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ÉPISODE 9 : Le Commissaire Vétoldi voit double

Dimanche 11 octobre 2020

 

Après leur arrivée surprise dans la cour d’une boutique située le long du bassin à flots, le commissaire Vétoldi et le capitaine Kervadec repartent ensemble vers la gendarmerie. 

Le commissaire Vétoldi est furieux, il vient de réaliser que le capitaine Kervadec lui a caché un renseignement essentiel concernant l’enquête. Par respect pour son compagnon et pour ne pas écorner son autorité, il attend qu’ils soient tous les deux arrivés à la gendarmerie et que le capitaine ait refermé la porte de son bureau pour lui faire part de son étonnement :

— Dites, Kervadec, vous m’avez fourni deux informations contradictoires sur le lieu  où le corps d’Anna Pavlova aurait été retrouvé. En premier lieu, vous m’aviez indiqué qu’un skipper l’avait découvert à bord de son voilier. En deuxième lieu, vous m’avez affirmé qu’il avait été retrouvé dans le sous-sol du refuge. Jusqu’à présent, on n’a pas encore inventé le dédoublement physique des corps, Alors, qu’en est-il ? 

Le capitaine Kervadec ne peut s’empêcher de sourire. C’est bien malgré lui qu’il a commis cette bévue. Lui-même a mis un peu de temps à assimiler le fait que la victime était double.

 Je reconnais mon erreur ou plutôt mon omission, bien volontiers. Il est vrai que j’ai oublié de vous mettre au parfum, mais j’ai des circonstances atténuantes parce que jamais je ne me serais attendu à ce genre de choses. Voici ce qui s’est passé. À bord du voilier, ce n’était pas la victime principale, celle dont tous les médias ont parlé, Anna Pavlova, mais son sosie. Anna Pavlova avait une sœur jumelle, elles ont été assassinées en même temps et sans doute enlevées le même jour. Ce n’est que lorsque le deuxième corps a été découvert dans le refuge que nous avons compris qu’elles étaient deux. 

— Mais qui était cette sœur ? Que faisait-elle à Belle-Ile en même temps que la cantatrice ? 

— J’ignore si nous le saurons un jour. Nous ignorions qu’elles étaient jumelles, ce n’est qu’en lisant les deux rapports d’autopsie que nous nous en sommes aperçu. Elles possédaient le même ADN. Le labo a effectué une recherche plus approfondie afin de déterminer leur identité respective et grâce aux recherches très récentes, Anna Pavlova a été identifiée. Comme vous le  savez certainement, on est depuis peu, en mesure de distinguer l’ADN des jumelles et jumeaux monozygotes. 

— Cela change tout, car s’il s’agit du même meurtrier, il aurait enlevé et tué les deux sœurs, mais pour quelle raison ? Voilà une information qui entraîne l’innocence de Rodolphe Dunan, l’ex-mari d’Anna.  

— Pas forcément car on peut imaginer que le tueur les enlève toutes les deux en ne sachant pas qui est qui, puis les tuent toutes les deux. La première parce qu’il pense qu’elle est Anna, la seconde parce qu’il ne peut pas laisser un témoin. 

— Enfin, l’ex-mari ne pouvait pas ne pas reconnaître son ancienne compagne.

— Vous croyez ça, mais moi, je serais bien incapable de distinguer deux vraies jumelles. Tout ceci ne fait que compliquer la situation. Vous menez donc deux enquêtes criminelles parallèles et pourtant il me semble que les médias ne parlent que de la cantatrice.

— Pas tout à fait, lorsque le premier corps a été retrouvé, les journalistes locaux ont parlé de la victime du voilier, mais c’est vrai qu’ensuite, ils se sont centrés sur l’autre, la cantatrice, parce qu’elle était connue dans l’île, elle y venait depuis plusieurs étés pour participer au festival lyrique qui s’y déroule chaque été depuis trente ans.

— Vu son jeune âge, elle ne venait pas depuis cette date !

— Vétoldi, un peu de sérieux, s’il vous plaît ! Non, évidemment, le festival ne produit pas les enfants, sauf dans le cas où l’opéra comporterait un rôle d’enfant. 

— Vous connaissez le nom et la profession de la jumelle d’Anna ?

— Oui. Certes, cela nous a pris un peu de temps car elle n’avait pas ses papiers sur elle, il faut dire qu’elle avait été abandonnée, complètement nue sur le bateau. Elle s’appelait Sofia Vladimirovna Dénikine et elle était violoniste. Les jumelles n’ont pas été élevées ensemble. Abandonnées par leur mère biologique dans un orphelinat de Moscou, elles ont été adoptées par des familles différentes. Anna a été adoptée par une famille française d’origine russe et Sofia a été adoptée par une famille russe.

— Vous avez rencontré les familles ? 

— Oui, bien sûr, nous avons interrogés les parents de deux jeunes femmes. Le corps de Sofia avait été transporté à la morgue de Lorient, ses parents adoptifs sont venus le reconnaître. Il a fallu, comme je vous l’ai dit un peu de temps, avant de pourvoir l’identifier, mais ensuite, c’est allé très vite.  

— De quoi est-elle morte ? 

— Elle a été droguée puis assassinée par absorption  d’un produit chimique puissant. Elle n’a pas été violée. Nous pensons que le tueur s’est trompé et que, s’étant aperçu de son erreur, il l’a quand même éliminée parce qu’elle était un témoin gênant. Les deux femmes ont été séquestrées dans le refuge et une fois que le tueur a été certain de l’identité d’Anna, il a tué puis transporté le corps de Sofia jusqu’au voilier. 

— Alors, si votre hypothèse est la bonne, l’ex d’Anna revient dans la course.

