DIRECTION RÉGIONALE DE LA POLICE JUDICIAIRE, 36 RUE DU BASTION
Épisode 10 : L’enquête passe sous surveillance politique
Le commissaire Aghilas vient de relire l’ensemble des informations concernant le meurtre de la rue Blomet, il jette un œil à son portable, il est dix-sept heures. Il a encore un peu de temps devant lui avant l’arrivée de Leonora Quesado. Il se lève et fait quelques pas, cela l’aide à se détendre, il fait aussi des mouvements de yoga debout, accompagnés de profondes respirations. Il sourit en se souvenant des leçons de yoga dispensés à l’école de police.
À l’époque, il trouvait ces cours fastidieux et inutiles puis au fil des années et de la pression provoquée par les horreurs rencontrées dans son métier, il s’est mis de lui-même à la pratique du yoga. Il en tire un vrai bénéfice, cette activité l’aide à se couper de l’enquête en cours et à prendre le recul nécessaire à la réflexion. Un jour, il s’est même demandé s’il ne regardait pas les meurtres à élucider comme il regarderait un film… Non, s’il est honnête avec lui-même, ce n’est pas exact, il a réussi à garder des sentiments et cela le distingue du robot que le Ministre de l’Intérieur a fait acquérir récemment et qui est maintenant considéré comme un enquêteur à part entière. Aux yeux du commissaire Aghilas, la différence entre le robot et un commissaire en chair et en os est qu’un humain doit lui faire ingurgiter les informations et que ce n’est qu’ensuite qu’il émet un avis sur le ou la meurtrière potentielle…
Il est tiré de ses pensées par la sonnerie de son téléphone :
— Commissaire Aghilas, le patron vous attend.
— Tout de suite ?
— Oui, c’est urgent.
Bon, il n’a pas le choix, ce doit être important.
— J’arrive.
Dès son arrivée dans le bureau de Rosalie l’assistante du directeur de la brigade criminelle, elle lui dit :
— Bonjour commissaire, il vous attend. Entrez sans frapper.
Il s’exécute. Son patron est assis, ses lunettes sont relevés sur le dessus de son crâne, ce qui lui donne l’air d’un rat de bibliothèque.
— Bonjour Aghilas. Asseyez-vous. Bien, vous êtes en charge actuellement du meurtre de la rue Blomet, n’est-ce pas ?
— Tout à fait, Monsieur.
— Vous en pensez quoi ?
— C’est une affaire compliquée mais j’ai une première piste, je dois encore réunir des preuves. Cette femme avait un amant qui était également un de ses voisins ; des témoins ont affirmé qu’il était présent dans l’immeuble, la nuit du crime. Je l’ai eu au téléphone, il n’a pas nié mais il a affirmé que certes il était entré dans l’appartement de la victime, mais qu’elle était déjà morte à ce moment-là. Il doit venir me confirmer tout ceci au plus tard demain.
— Bon, voilà qui paraît simple.
— Il n’est pas obligatoirement le coupable. Il paraissait l’aimer.
— Aimer une femme a-t-il empêché certains assassins de la supprimer, notamment les amants mariés ? Est-il marié cet homme ?
— Oui, il l’est.
— Vous voyez. Écoutez, Aghilas, il faut boucler votre enquête rapidement. J’ai reçu des ordres.
— Comment cela ?
— Je ne connais pas le détail, il semble que ça vienne de haut. Le préfet de police de Paris vient de me joindre pour que je vous demande de clore l’enquête rapidement. Il s’est montré très pressant.
— Vous pensez que lui-même transmettait un ordre venu de plus haut ?
— Oui, j’en suis certain, il paraissait gêné d’intervenir. Pour tout vous dire, je pense que l’ordre vient du cabinet du Ministre de l’Intérieur, mais nous n’en saurons pas davantage. Faite ce qu’on vous demande, bouclez l’enquête.
— Mais Monsieur, je ne peux pas inculper l’amant sans avoir réuni des témoignages et sans posséder plus de preuves.
— Écoutez, de toute façon, l’affaire sera entre les mains du magistrat et celui-ci décidera de la suite à donner.
— Oui, mais le magistrat prendra ses décisions en fonction de l’enquête que j’aurai menée.
— Bien sûr, mais vous pouvez orienter sa décision, à vous de vous montrer convaincant.
Le commissaire Aghilas est choqué, il n’a encore jamais été influencé pendant une enquête et ce que son supérieur lui demande est lourd de conséquences, il fait une dernière tentative :
— E, somme, vous me demandez de prendre le risque d’arrêter un innocent ?
— Faite ce que vous avez à faire et le plus rapidement possible. Vous m’avez dit que vous aviez convoqué votre suspect demain ? Eh bien, mettez le sous les verrous après l’interrogatoire et transférez le dossier au magistrat. Me suis-je fait comprendre ?
Le commissaire Aghilas a la gorge serrée. Jusqu‘à présent, il s’est efforcé de mener ses enquêtes avec le plus de sérieux possible, il a toujours été préoccupé par l’idée de commettre une erreur et justement dans cette affaire, malgré certaines évidences, il lui semble que son suspect pourrait être innocent du crime dont il va l’accuser…
Devant le silence de son commissaire, le directeur de la brigade criminelle ajoute :
— Aghilas, c’est un ordre et il vient d’en haut, croyez bien que ce n’est pas de gaieté de cœur que je vous impose cette décision, mais au cours d’une carrières dans la police, ce genre d’intervention peut arriver et nous n’avons pas les moyens de ne pas plier. Vous joueriez votre poste, or je tiens à vous, vous êtes un commissaire sérieux. Ne vous tourmentez pas inutilement, vous n’êtes pas le dernier maillon de la chaîne, le magistrat prendra le relais, il a une plus large marge de manœuvre que nous, enfin, on peut l’espérer et puis votre bonhomme est peut-être le coupable. En tout cas, faite comme si vous en étiez persuadé. Bien, vous pouvez disposer. À bientôt, commissaire Aghilas.
— À bientôt, Monsieur.
Le commissaire Aghilas sort du bureau, bouleversé. Il revient à son bureau et le policier en faction dans un minuscule bureau, en bout de couloir le prévient :
Commissaire, votre rendez-vous est arrivé, je l’ai mise en salle d’attente.
d’accord, merci. Amenez-la moi dans cinq minutes.
Très bien.
Le commissaire Aghilas essaie de se concentrer, quelles questions va-t-il poser à Leonora Quesado alors qu’on lui retire l’enquête ? …
À Suivre… Prochain épisode le Dimanche 11 juillet …