ÉPISODE 6 – VEILLE DE WEEK-END


 

Afin de prendre connaissance du dossier concernant le meurtre d’Anna Pavlova, le commissaire Vétoldi  décide de profiter de son week-end pour faire un saut à Belle-Ile. Il y rencontrera le capitaine Kervadec avec lequel il entretient un lien de confiance et d’amitié depuis l’affaire de l’attentat[1]

Dès le vendredi matin, il est dévoré par l’impatience et heureusement qu’il dispose de son week-end, car il aurait été tenté de se faire porter pâle afin de filer à Belle-Ile. 

Comme il est honnête vis-à-vis de lui-même, le commissaire Vétoldi sait que ce n’est pas seulement le meurtre d’Anna Pavlova qui l’attire à Belle-Ile. Cet endroit est son refuge ou plutôt, il l’était avant l’attentat qui s’y est déroulé et l’enquête qui a suivi. Alors que, profitant de ses vacances, au retour d’une longue balade à vélo, il était  installé sur une splendide terrasse surplombant les aiguilles de Port-Coton, et qu’il sirotait sa boisson, une bombe avait éclaté  sur la terrasse. À la suite de quoi, il avait été embarqué de force dans l’enquête, d’abord comme témoin, puis comme enquêteur désigné par le patron du Quai des Orfèvres, son unité de rattachement à l’époque. 

Belle-Ile, ce n’est pas seulement son lieu de détente préféré, c’est aussi l’endroit qui lui rappelle le plus son pays natal, sa Corse tant aimée. 

La tête déjà conquise par son voyage, le commissaire Vétoldi consulte les horaires. Dommage ! Le dernier bateau du vendredi soir part trop tôt, il ne pourra le prendre, il se replie sur le premier bateau du samedi matin, qui part de Quiberon à 7 h 45. Il reviendra par le 6 h 50 le lundi matin, ainsi, il passera deux jours pleins sur place. 

Quelques minutes plus tard, l’imprimante sort ses billets de traversée. Il faudra qu’il pense à acheter un pass annuel, il devrait être gagnant, même si les contraintes de son métier ne lui laissent qu’une partie de ses week-ends. Enfin, s’il a choisi de quitter le privé et de revenir dans la Fonction publique, c’est parce qu’il avait la possibilité de travailler à Vannes et donc de conjugueur l’utile et l’agréable.  En outre, être de nouveau commissaire de police lui donne des marges de manœuvre et des moyens qu’il n’avait pas en tant que détective privé. Son seul regret est que les enquêtes criminelles sont la plupart du temps confiées à la cellule spécialisée. À lui de prouver son efficacité pour devenir incontournable, il a commencé à le faire avec l’affaire du tueur au chien blanc [2] et il a bien l’intention de poursuivre en ce sens. 

Une fois ses billets en poche, le commissaire Vétoldi aborde allégrement la journée. Ses collègues remarquent sa bonne humeur et s’en réjouissent car ce n’est pas toujours le cas. Seul l’inspecteur Kevin Auster s’en inquiète, car décidément ce commissaire le perturbe dans l’idée qu’il se fait, lui, de son métier. Il évite pourtant d’émettre une remarque quelconque car il fait tout ce qu’il peut pour éviter une confrontation avec son commissaire qui est son supérieur hiérarchique. Revenu dans son bureau après l’entrevue du matin avec le commissaire, Kevin Auster murmure entre ses dents : Avec ce com’, on ne sait jamais sur quel pied danser…

De son côté, le commissaire Vétoldi sourit, sa relation avec son inspecteur l’intrigue et l’amuse ; il a bien noté que Kevin Auster le craignait et même s’il n’en saisit pas les raisons, il se doute que Kevin est ambitieux et fera tout pour monter en grade. Ceci dit, tant qu’il ne commet pas à son égard de coups tordus, tout ira bien, mais il ne faudrait pas qu’il s’y risque car si cela arrivait, le commissaire Vétoldi se montrerait impitoyable. Dommage cependant qu’il ne puisse pas établir vis-à-vis de ce garçon un lien de confiance et qu’ils en restent au lien de pouvoir. Le commissaire Vétoldi soupire, une part de son rêve de toujours s’émiette. Lui, le commissaire de Vannes aspire à une société apaisée, réglée par des rapports de confiance entre les personnes… Il n’y parvient pas avec l’inspecteur Auster, il n’y parviendra peut-être pas non plus avec les délinquants de son territoire de sécurité. Pourtant, il ne renoncera pas à essayer avec d’autres et plus particulièrement vis-à-vis des plus jeunes. Kevin Auster lui a signalé le cas de ce gosse qui joue les meneurs et qu’il a envoyé direct au juge. Eh bien, il le rencontre tout à l’heure, à 14 heures, ce qui a pour conséquence qu’il n’aura pas le temps de déjeuner chez l’indien et qu’il devra se contenter d’un sandwich. 