— Oui, c’est exact. D’ailleurs, l’enquêteur qui a été désigné par la cellule d’investigation de Rennes est persuadé que c’est lui, l’assassin et à mon avis, il ne cherchera pas beaucoup plus loin. 

— Et vous, Kervadec, qu’en pensez-vous ?

— Je n’arrive pas à me faire une opinion, mais il me semble que ce serait trop simple. En outre, pourquoi l’ex aurait-il attendu autant de temps pour l’assassiner ? En outre, pourquoi ici, à Belle-Ile ? À sa place, je serais passé à l’acte à Paris, là où il y a de la concurrence dans les criminels potentiels, alors qu’ici, les crimes sont tellement rares que dès que l’enquêteur officiel désigné par la cellule d’investigation criminelle a appris que l’ex était ici, il l’a soupçonné et placé en garde à vue.

— Pourquoi ne l’a-t-il pas mis sous les verrous ? 

— Ce n’est pas de son fait, c’est la magistrate chargée du dossier qui n’a pas cru à la culpabilité de Rodolphe Dunan. Elle n’a donc pas pris d’ordonnance d’incarcération. Voilà pourquoi il est libre. 

— Il faudrait que je l’interroge.

— Oui, bien sûr, mais si vous y parvenez, vous n’en tirerez rien. 

— Vous croyez ?

— Quand je l’ai rencontré, je l’ai trouvé agressif, il n’appréciait vraiment pas d’être soupçonné, il ne paraissait pas réellement touché par la mort de son ex-femme… Il a eu un comportement bizarre. Comme à chaque fois qu’Anna Pavlova se produisait, il a fait livrer des fleurs avant son concert.

— C’est Paul Bernardet qui vous a dit ça ? 

— Oui, voilà un homme franc, il ne ressemble pas à Rodolphe Dunan.

— C’est un ami d’enfance d’Anna Pavlova. Connaissait-il l’existence de la sœur jumelle d’Anna ?

— Mais non, personne n’était au courant. Aucun des proches d’Anna en tout cas. Je suis persuadé que si on n’avait retrouvé que le corps de Sofia, on aurait pensé que c’était Anna qui avait été assassinée.

— Sauf qu’Anna, elle aussi, a été assassinée… C’est une histoire compliquée, digne d’un roman russe…

— Je vous laisse cette affirmation, n’ayant lu que Guerre et Paix avec beaucoup de mal et en sautant des pages.

— Ah, Kervadec, un jour, on en reparlera et je vous ferai aimer la plus belle et la plus touchante  littérature du monde, mais aujourd’hui, même si nos petites victimes sont à moitié russes, cette question n’est pas au cœur de l’enquête. Vous pourrez me passer la bio de Sofia  ? Je voudrais voir si ce n’était pas elle qui était visée plutôt qu’Anna. 

— Vous pensez ? 

— Il faut envisager les deux possibilités. Que faisait Sofia ici ? S’agissait-il d’une visite privée ou bien, travaillait-elle pour quelqu’un ? J’ai entendu dire par je ne sais plus qui, qu’une superbe longère, située au sud de l’île, avait été acquise par un magnat russe. Cette résidence possède un accès  direct sur l’océan, bien pratique avec une plage et un port privé. Je vous passe la piste d’atterrissage pour hélicoptères. 

— Où vit ce Russe ? 

— Le siège social de son immense holding est à Moscou, mais il possède des entreprises à travers tout son pays. Il est un peu unique en son genre si on le compare aux autres magnats russes. C’est un industriel plutôt qu’un financier, il est indépendant des milieux politiques. Il a un hôtel particulier à Moscou et des résidences dans chacune des villes où son entreprise est implantée. En France, il a revendu sa résidence azuréenne et il vient d’acquérir cette résidence à Belle-Ile. Kervadec, vous devriez vous inquiéter, Belle-Ile devient un hotspot… Le préfet du Morbihan doit être sur les dents. Je sens que tu vas recevoir des effectifs supplémentaires. 

— Je préférerais que nous restions à l’écart des grandes fortunes internationales.

— Mais vous y êtes habitués, vous avez des représentants du CAC 40 depuis plusieurs. 

— Certes, mais ces patrons restent très discrets et ils ne font pas parler d’eux.

— Vous oubliez la dernière enquête que j’ai menée ici[1]. Par ailleurs, ils participent au rayonnement culturel de l’île, ce sont eux qui financent le festival lyrique.

— Mais les représentations restent à une échelle régionale. Le festival n’a jamais cherché à rejoindre les scènes internationales.  

— On en parle sur Radio-Classique et même sur France-Musique. Au fil des années, le festival est monté en gamme dans le recrutement des chanteurs. Au départ, il s’agissait d’élèves mais maintenant, nous avons la fierté de recevoir des chanteurs qui se sont produits sur des scènes internationales. 

— Quand je pense que je suis revenu en poste ici, chez moi, en imaginant que mes dernières années d’activité seraient les plus calmes de ma carrière et qu’en réalité, elles sont les pires… Dites, commissaire, ce ne serait pas de votre faute ? C’est depuis que vous venez sur l’île qu’il se passe toutes ces horreurs. Ça a commencé par l’attentat, ça s’est poursuivi par la mort suspecte du promoteur immobilier et maintenant, voilà ces deux pauvres jeunes femmes, russes de surcroît…

— Oh là, capitaine, comme vous y allez ! Ne m’accusez pas, c’est la société qui évolue, qui devient plus violente. Le crime devient une solution, on fait disparaître les gêneurs.. Nous devons chercher qui les victimes gênaient, l’une ou l’autre avait-elle assisté malgré elle à un trafic par exemple ? …

 

À Suivre… Prochain épisode le Dimanche 18 Octobre 2020…



[1] Voir le Roman, Sur le Sable, publié en 2020.