sa mère en précisant qu’elle ne voyait plus sa fille car cette dernière lui reprochait son remariage ainsi que son comportement alors qu’elle était enfant puis adolescente.
Inès Benlloch décida que sa priorité allait à la famille. Elle devait rencontrer Madame Devieille mère le plus rapidement possible. Pour cela, elle avait besoin de l’aide du commissaire Aghilas et elle l’appela tout de suite.
— Bonjour Zireg, je viens de faire le point sur mon enquête et j’en ai conclu que le plus urgent était de mieux connaître ma victime et c’est la raison pour laquelle je veux rencontrer la mère de Laurence Devieille. Peux-tu m’aider ?
Si le commissaire fut surpris, il n’en montra rien et il se contenta de répondre à celle qui devenait peu à peu une amie :
— Je te comprends. OK, mais que me demandes-tu exactement ? L’adresse de cette femme ?
— Oui et tous les renseignements que tu pourrais avoir.
— Pour l’adresse, je pense qu’elle se trouve quelque part dans le dossier car moi-même si j’en avais eu le temps, je l’aurais interrogée. Pour les renseignements, cela ne me sera pas possible, mais toi, tu devrais être en mesure de faire appel à l’un de tes anciens collègues.
— Oui, mais ce n’est pas évident de m’adresser à eux, je ne fais plus partie de la maison. Certains de mes anciens collègues me reprochent d’être tombée dans un piège, d’autres pensent que j’ai pris des risques inutiles et que je me suis placée moi-même dans une situation trop dangereuse.
— Bon, tu m’accordes quelques minutes pour que je t’envoie par texto les coordonnées de Madame Devieille ?
— Oui merci, je te revaudrai ce service.
Zireg Aghilas ne releva pas cette promesse, il commençait à comprendre Inès Benlloch. Elle était terriblement soucieuse de son indépendance et si elle faisait appel à lui, elle n’en gardait pas moins le souci de sa liberté…
En attendant le message du commissaire, Inès Benlloch eut du mal à rester en place, elle se leva pour se préparer un thé et une fois le breuvage versé dans une tasse, elle voulut le boire et se brûla. Agacée contre elle-même, elle se tança : Oh merde ! Je fais n’importe quoi ! Je me demande pour quelles raisons je suis aussi nerveuse.
Elle reposa sa tasse si brusquement que le thé déborda et envahit non seulement la soucoupe mais le magnifique sous-main en cuir qu’elle s’était récemment offert. Elle s’exclama :
Mais de quoi je me punis, bordel… Oh, je le sais bien … Ce que me reprochent mes anciens collègues, je me le reproche aussi à moi-même. Je n’aurais pas dû aller dans cette zone, je savais que c’était très risqué et ce qui devait arriver est arrivée… Cet évènement a marqué la fin de ma carrière d’agente de la DGSE… Me suis-je remise de cet arrêt brutal ? Je crois que non… Il faudrait que je parle de tout ça avec un psy… Il est plus que temps maintenant… Et j’en profiterais pour évoquer mon enquête… Le ou la psy serait tenue au secret, je pourrais réfléchir en toute liberté…
Forte de cette constatation, Inès Benlloch téléphona à William W., un ancien collègue avec lequel elle était restée en très bons termes et qui lui avait communiqué des informations importantes sur Donatien Donato. Elle lui demanda de lui faire passer la liste des psys recommandés par la maison. Il approuva sa décision et lui promit de lui envoyer le document interne qui était à la disposition des agents en cas de besoin. Elle reçut le fax dans les minutes qui suivirent et alors qu’elle attendait toujours le message du commissaire Aghilas.
Les noms n’étaient pas si nombreux qu’elle ne puisse faire un choix tout de suite. Pour Paris et sa banlieue, seuls neuf psychanalystes étaient indiqués. Parmi ces noms, il se trouvait quatre psychiatres. Deux femmes et deux hommes. Alors même qu’Inès réfléchissait et se demandait auquel d’entre eux elle demanderait rendez-vous, le bruit du message qui arrivait sur son téléphone retentit. Elle retint son geste et s’obligea à cocher le nom du psychiatre qu’elle allait joindre.
Elle forma le numéro et atterrit sur le répondeur : Bonjour, vous êtes sur le répondeur du Docteur Joigneau, merci de laisser vos coordonnées, le motif de votre appel et la personne ou l’organisme qui m’a recommandé. Je m’engage à vous rappeler dans les 48 heures. À bientôt.
Inès Benlloch s’exécuta. Une fois cela fait, elle se précipita sur le texto du commissaire Aghilas :
Madame Geneviève Devieille, épouse Cordonnier.