Mardi dernier, en pensant à ce gamin, il a participé à une réunion sur la sécurité, au collège où il est élève. Son professeur principal de SEGPA, champ Habitat, a exposé les difficultés de l’adolescent à s’intégrer dans la classe autrement que par son mauvais comportement. En effet, l’élève se vante devant ses camarades de ses incartades à la Loi et essaie de les entraîner. Heureusement, il n’est pas parvenu pas jusqu’à présent à les convaincre, mais son professeur craint que son influence négative finisse par l’emporter, surtout dans la mesure où ses activités illégales lui permettent de s’offrir des vêtements à la dernière mode qui font baver d’envie les autres. Il termine son exposé en demandant l’exclusion définitive de cet élève et son souhait que le magistrat en charge de son dossier, l’envoie dans un établissement éducatif fermé. Le commissaire Vétoldi a réagi et a redit, comme à d’autres occasions, à quel point, mettre les jeunes délinquants ensemble, leur faisait courir le risque de ne jamais revenir à une conduite normale et au contraire, aboutit à les ancrer dans la déviance. La psychologue est intervenue dans le même sens et elle a indiqué qu’elle avait fait passer des tests au garçon qui révèlent non pas un déficit cognitif mais des problèmes de comportement. À la suite de ces tests, elle avait demandé que l’assistante sociale du collège entre en contact avec la famille du garçon pour éclaircir ce point. L’assistante sociale a signalé que le garçon vivait dans un appartement HLM du quartier de Ménimur, avec plus de dix autres personnes et que son père avait trois femmes vivant sous le même toit. La psychologue a ajouté que le garçon percevait la troisième femme de son père comme sa sœur, au vu de l’arbre généalogique qu’il avait dessiné à sa demande. Il avait en effet situé sa belle-mère au niveau des enfants de la première fratrie dont l’un était plus âgé que la nouvelle femme… La psychologue avait conclu par ces mots  : Comment voulez-vous que cet enfant établisse des repères ? Il faudrait veiller à ce que chacune de ces femmes vive dans un appartement séparé. Les dégâts sur les enfants sont majeurs et la société laisse se développer des comportements contraires à la Loi française. 

Ce discours a renforcé l’opinion du commissaire Vétoldi quant à la responsabilité limitée de l’adolescent et il l’a conduit à demander à rencontrer rapidement l’élève, ce à quoi la directrice de la SEGPA lui a répondu que dorénavant, sa demande devrait être adressée à la magistrate en charge du dossier. À la suite de cette réunion au collège, le commissaire Vétoldi a donc pris contact avec le magistrat qui était en charge du dossier de Célestin Diallo et il doit rencontrer l’adolescent à 14 heures. Il est déjà treize heures, le commissaire Vétoldi prend sa voiture et se rend à l’établissement où est maintenant le jeune Célestin N’Diaye. Quand il se présente au portail qui donne sur la rue, le commissaire doit décliner son identité puis il entre dans la cour. Il est étonné par la grande bâtisse qui lui fait face. Elle ressemble davantage à une maison de famille qu’à un centre éducatif. La directrice du centre le fait entrer dans une pièce de petites dimensions, elle lui donne ensuite quelques indications : 

— Bonjour Monsieur le commissaire, vous avez ici un bouton d’appel si vous avez besoin d’assistance, l’entretien aura une durée maximale d’une heure et il sera enregistré. Je vais vous amener moi-même le jeune N’Diaye. 

— Je vous remercie. 

Quelques minutes plus tard, elle revient accompagnée de l’adolescent, puis elle se retire le laissant seul avec lui.

— Bonjour jeune homme, asseyez-vous. Je suis le commissaire Vétoldi

— Qu’est-ce que vous me voulez ? 

Le regard du garçon est franchement hostile, ce qui fait sourire le commissaire qui répond :

— Je suis venu pour parler avec vous. J’ai été nommé commissaire à Vannes depuis trois mois et à cause du confinement, je ne connais pas encore bien les phénomènes de délinquance locaux. Je suis certain que vous pouvez m’éclairer sur ce point.

— Moi ? Mais qu’est-ce que vous croyez ? Que je vais cafter ? C’est n’importe quoi, je refuse de vous parler. Je n’y suis pas obligé. Le juge m’a placé ici, elle dit que c’est pour mon bien, moi je crois que c’est surtout pour me séparer de mes potes. 

— Vous avez raison, la magistrate vous donne une chance, celle de modifier vos habitudes. Jusqu’à présent, votre comportement n’est pas conforme à la Loi. Ici, dans ce centre, vous pourrez vous concentrer sur vos études et ainsi préparer votre avenir.

— Mon avenir… À quoi ça sert d’y penser? Ce qui compte, c’est ce que je vis maintenant.

— Vous êtes inscrit au collège en section habitat, cette spécialité vous plaît?

— Non et ce n’est pas ce que je voulais !

— Que vouliez-vous faire ?

— Je sais pas, moi… je voudrais travailler dans un bureau. Je m’y vois bien, avec mon ordinateur, téléphone et tout ce qui me fait, faire du commerce…

— Vous n’aimez pas le travail manuel? 

— Non ! 

— Si vous vous remettez au travail sérieusement, vous pourrez réintégrer une spécialité en bureautique. 

— Ouais, vous dites ça pour m’appâter, pour que je vous parle… mais je me laisserai pas faire. 

— Je ne vous ai posé aucune question.

Le garçon fixe le commissaire d’un air étonné, il a la bouche ouverte comme s’il avait voulu dire quelque chose et qu’il ne trouvait pas ses mots, puis sans doute, réalisant que le commissaire a raison, il reste muet. le commissaire pense que l’entretien a assez duré, il préfère que ce petit caillou qu’il vient de semer fera réfléchir l’adolescent et il reviendra une autre fois. Aujourd’hui, Célestin N’Diaye ne parlera pas, mais ce sera peut-être différent la prochaine fois ? Le commissaire Vétoldi appuie sur la sonnette, la directrice jaillit littéralement et c’est à se demander si elle n’était pas postée derrière la porte. 

Une fois le jeune homme éloigné, elle revient dans l’entrée et le commissaire prend congé :

— C’était un premier contact, je reviendrai. Célestin peut progresser. Je vous appllerai pour avoir de ses nouvelles, j’espère qu’il va se mettre au travail. 

Madame Remiremont affiche une moue désabusée et commente :

— On verra ce qu’il fait ; pour le moment, il est en période d’observation, ici et notre rôle est de mettre tout en place pour qu’il prenne conscience que son intérêt est de modifier son comportement. Il a, comme nous autres pensionnaires, d’excellentes conditions matérielles, contrairement à ce qu’il pouvait trouver chez lui. Nos encadrants vont l’aider à rattraper un meilleur niveau scolaire, en suscitant son intérêt.

Au revoir Madame et encore merci de m’avoir autorisé à rencontrer ce jeune homme. 

Je vous en prie, je ne me serais pas vue vous refuser cet entretien. Cela ne peut que lui faire du bien de rencontrer des personnes qui représentent l’autorité. 

Le commissaire Vétoldi s’éloigne, pensif, il reprend sa voiture et revient au commissariat. Une fois dans son bureau, il enclenche la fonction enregistrement de son téléphone et écoute l’entretien qu’il vient d’avoir avec le jeune garçon. Seul, son silence alors qu’il a tenté de faire comprendre au garçon qu’il ne cherchait pas à le faire parler, mais qu’il voulait l’aider, indique que peut-être, le jeune garçon réfléchira. Le commissaire Vétoldi ferme son téléphone, et clôt les pensées qui se rattachent à l’adolescent. Il passe le reste de l’après-midi à effectuer des tâches qui sont strictement en relation avec son activité de commissaire de police.

Suite au prochain épisode… Épisode 7 le Dimanche 27 Septembre 2020 …  



[1] Voir le roman, Attentat à Belle-Ile, librinova.com

[2] Voir le Blog : Feuilleton, Le tueur au chien blanc : https://petitspolarsentreamis.blogspot.com