Presqu’île de Conleau
Rue de Ciscoüet
56 000 Vannes`
À la découverte de l’adresse, Inès Benlloch sauta de joie. Madame Devieille mère vivait à Vannes, la ville où son cher Dominique Vétoldi était commissaire de police. Quelle chance !
Elle n’hésita pas une seconde et elle envoya immédiatement un mail au commissaire :
Bonjour Dominique
Je viens de découvrir l’adresse de la mère de Laurence Devieille, la victime de la rue Blomet.
Elle vit à Vannes, dans la presqu’île de Conleau, rue Ciscoüet.
Je serais très intéressée si tu pouvais avoir des informations fiables.
J’ai l’intention de la rencontrer et peut-être serais-je amenée à me rendre sur place. Si c’était le cas, on pourrait en profiter pour se voir. Qu’en penses-tu ?
Dans l’attente de ta réponse, je te dis à bientôt
Inès
Le commissaire Vétoldi prit connaissance du message quelques minutes plus tard, il sourit et renvoya un mail :
Tout à fait d’accord pour se voir. Laisse-moi le temps de vérifier si j’ai quelque chose sur cette personne. On dit 24 heures, le temps pour toi de la joindre et de fixer le jour et l’heure de votre rendez-vous. OK ?
Inès Benlloch :
Parfait, j’appelle Devieille mère et te tiens au courant.
Inès Benlloch chercha le numéro de téléphone de Madame Devieille en espérant qu’elle possédait une ligne fixe et qu’elle n’était pas sur liste rouge. C’était le cas. Munie du numéro, Inès téléphona et ce fut un homme qui prit l’appel :
Elle se présenta et demanda à parler à Madame Geneviève Cordonnier.
Son interlocuteur ne fit aucune difficulté et elle l’entendit appeler : Geneviève, c’est pour toi. C’est une détective privée. Tu la prends en haut ?
Elle ne perçut pas la réponse de Madame Devieille mais deux ou trois minutes après, elle l’obtint au bout du fil :
— Bonjour Madame, je vous écoute.
Inès Benlloch lui expliqua qu’elle était chargée d’une enquête sur le meurtre de Laurence Devieille et qu’elle souhaitait la rencontrer à ce titre.
Madame Devieille-Cordonnier commença par dire :
— Mais je n’ai pas vu ma fille depuis plusieurs années. Nous étions fâchées. Elle ne m’a jamais pardonné d’avoir refait ma vie avec un autre homme que son père… Ma pauvre petite Lolo, sa vie n’a pas été facile et je la plains d’être partie de cette façon horrible… Après un moment de silence, elle reprit : Pour répondre à votre demande, je pense que vous vous dérangeriez pour rien, je ne connais pas la vie qu’elle menait, ne l’ayant pas revue depuis tant de temps.
— J’insiste, je souhaite connaître la personnalité de votre fille et dans ce domaine, vous pouvez vraiment m’aider. J’aimerais savoir qui était votre fille du temps où vous la fréquentiez encore et aussi ce que vous entendiez dire d’elle par des personnes qui continuaient à la voir et que vous connaissez.
— D’accord, quand voulez-vous venir ? Car je vous le dis tout de suite, je ne vais pas à Paris souvent et je n’y tiens pas. Je n’y ai que des mauvais souvenirs. La dernière fois que j’ai vu ma fille, c’était dans son cabinet et nous nous sommes séparées très fâchées car elle m’a reproché d’être venue sans l’avoir prévenue à l’avance. Mais si je l’avais fait, elle n’aurait pas accepté de me voir. Je suis entrée dans son cabinet à la suite d’un de ses patients. Elle avait cette mauvaise habitude d’ouvrir sa porte sans vérifier l’identité de son patient. Il a sonné à l’interphone, il s’est nommé et je suis entrée derrière lui. Arrivée à son étage, la porte de l’appartement de Laurence était entrouverte et pareil, j’ai suivi son patient et je me suis installée dans sa salle d’attente. J’ai Patienté le temps qu’elle termine ses rendez-vous. Il était vingt-et-une heure quand elle m’a dit bonjour et m’a demandé ce que je voulais. Je me suis levée et je l’ai serrée très fort dans mes bras et j’ai répondu : Je voulais m’assurer que tu allais bien, tu me manques tellement. Elle m’a regardée avec froideur comme si j’étais une étrangère. Je ne l’ai pas revue vivante… Pour en revenir au rendez-vous que vous me demandez, venez quand vous voulez, je m’arrangerais.
— Je vous remercie, je vous rappellerai lorsque j’aurais pris mon billet de train.
Inès Benlloch termina son appel. Ce que venait de lui révéler la mère de la victime la troublait, elle repensait à sa propre mère qu’elle n’avait pas vue depuis si longtemps…
À Suivre… Prochain épisode le Dimanche 28 Novembre 2021